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ISSN 2496-9346

mercredi 9 septembre 2015

Alphonse Allais, Finis Britanniae (1897)

En 1897, la reine Victoria fêtait un jubilé de diamant (le 22 juin). L'actualité nous apprend que la durée de règne de la "grand-mère" de l'Europe est désormais dépassée par celle de son arrière-arrière-petite-fille Elisabeth II.
Au moment du jubilé de 1897, Alphonse Allais alertait les autorités sur la disparition prochaine du Royaume Uni (la perfide Albion) à travers trois articles humoristiques publiés dans Le Journal.


Finis Britanniae 

Notre vieille camarade l'Angleterre n'a pas eu une bonne presse, ces temps-ci.
L'insolence paradeuse de son jubilé lui aliéna une grande partie de l'Europe et les principaux organes des grandes nations ne le lui envoyèrent pas dire.
Dans ce concert de malédictions, nos confrères allemands se distinguèrent particulièrement et ne se gênèrent pas pour blaguer le colosse britannique, colosse, disaient-ils, en baudruche soufflée qu'une épingle prochaine suffirait à dégonfler.
Nos confrères allemands ne savaient pas dire si vrai ; leur prophétie est à la veille de se réaliser.
Nous avons, en effet, le plaisir d'être les premiers dans la presse à annoncer l'imminente disparition de l'Angleterre.
Il fallait s'y attendre, d'ailleurs, et depuis longtemps les savants prévoyaient cet événement sensationnel.
« Les temps sont proches ! » disaient-ils.
- L'heure est venue.
L'Angleterre, vidée de sa houille, creusée au plus creux de ses sous-sols, délestée de ses minerais de fer, l'Angleterre est arrivée à un tel point d'allégement qu'elle flotte.
Depuis avant-hier, L'ANGLETERRE FLOTTE !
Certes, elle ne flotte pas à la crête des flots comme un vieux bouchon de Champagne (I) mais elle flotte…
A l'Observatoire de Greenwich, où je me trouvais jeudi dernier, tout le monde était en proie à la plus vive inquiétude.
L'honorable Sir Loin of Wildhog, un des astronomes les plus réputés de l'établissement, ne m'a pas caché son angoisse.
— Nous ne constatons pas encore de ballottement bien sensible, mais nous avons relevé, ce matin, un déplacement de l'île vers l'Ouest d'environ un demi-degré.
— Diable ! fis-je.
— En continuant notre route à cette allure, nous serons sur les côtes d'Amérique avant la fin de l'année, à moins que...
— A moins que ?…
— A moins qu'un dénouement plus tragique ne survienne.
En disant ces paroles, le vieil astronome prit un ton dont la gravité frisait le fatidique…
— God save the Queen! fis-je en serrant la rude main tannée du savant grand-seigneur.
Et Sir Loin of Wildhog ne put se défendre d'une larme qui — je ne m'en cache pas — trouva dans mon cœur un sympathique écho. 

Alphonse Allais, "Finis Britanniae", in Le Journal, 5 septembre 1897.

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