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ISSN 2496-9346

jeudi 29 décembre 2016

Ilidza in der Zunkuft / Ilidza dans l'avenir (vers 1910?)

Ilidza est une commune située à proximité de Sarajevo (aujourd'hui capitale de la Bosnie-Herzégovine). Au moment de la production de la carte postale ci-dessous, elle était sous administration austro-hongroise, ce qui explique que le texte est rédigé en allemand.
Comme d'autres cartes de la même époque nous montrant une ville de l'avenir, encombrée de moyens de transports terrestres et aériens, grâce à un photomontage, on trouve les mêmes éléments plaqués sur une vue d'une rue d'Ilidza.
On peut par exemple consulter la vision de Ratzebourg dans l'avenir ou de Paris (les grands boulevards ou la Place de la Concorde)


dimanche 25 décembre 2016

ArchéoSF vous souhaite un Joyeux Noël !


jeudi 22 décembre 2016

Ratzebourg dans l'avenir / Ratzeburg in Zunkuft (vers 1910)

Les cartes postales montrant l'avenir des villes sont relativement  nombreuses avant la première guerre mondiale... mais avec des photomontages identiques !
Ainsi peut-on admirer Ratzebourg (nord de l'Allemagne) dans l'avenir avec une vision des moyens de transport tout à fait similaire à ceux de Paris. Il existe pour Paris une carte "Paris Futur, place de la Bastille colonne du 14 juillet" où l'on voit le même train - ou aérocar - suspendu et des tramways tout à fait identiques et "Paris futur les grands boulevards". D'autres villes ont eu le même traitement en terme de photomontages, nous y reviendrons.


mercredi 21 décembre 2016

Félix Dubois, Tombouctou la mystérieuse (1897)

Tombouctou a nourri l'imaginaire et on a même pu y voir l'avenir de la civilisation (comme dans la nouvelle Jazz-Band publiée en 1920). L'avenir de la ville malienne a même inspiré une vitrine de Noël d'un grand magasin parisien en 1923 imaginant Tombouctou en 2124 ! (lire la description de cette vitrine)
En guise de conclusion à son ouvrage Tombouctou la mystérieuse (1897), Félix Dubois se livre à une courte anticipation en forme de rêve fortement marqué par l'idéologie coloniale.

Dans le lointain des temps futurs, je. vois Tombouctou ayant rejeté ses haillons d'aujourd'hui et redresse sa taille courbée par les malheurs. Alors le marigot en sable de Kabara aura été déblaye, approfondi. Le Niger pourra apporter jusqu'à là ville des eaux plus abondantes. On aura ménagé à celles-ci,par des travaux faciles, un débouché dans le nord et l'est. Une fraîche ceinture entourera la ville de toutes parts. Elle aura retrouve ses jardins, ses verdures, ses palmiers d'autrefois. Striée d'avenues ombragées, elle sera une plaisante et active cité cosmopolite, trait d'union entre le monde blanc et le monde noir. Le Sahara aura été dompté. Une chaîne d'acier lui aura été imposée dont les anneaux seront des rails. Les locomotives électriques auront permis de réaliser le chemin de fer transsaharien. Avec une vitesse de foudre les convois circuleront entre Alger et Tombouctou, les flots de la Méditerranée seront unis aux flots du Niger. Touaregs, Kountas, tous les nomades improductifs auront été rejetés dans le désert stérile, leur patrie première. Our' Oumaïra, l'endroit sinistre, aura disparu des mémoires. De Kabara l'on entendra à Tombouctou des éclats de vie, les gais sifflets des vapeurs venant apporter et chercher les produits multiples.
Je rêve aussi Tombouctou devenue un foyer de civilisation et de science européennes, françaises. comme elle fut jadis un centre de culture musulmane. De nouveau la réputation de ses savants s'étendra jusqu'au lac Tchad, jusqu'au pays de Kong et à l'Atlantique.
J'arrive a croire enfin qu'à ce moment l'on aura répare de douloureuses injustices. Croit-on que rien n'évoque encore le souvenir de René Caillié en cette ville qu'il raconta le premier à l'univers, non plus qu'ailleurs dans le Soudan où il déploya tant de vaillance ? Les monuments, les places et les grandes voies rappelleront également les noms de Colbert, de Faidherbe, de Galliéni, d'Archinard, comme ceux de Mungo-Park, de Laing, de Barth. Dans les écoles, on enseignera l'histoire de tous les pionniers, et les maîtres diront aux enfants « Honorez-les et pensez à eux avec reconnaissance. »
Dans le lointain des temps futurs, je vois Tombouctou apparaître superbe, lettrée, riche, reine du Soudan, telle qu'elle se dessine dans le lointain des temps passés, telle que son panorama en donne l'illusion aux voyageurs des temps présents.

