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mercredi 22 janvier 2014

"La Conférence de Washington et le partage de l'espace" par André Mas (1914-1922)

André Mas a peu produit d'oeuvres conjecturales mais on lui doit un Les Allemands sur Vénus paru en juillet 1914 (mauvaise date pour une oeuvre germanophile) qui nous raconte la conquête non pas de Mars mais de Vénus et le partage de l'espace par les puissances européennes et les Etats-Unis avec une large part laissée aux pionniers germaniques.
Jean Luc Boutel parle longuement de cette oeuvre sur son site ( lire l'article)

Le texte ne me semble pas très connu en définitive (1) mais on peut trouver dans Le Pionnier, un périodique créé en janvier 1922, ce texte (que je reproduis intégralement):


La Conférence de Washington et le partage de l'Espace

Les lignes qu'on va lire sont extraites du dernier chapitre du roman « Les Allemands sur Vénus ». Ce roman fut écrit avant la guerre. Il parut en Juillet 1914.
Utilisant la découverte du Français Hauchet, une expédition germanique a atteint la planète Vénus. Elle réclame du secours... (N.D.L.R.).

Presque simultanément Carnegie, d'Estournelles de Constant et Flammarion proposèrent une conférence internationale. Washington fut choisi première réunion diplomatique à porter la marque entière de l'âge scientifique, car il fallait, derrière les paroles des délégués, une force industrielle, l'or scintillant et la pesante volonté des foules.
L'Humanité blanche et les Jaunes d'abord se regardèrent en silence. Le Japon, au moins, quoique éprouvé par une récente crise financière, concevait des espoirs sans limites. Il réclama sa place dans le Cosmos, ardemment.
Il ne fallait pas perdre de vue que l'homme avait mis cent mille ans pour asseoir sa domination sur ce monde. Combien de temps faudrait-il pour d'autres planètes ?
L'entente s'irn posait, absolue.
Cependant le Congrès ne: fut pas trop tardif, contrairement à beaucoup de congrès, car, sans perdre de temps, les Américains travaillaient a Panama. L'Allemagne mettait en chantier une série de croiseurs interplanétaires, Adler, Himmelsgeier, tous munis dès derniers perfectionnements et de machines spécialement disposées pour l'atmosphère de Vénus. Il fallut s'accorder.
L'Italie réclama une part de Mars, s'appuyant sur les travaux de Sschiaparelli, le grand observateur de la planète rouge. Elle obtint la zone équatoriale.
Naturellement l'Allemagne garda Vénus, occupée par ses nationaux, mais, sur leur demande, elle accorda aux Yankees des tarifs préférentiels et des options de mines. D'où trust.
L'énorme Russie se: vit accorder la Lune. Elle n'en demandait pas plus, s'estimant déjà suffisante puissance terrienne ; mais elle obtint des compensations vers la Perse et l'Extrême-Orient Et puis ce fut l'occasion d'un emprunt garanti par la nouvelle colonie — le 4 1/2 % « Brouillard de Ptolémée ».
L'Autriche-Hongrie eut sa part, pas grand'chose, et sur Mars sans qu'on sût pourquoi. Mais au fond du coeur les Autrichiens méditaient d'y déporter les Hongrois qui pensaient aux Polonais, qui se souvenaient des Croates, qui...
Pour faire taire les Etats plus faibles, on leur attribua en bloc les astéroïdes entre Mars et Jupiter. Peut-être ne furent-ils pas contents mais ils durent faire comme s'ils l'étaient. Les Suisses industrieux obtinrent cependant Eros, planétoïde de deux cents kilomètres de diamètre, dont l'orbite passe entre Mars et la Terre. Ils pensaient déjà à une Hôtellerie interplanétaire.
Pour la première fois depuis qu'il y eût traités et congrès, l'Angleterre n'eût rien. Jamais; les Britishers ne purent prendre la chose au sérieux, car il n'y avait pas de précédent l Après l'Allemagne et l'Amérique, la Belgique avait raflé ce qui restait, mines sur la Lune, pôles de Mars, planétoïdes divers, se réservant d'en tirer parti, au moins pour des chemins de fer.
