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ISSN 2496-9346

dimanche 22 juillet 2012

Les dimanches de l'abbé Bethléem 3 : juillet 1908 : contre les récits d'Indiens, de trappeurs, de détectives, etc.!

Pour ce troisième volet des dimanches de l'abbé Bethléem, nous nous permettrons de nous écarter de la voie conjecturale pour nous déplacer vers le domaine des périodiques populaires pour la jeunesse car le numéro de juillet contient un long article consacré aux séries Buffalo Bill, Marc Jordan, Nick carter, Sitting Bull, etc. qui attaque vigoureusement les publications des éditions Eichler parues entre 1907 et 1914. 



Passons donc sur le roman de Conan Doyle Un Drame sous Napoléon, (catégorie «romans mondains ») et plongeons nous dans la section « Les ravages des magazines». Après avoir éreinté les périodiques La Vie heureuse, Lectures pour tous et Nos Loisirs, E.D. se penche sur le cas des publications pour la jeunesse :

« Buffalo-Bill », « Marc Jordan », « Nick Carter », « Sitting Bull » et autres magazines d'Indiens, de trappeurs, de détectives, etc.

Je ne crois pas qu'il soit possible ni qu'il soit bon de proscrire le roman de nos bibliothèques scolaires et populaires, ainsi que certains le prétendent... Au temps de l'adolescence et de la jeunesse, l'imagination a besoin d'être nourrie et dirigée. Mais vraiment les publications dont je parle ne nourrissent ni ne dirigent: elles surexcitent, elles dévergondent et elles égarent. On a vu des jeunes garçons s'échapper de la maison paternelle pour se rendre dans un coin solitaire entouré d'arbres, et là, tatoués avec de l'encre, des plumes de poule dans les cheveux, ils brandissaient des arcs et des flèches et dansaient, autour d'un feu, à la façon des Peaux-Rouges, une danse guerrière. On sourirait, si c'était le jeu d'une heure. Mais ces adolescents vivent tous les jours de cette vie là.

Au dévergondage de l'imagination se joint la perversion du goût : René Bazin « scie » ; Jules Verne lui-même ennuie. Il faut, pour parcourir ces auteurs, un effort d'intelligence que Nick Carter ne réclame pas. Et voici que ces publications remplissent la serviette de nos collégiens, gonflent les poches de nos apprentis, tandis que, assemblés par dizaines, les gamins de nos rues stationnent devant les étalages et se repaissent, le nez en l'air, des abominables gravures de rapt, de vol, de vengeance, de meurtre — de la boue et du sang — des journaux illustrés. Ces innombrables productions forment le digne pendant des cartes postales absurdes de la camelote des bazars, des fanfreluches criardes, des statuettes de carton-pierre, de toutes les abominations que l'on ose prôner parfois sous le nom « d'art à bon marché » et « de littérature populaire ». Et, en effet, une maison allemande, qui gagne gros, en étudiant ces récits pseudoaméricains, a eu l'audace de s'intituler « librairie d'art et de littérature populaire ». Ceux-là qui ont le sourire facile lorsqu'on prône l'éducation du goût par l'image et par le livre, lorsqu'on parle d'art pour le peuple, d'esthétique populaire, au lieu de réfléchir et, au besoin, de faire la part des exagérations, sourient et « blaguent» les innocentes manies des pédagogues et des moralistes. Ils oublient que tout se tient dans la vie, individuelle ou sociale, et que la dépravation du goût, dans le public, est toujours accompagnée de l'abaissement de la moralité générale.

Je sais aussi des pères de famille qui ne rient pas ou qui ne rient plus. Un jeune homme d'intelligence supérieure et de délicate sensibilité est en train de gâter sa vie, grâce aux histoires d'Indiens. Il prétend, il veut, d'une volonté qu'on pourra amollir peut-être, mais qu'on ne brisera pas, quitter sa famille et sa patrie pour pouvoir embrasser une carrière de second, de troisième ordre même, où rien de ce qui constitue la richesse de son admirable personnalité ne sera mis en valeur, mais qui lui permettra d'exercer l'énergie brutale qu'il adore en Buffallo Bill et de courir, dans des pays étranges et inconnus, des aventures à l'instar de ses héros favoris.

Or, j'ai bien des raisons de croire que cette déviation de la volonté n'est pas un fait unique dans l'histoire des lecteurs de ces récits d'apaches.
Et qui sait si ces récits d'apaches ne créent pas, précisément, des vocations d'apaches? Les juristes qui étudient les causes de l'augmentation de la criminalité juvénile y ont-ils songé ? Oui, ils y ont songé. Mais les mamans qui ne s'effarouchent guère dès que les livres que lisent leurs fils, ne contiennent pas de mots grossiers, ni de phrases malséantes ; les pères, qui ne se préoccupent que de leurs affaires et du bel héritage sonnant qu'ils laisseront à leur progéniture; et non point du cœur, de l'esprit, de l'âme qu'ils doivent élever,.ne lisent point les doctes élucubrations des criminalistes. On a tort d'être indifférents ; on à tort surtout de sourire. Si ceux de nos enfants qui rêvent aux exploits des Sioux et des détectives n'aboutissent pas tous à ces conséquences extrêmes, chez tous, cependant, de telles- lectures provoquent une diminution de leur valeur intellectuelle et morale de leur personnalité.
Quelques images des couvertures de ces fascicules publiés au début du XXe siècle:


Dans les "Comptes-rendus et fiches pratiques" relevons la critique suivante d'un ouvrage contenant des éléments conjecturaux dans la section « romans mauvais ou réservés » signée R. Rambaud:

Pour lire en traîneau, nouvelles entraînantes, par Paul-Théodore VIBERT (Berger-Levrault et Cie). — Livre d'un anticlérical-maniaque qui se croit un génie.

Signalons , à destination des amateurs de littérature policière, qu'il y a une critique de Coupable ? de W. Le Queux

Enfin « A travers les périodiques » annonce de la parution de l'article « La Planète Mars, siège de la vie » de Camille Flammarion et d'un article de Regouly : « Peter Pan en France », jolie pièce de M. Barrie, joué en anglais à Paris, pour enfants, c'est une histoire « croque-mitainesque » et dans la revue Illustration (13 juin 1908), d'un article de l'Abbé Moreux (vugarisateur scientifique fécond) : « Les êtres géants de l'époque secondaire », par l'abbé Th. MOREUX, avec 12 dessins ou schémas dans Le Mois Littéraire et pittoresque de juillet 1908.

A dimanche prochain !


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