Félix Dubois, Tombouctou la mystérieuse, Librairie E. Flammarion, 1897

A lire:
Dans la même veine, le docteur Carton imagine l'avenir de La Tunisie en l'an 2000 (1922).

lundi 19 décembre 2016

Une revue préhistorique aux Eyzies (1924)

Une brève publiée dans le journal l'Intransigeant nous informe qu'une revue (c'est à dire un spectacle humoristique, souvent léger, et avec danses, souvent légères aussi) eut pour cadre la grotte des Eyzies en Dordogne. Quoi de plus normal que le thème fut la préhistoire. L'auteur de la brève en profite pour livrer un coup de griffe à ses contemporains...


In L'Intransigeant, 11 septembre 1924

samedi 17 décembre 2016

Tombouctou en 2124 (1923)

Une partie de l'imaginaire conjectural s'est effacée car personne ou presque n'en a gardé de traces. Régulièrement, dans la presse de l'époque, des descriptions de spectacles peuvent être relevées mais souvent l'image manque: au lecteur d'imaginer ce que les contemporains ont bien pu voir. En 1923, pour les fêtes de Noël, un grand magasin parisien proposait une vitrine montrant "Tombouctou en l'an 2124". Un chroniqueur du Petit Parisien nous en livre la description:



ALLONS VOIR AUX VITRINES LE "JOUET" DE L'ANNÉE

[…] L'actualité fournit ses sujets aux décorateurs. Si l'on demandait à la moyenne des « gosses » qui vont au cinéma ou qui s'intéressent aux beaux voyages ce qui les a cette année, le plus frappés, la plupart répondraient «Nanouk » et « le Raid des autos-chenilles à travers le Sahara ». La plupart des magasins ont donc, pour flatter leurs petits clients, leur scène de « Nanouk » et leur vue de « Tombouctou en l'an 2124 ».
Ici, on voit, au fond du paysage, des autos-chenilles défiler sur la crête des dunes et descendre lentement vers la capitale du désert. Dans les rues grouillantes, tout un peuple bizarrement accoutré se presse, flâne, court à ses affaires et danse au son du jazz-band. Entre les minarets et les terrasses, des palmiers étrangement mécaniques se plient-sous une brise irréelle, mais qui doit être- terrible, si l'on en juge aux convulsions des pauvres arbres. Une girafe, un seau à la bouche, monte de l'eau à tous les étages.
Ailleurs, la vision de Tombouctou dans deux cents ans est plus formidable encore: un aérobus monstre, dont la porte d'entrée est un énorme rideau de fer, crache autant de public qu'une sorte de métro aux heures d'affluence. On déballe des fruits « exotiques » : poires, pommes, raisins ; des légumes, carottes et oignons, que se disputent les gens chic. Devant le grand théâtre et le magasin d'antiquités, les passants s'arrêtent ou font la queue. Au milieu de la grand'place, se tient le cireur. Le client met cinq francs dans un appareil, en choisissant la couleur de son cirage : il y en a du jaune, du vert, du rouge et même du noir. Pendant que les brosses mécaniques font leur devoir, des cornets acoustiques versent l'harmonie (par sans-fil) au cœur des citadins. Un édifice monumental absorbe une foule compacte qu'il ne rend pas : il constitue la gare de départ des aérobus.
Si les pronostics de nos humoristes se réalisent, comme se sont réalisées celles de Wells et de Jules Verne, Paris n'a qu'à bien se tenir pour conserver son rang de capitale du monde: Tombouctou ne tardera pas à le dépasser. […]

Raymond de Nys, « Allons voir aux vitrines le jouet de l'année »,
in Le Petit Parisien, n° 17087, 11 décembre 1923


jeudi 8 décembre 2016

Prophétie : Napoléon reviendra dans 2000 ans ! (1928)



PROPHÉTIE

Napoléon reviendra dans 2000 ans !