L'administration française ne put procéder avec la sage lenteur qu'elle chérit. Un cri public et l'intervention personnelle du Chef de l'Etat nous firent accorder le continent Herschell et d'autres terres martiennes, un observatoire sur la Lune, deux autres sur Vénus, et l'on créa, sans perdre de temps, le ministère des Relations planétaires. Il fallait un astronome ; on y mit donc un avocat. D'ailleurs le territoire Martien, le plus important, fut constitué en gouvernement militaire et rattaché aux Colonies ; par conséquent les Hyperavions étaient attribués à la Mariné. Et 7.477 discours furent prononcés, dont 7.473 seulement sur la défense laïque.
Au Japon furent reconnus dés droits éventuels sur Jupiter, le géant égal à treize cents Terres. L'appétit dès Yankees ne fut assouvi qu'en annexant aux bandes et aux étoiles les planètes lointaines de : Saturne, Uranus, Neptune, et au-delà celles qui n'étaient pas encore découvertes. Mais la diplomatie allemande eût dés compensations : tous les satellites de ces mondes énormes avec ceux de Mars, et sur chacun de ces immenses globes des rectifications de frontières qui arrivèrent à dix milliards de kilomètres carrés, soit dix-huit mille fois l'Empire, presque vingt fois la Terre entière, ce qui contenta même les Pangermanistes.
De Mercure, monde minuscule sous un soleil de flamme, nul ne sembla se soucier d'abord. Puis les Grecs l'annexèrent, ce qui mécontenta les Italiens. Ceux-ci écrivirent partout que Mercure avait été dieu des Voleurs. Donc...
L'Humanité se mit à l'oeuvre.
La seconde expédition fut celle de Michel de Lursac, vers Mars, et si elle n'atteignit pas la planète rouge, à dessein, elle résolut presque totalement l'énigme de ce monde. L'occupation et la conquête industrielle de la Lune fut l'oeuvre des années qui suivirent.
Une autre expédition, dix ans plus tard, atteignit Mars, et la perfection de la T. S. F. en ces temps écoulés était déjà suffisante pour permettre une communication constante à travers le gouffre de l'espace.
Sur Vénus, l'Homme étendait sa race, parmi une nature puissante et terrible, tour à tour hostile et favorable. C'était le refuge futur quand mourrait notre Terre, dans des millénaires démesurément loin encore, hors le manteau fluide des mers et des vents.
Les croisières interplanétaires vers Vénus, Mars, la Lune: devinrent chose rapide, courante, facile à partir du milieu du XXe siècle. Une humanité ambitieuse, énergique et dure au travail eut devant elle la tâche immense et joyeuse de trois mondes à équiper suivant ses besoins et ses désirs à elle. Et elle ne trouva ennemie nulle autre Humanité, car sur Vénus elle n'existait pas encore, sur la Lune elle n'existait plus et sur Mars elle finissait.
Nos lecteurs ont tous lu l'oeuvre poignante de Jorge Raubier-Brown : Les Cerveaux qui meurent — une Humanité qui s'en va — un livre immortel consacré aux Martiens agonisants. L'Heure avait été marquée, propice, pour l'Homme de la Terre. La Divinité l'avait ainsi voulu, dans ses plans gigantesques.
Devant le poète Mayer, dont le chant célèbre enflamma lés générations qui précédèrent l'ère du contrôle de Vénus, se dessinait lentement ce tableau formidable. Sous ses yeux même la Cité des Etoiles s'étendait, immense, bourdonnante, multitude d'hommes actifs et heureux. Sa statue géante le confrontait, montrant du doigt le ciel. Il regarda cette beauté nouvelle faite d'ordre, de jeunesse et d'énergie sans trêve, cette beauté que les Anciens eussent admirée. Et de sa main déjà défaillante, il écrivit lés derniers mots de l'Hymne Impérial, Son oeuvre ultime qui eut partout:où: résonne sa langue le succès le plus colossal, car il y a enfermé, mieux que nul ne le chanta jamais, l'ambition sans limites de 'Allemagne, sa confiance en elle-même et son orgueil immense :

Nous sommes de la race des fils du dieu du Marteau,
Et nous avons la volonté de conquérir l'empire des Etoiles
Et de devenir le peuple des Seigneurs de l'Infini.

André Mas, « La conférence de Washington et la conquête de l'espace »

in Le Pionnier n° 9, septembre 1922.


(1) Les éditions Rivière Blanche ont eu la bonne idée de rééditer en un volume deux textes d'André Mas : Dryméa et Les Allemands sur Vénus avec une préface d'Eric Stoffel et une
introduction et des notes de Brian Stableford. Le livre doit paraître prochainement.



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