Pour une nouvelle sensationnelle, c'en est une, mais qui ne se vérifiera pas demain. Un correspondant à Venise d'un journal américain vient de télégraphier à celui-ci qu'il a appris, de la meilleure source, que Napoléon Ier réapparaîtra dans deux mille ans pour conquérir les territoires du pôle Nord. Il précise que ces territoires appartiendront à l'Industrie américaine qui décidément ne se refusera rien.
Ce correspondant bien informé ne cacha pas sa source d'information, il est en relations avec un médium vénitien, le professeur Luigi Belletti, et c'est ce professeur loquace qui lui a révélé, en quelques mots précis, cet avenir lointain.
Nous ne connaissons pas le professeur Luigi Belletti, mais nous avons aussi nos relations parmi les princes de l'occultisme, et l'un de ceux-ci à qui nous disions notre scepticisme sur le retour de Napoléon sur la terre, nous a déclaré :
« Homme de peu de foi, vous êtes incorrigible. Comment pouvez-vous douter de la véracité des affirmations de l'éminent professeur ? Mais le retour de Napoléon n'est pas douteux et à brève échéance...
« A brève échéance ? Deux mille ans, c'est pourtant...
« Deux mille ans ce n'est rien dans l'éternité. Napoléon a affaire ailleurs...
« ” Mais où peut-il bien être ?
Notre interlocuteur nous regarda bien dans les yeux :
«  Etes-yous capable de garder pour vous mes confidences ?
« Certes !
« Eh hien ! Napoléon fait dans Mars ses grandes manoeuvres en vue de la conquête du pôle Nord. Mars est en grande partie, vous ne l'ignorez pas, envahie par la glace. Napoléon étudie la situation et si, depuis quelque temps l'attention des Terriens est si fort attirée par les Martiens, c'est parce qu'ils y a, grâce à Napoléon, des rapports de pensées entre eux. »
Nous quittâmes notre médium en pensant qu'on a toujours tort si l'on veut être initié aux vérités supérieures, d'être un homme de peu de foi.


Anonyme, in La Presse, n° 3487, 24 août 1924

vendredi 2 décembre 2016

Une curieuse conception de M. Payot (1912)

La presse numérisée permet de découvrir l'existence de textes non par un accès direct mais par citation. Le journal catholique La Croix mentionne ainsi en 1912 un article de Jules Payot, recteur de l'université d'Aix, personnalité anticléricale et très engagée dans le combat laïque. On y découvre les germes d'une anticipation sociale. Reste à trouver le texte d'origine paru dans ce fameux Volume... [mise à jour 08/02/2022: le texte est désormais disponible sur ArchéoSF en cliquant ICI]

Une curieuse conception de M. Payot

Un ami nous écrit:

J'ai découvert, sous la signature de M. Payot, dans le numéro du 28 octobre 1911, du Volume, une description de notre époque qui mérite notre attention. Elle est immédiatement suivie de l'exposé des transformations qui, depuis, se sont réalisées, car .M. Payot suppose qu'un certain M, Sagace, l'homme des Neiges, que nous pouvons pressentir n'être autre que lui-même, est demeuré quatre-vingts années enseveli dans les glaces du Mont-Blanc et qu'il revient à la vie vers l'an 2000. Il est à la fois curieux et intéressant de voir ainsi se réaliser sous la plume du recteur de l'Université d'Aix, l'une des conceptions de son esprit.
Voici d'abord, telle qu'elle est décrite, notre vie en l'année 1911:

« A l'époque où l'homme des Neiges avait, vécu sa première vie, le nombre des neurasthéniques était considérable. La civilisation, purement matérielle, stimulait à l'excès les sentiments individualistes. L'éducation était pénétrée de matérialisme. M. Sagace s'en rendait compte et il en était humilié. Au milieu de la société polie où il vivait maintenant, les souvenirs de la vie d'autrefois lui revenaient en foule. Combien l'isolement y était cruel? Il repassait, dans sa mémoire, sa vie d'étudiant à Paris, dans l'abandon moral et la solitude du cœur, au milieu des camarades également abandonnés. Dans ses divers postes, même impression de solitude.
Les instincts sociaux, on le trompait, sans les satisfaire. La vie sociale n'avait ni ordre, ni force, et le gaspillage était inouï. Les uns s'enfermaient dans des cabarets ou dans des cafés, dépensant chaque jour des sommes appréciables, puisque les cafetiers innombrables de chaque localité vivaient, malgré la concurrence, et que la plupart d'entre eux faisaient fortune. Les gens « plus distingués » avaient leur cercle, où ils dépensaient beaucoup les rares « intellectuels » de la ville y trouvaient quelques revues premier essai, mal venu, d'une coopération pour la vie en commun.
A ces dépenses, formidables au total, s'ajoutaient les dépenses des cafés-concerts, des cinématographes, des théâtres, des conférences, des spectacles de toutes sortes, destinés à tromper le besoin que chacun avait de sortir de son isolement et de se trouver en communion d'idées et de sentiments avec ses semblables.

Après la description de notre époque, voici la conception élaborée par M. Payot:
 
« Aussi, quand un groupe d'hommes et de femmes énergiques entreprirent de fonder une maison commune, furent-ils suivis par beaucoup de gens, heureux d'échapper à leur isolement.
Malgré l'opposition haineuse des cafetiers et des entrepreneurs de spectacles, chacun des adhérents fit le compte de ce qu'il dépensait dans l'année « pour tromper ses besoins sociaux » et il en fit l'avance. On put, avec ces souscriptions, commencer la maison commune. Bibliothèque, modeste d'abord, salles de lecture, salles pour sociétés intimes, jardins d'enfants, belle salle des fêtes, attirèrent peu à peu la majeure partie de la population. Le programme portait qu'on mettrait en commun ce qu'on pouvait avoir de talents et de bonne volonté. Des représentations furent organisées et de véritables aptitudes pour la diction se révélèrent, soirées musicales, lectures, déclamations, se succédèrent d'abord chaque semaine, puis plus souvent. De petites équipes de diseurs, de chanteurs, s'organisèrent. Peu à peu la maison commune prospéra et s'agrandit.
Bientôt, on fit appel à toutes les ressources due l'art. Partout les maisons communes s'élevèrent, comme les cathédrales aux XIIe et XIIIe siècles. Architectes, peintres, sculpteurs rivalisèrent. La beauté artistique de ces maisons qui devinrent partout des palais, expliquait que les maisons particulières fussent si sobres d'objets d'art c'est que chacun mettait son orgueil à enrichir la maison de tous et que chez soi on se contentait de fleurs... »

Est-il besoin d'indiquer qu'il ne nous sera pas nécessaire d'attendre jusqu'à l'an 2000, pour voir partout réalisée, pour peu que nous y mettions un peu de bonne volonté, la conception de M. Payot, il est une maison commune où nous pouvons venir si nous souffrons trop de l'isolement. De cette maison nous devons réapprendre le chemin et nous pouvons, revivant les traditions ancestrales, contribuer à augmenter la richesse ou beauté de sa décoration intérieure.
A côté de l'église, déjà en divers coins de France s'est ouverte la maison familiale avec ces bibliothèques, ces salles diverses, cette mise en commun des bonnes volontés, rêvées par M. Payot.
Naturellement, M. Payot ignore ou feint d'ignorer ces tentatives.
N'était-il pas intéressant de rencontrer un esprit, si hostile nos idées, si près de reconnaître la nécessité d'organisation que nous tâchons de réaliser.

Anonyme, « Une curieuse conception de M. Payot »,
in La Croix n°8852, 27 janvier 1912.

mercredi 30 novembre 2016

[Conférence] La science fiction française des origines à 1950 (Sèvres 2016)

Les Rencontres de l'imaginaire de Sèvres accueillent chaque année des conférences. En 2016 l'une d'elles avait pour thème La science fiction française des origines à 1950.
Les intervenants Francis Saint-Martin, Jean-Luc Boutel, Natacha Vas-Deyres, Joseph Altairac, Brian Stableford débattent pendant plus de 90 minutes. ActuSF a mis en ligne la captation audio:


Pour écouter le débat, cliquez simplement ICI.

vendredi 11 novembre 2016

André Charpentier, Anticipation (1917)



Dès 1917, André Michelin lance une collection de guides touristiques sur les lieux de la Première Guerre Mondiale. Le premier guide a été publié fin 1917 avec le volume Champs de bataille de la Marne I. L'Ourcq, Meaux-Senlis-Chantilly aux éditions Berger-Levrault. La collection éditée entre 1917 et 1921 compte 29 titres en français, 20 en anglais, 4 en italien et 1 en allemand.
André Charpentier, dans une chronique publiée dans Le Canard Enchaîné, imagine, avec humour, pour après la guerre une continuation du conflit par les touristes eux-mêmes... Cette chronique est reprise dans Le Bochofage fin 1917.





Anticipation

« La visite des champs de bataille est déjà organisée. En France, Michelin commence la publication de guides spéciaux. De l'autre côté du Rhin, Baedecker (1) prépare, lui aussi, des guides tendancieux, sous le patronage du grand état-major allemand... »

La paix vient d'être signée.
Immédiatement, de part et d'autre, cependant que les combattants réintègrent leurs foyers, les agences organisent des excursions aux tranchées à l'image des civils avides de respirer, sans danger, l'air glorieux des champs de bataille.
Des quatre points cardinaux, les touristes arrivent pleins breaks, envahissent les secteurs, arpentent les boyaux, dégringolent au fond des sapes, gesticulent sur les parapets. Pour faciliter leur visite, ils se sont munis des guides édités dans leur pays.
Deux groupes d'excursionnistes se rencontrent autour d'un petit poste. Les uns tiennent à la main un guide Michelin, les autres un guide Baeckeder. Cette particularité ne passe pas inaperçue… C'est ici que les patriotes, qui n'ont pu verser leur sang durant la guerre, s'attendent de peid ferme. On s'aperçoit que, la paix conclue, la guerre ne fait que commencer.
Un « Boedecker » après avoir compulsé son guide, explique à ses compagnons :
- C'est ce petit poste dont les Allemands s'emparèrent au début de l'action du 4 novembre…
A cette assertion, un « Michelin » sursaute :
- Pardon, monsieur, interrompt-il, vous commettez une erreur historique : les Français de ce petit poste ont repoussé victorieusement toutes les tentatives boches…
- Je…
Mais, déjà, le Michelin plus nerveux a arraché une motte de terre du parapet et l'a lancée dans la direction du Boedecker. Cette attaque brusquée déclenche les hostilités. La bataille s'engage entre les « Michelin » et les « Boedecker ».
Plus nombreux les Boedecker cernent le petit poste, en chassent les occupants à coups de cannes et de parapluie et gagnent la première ligne. Un Michelin appelle du renfort à l'aide du klaxon d'un poste aux gaz. L'appel est entendu ; les renforts montent. La lutte devient égale, et davantage acharnée.
Les coups de cinéma se succèdent. Un Boedecker reçoit un caillebotis en plein crâne. Un Michelin s'empare d'un Vermorel et asperge ses ennemis d'hypsulfite. Un groupe de belligérants empêtré dans des rouleaux de barbelés et des chevaux de frise pousse d'ignobles jurons. Armé d'un bouthéon (2), un Boedecker distribue plaies et bosses. Quelques Michelin s'étaient réfugiés dans une cagna ; un Boedecker avise une grosse femme, et d'un preste croc-en-jambe l'envoie rouler au fond de la cagna où elle tombe avec la légèreté d'un 420 qui n'éclaterait pas ; on entend les râles des écrasés. Claies, rondins, sacs-à-terre, galions sont autant d'armes et de projectiles entre les mains des combattants.
Quel beau communiqué !
A la nuit, la bataille prend fin. Les Boedecker sont repoussés avec pertes. Les brancardiers ramassent les victimes et les transportent au poste de secours (les agences ont tout prévu). Chaque blessé reçoit une fiche – une fiche d'évacuation où sont marqués les honoraires du médecin.
Contemplant ce spectacle, un ancien poilu, qui a accompagné sa belle-mère dans son expédition et l'a « oubliée » quelque part par là là dans un trou de 380, profère, goguenard :
- C'est bien son tour…


André Charpentier, « Anticipation »,
publié dans Le Canard Enchaîné,
repris dans Le Bochofage (journal de tranchées)
daté du « 16 et 17 novembre et décembre 1917 ».


(1) André Charpentier parle ici du guide Baedeker. L'orthographe varie au cours de l'article. Nous avons conservé les différentes graphies. Nous avons en revanche corrigé les coquilles.

(2) Marmite plate en métal équipant l'armée

jeudi 10 novembre 2016

ArchéoSF aux Rencontres de l'Imaginaire de Sèvres, passez vos commandes !

ArchéoSF sera aux prochaines Rencontres de l'Imaginaire à Sèvres le 26 novembre. Nos livres sont édités à la demande, ce qui signifie que notre stock est relativement limité.
Nous prenons les commandes de celles et ceux qui souhaitent faire l'acquisition d'un volume (ou de plusieurs, ou de tous les livres!) de la collection ArchéoSF à l'occasion de ce salon. Vous pouvez retenir votre ou vos livres en commentaire ou par courriel à l'adresse : archeosf[at]gmail.com.

Le catalogue papier:
- Paris Futurs, anthologie des Paris du Futurs, 180 pages, 13 euros

- Les Ruines de Paris et autres textes, anthologie, 120 pages, 12,50 euros


- Michel Verne, Zigzags à travers la science suivi de Edom/L'éternel Adam, 136 pages, 12,50 euros

- Le Passé à vapeur, anthologie proto-steampunk, préface par Etienne Barillier , 156 pages, 12,50 euros

- Les Autres vies de Napoléon Bonaparte, anthologie d'uchronies et d'histoires secrètes (2 romans, 2 novellas, 1 nouvelle), 720 (!) pages, 29,50 euros


Les tirages spéciaux (non disponibles en librairie):
- Paris Futurs, version fascicule grand format (format A4), 10 euros l'exemplaire.

- Charles Le Goffic, Imaginaire du Trégor, recueil de trois nouvelles (2 fantastiques, 1 anticipation), tirage limité à 50 exemplaires (il en reste quelques-uns), 6 euros.


Tous les livres du catalogue papier & numérique, hormis les tirages spéciaux, sont disponibles sur le site de Publie.net 

mercredi 9 novembre 2016

Henri Monier, Aux temps préhistoriques (1930)

La projection dans le futur sert souvent à se moquer des travers de l'époque, il est en de même avec la projection dans le passé préhistorique. C'est ainsi que Henri Monier (1901 - 1959) parle de l'actualité en imaginant une scène venue des temps éloignés...



H. Monier, "Aux temps préhistoriques", Paris-Soir, n° 2409, daté du 11 mai 1930.

jeudi 3 novembre 2016

John-Antoine Nau, Force ennemie : le premier Prix Goncourt

Il fut un temps où l'Académie Goncourt était présidée par Joris-Karl Huysmans et était composée de Octave Mirbeau, J.-H. Rosny, aîné, Léon Daudet, Léon Hennique, Paul Margueritte, J.-H. Rosny jeune, Gustave Geffroy, Lucien Descaves, Élémir Bourges... Nous sommes en 1903 et l'Académie décerne son premier prix: ce sera Force ennemie de John Antoine Nau. Une œuvre de science-fiction recevant le premier prix Goncourt!

Bien après l'obtention du prix, lors d'une réédition en 1919, le quotidien Le Populaire rappelle l'intérêt et l'importance de l’œuvre:

Préfacée par Louis Descaves, l’œuvre si poignante de John-Antoine Nau, Force ennemie, vient d'être à nouveau éditée, chez Flammarion. Force ennemie fut le premier prix Goncourt et les dix peuvent s'enorgueillir de celui-là.

Le Populaire, 17 janvier 1919
Dans la préface mentionnée par Le Populaire on peut lire:

J’avais porté le livre à Hüysmans; il l’aima tout de suite…. et l’auteur d‘À Rebours n’était pas de ceux qu’on satisfait aisément. Longtemps après, il lui arrivait de dire : « C’est encore le meilleur que nous ayons couronné ».
Il faut reconnaître, en tout cas, que le souhait des Goncourt n’a jamais été mieux accompli que par Nau. La distinction dont il était l’objet ne l’a incité qu’à composer d’autres livres, peu nombreux, lentement, avec soin et sans aucune pensée de lucre. Loin de se croire encouragé au négoce, Nau donna l’exemple, au contraire, d’une dignité de caractère et d’un exclusif souci d’art, qui rappelaient le Prix Goncourt pour en préciser la signification et en accroître le prestige.
En 1922, à propos de la remise du prix Goncourt, on pouvait lire dans Les Potins de Paris ces lignes concernant John-Antoine Nau:
 
Le roman d'aventures, le roman exotique, si l'on veut, date de John-Antoine Nau qui obtint le premier prix Goncourt en 1903 avec Force Ennemie. John-Antoine Nau qui mourut en mars 1918 à Tréboul fut un grand voyageur. Sur place, il composa Le Préteur d'Amour qui se passe aux Antilles ; La Génia, aux Indes ; Cristobal le Poète, en Algérie ; Thérèse Donali, en Corse...
Mais John-Antoine Nau était venu trop tôt. Son siècle ne se plaisait pas à ses narrations lointaines et véridiques. Son temps, néanmoins, doit être venu aujourd'hui. Si la justice existait, John-Antoine Nau aurait un marbre immense et les romans de Pierre Benoit se tirerait en édition à quatre sous. Ce serait encore beaucoup d'honneur...

Les Potins de Paris, 6 février 1922
A lire:
Force ennemie de John-Antoine Nau, collection ArchéoSF (disponible en numérique, 4,99 euros seulement)

mardi 25 octobre 2016

Le Quotidien de Montmartre 1929-1930 (4)

Quatrième épisode de notre exploration du Quotidien de Montmartre publié en 1929-1930 qui est disponible sur Gallica (du n° 10 au n° 52). Pour lire la présentation du périodique, cliquez ICI. Pour retrouver tous les billets de cette série consacrée au Quotidien de Montmartre, cliquez ICI.

Dans le n° 36 daté du 11 mai 1930 Bernard Gervaise présente dans la rubrique "Les Gaités de la semaine" le projet des voyages interplanétaires mais exprime aussi des doutes sur la nature humaine qui transforme les avancées scientifiques en moyens de destruction...



M. Robert-Esnault Pelterie, qui consacre depuis des années le meilleur de son activité à l'étude de cette science nouvelle qu'on nomme l'astronautique, vient de faire une conférence au cours de laquelle il a prononcé les paroles suivantes :
« A la suite d'examens approfondis de la question, je peux conclure qu'avant dix ou quinze ans, le voyage dans la lune et retour à la terre sera réalisable. Il ne dépend plus maintenant que d'un facteur, la découverte du mécène qui consacrera les millions nécessaires à la construction et à la mise au point de l'appareil de transport interplanétaire. »
En considérant d'une part le rythme accéléré qu'affecte à notre époque le progrès des découvertes mécaniques et, d'autre part, l'ardeur que l'on apporte à les utiliser, on peut être certain que si le voyage Terre-Lune et retour devient réalisable dans deux ou trois lustres, comme le veut M. Robert Esnault-Pelterie, il sera immédiatement réalisé, d'abord par quelques hardis sportifs amateurs de gloire, puis par une quantité d'amateurs de plus en plus considérable.
Avec une rapidité surprenante, nous verrons surgir des Compagnies commerciales astronautiques dont les services organiseront tout d'abord des « baptêmes de l'éther », puis peu à peu des excursions plus étendues ! Trois jours dans la Lune... « Paris-Neptune, via Mercure, Jupiter, Saturne, Uranus et retour... » Nous irons passer le week-end à la surface de Séléné ; nos grandes vacances se passeront au bord des canaux martiens, plus poissonneux, il faut l'espérer, que les rivières d'ici-bas et Vénus sera le but tout indiqué de tout voyage de noces !
La nouvelle invention arrive d'ailleurs à point nommé. Elle répond à un des plus pressants besoins de notre pauvre humanité dont le domaine se rétrécit de jour en jour à mesure que s'accroît la vitesse des véhicules mécaniques.
Il y a seulement un siècle, il fallait quinze ou dix-huit mois pour faire le tour du monde, le plus long voyage que l'on puisse accomplir sur terre en ligne droite ou, si vous préférez, en ligne courbe. Cinquante, ans plus tard, le temps-limite de cette randonnée avait déjà beaucoup diminué, puisque les héros de Jules Verne purent le réduire à 80 jours. Aujourd'hui, nouveau progrès, les aviateurs doués de quelque endurance et de bons moteurs bouclent la boucle en moins de trois semaines.
Dans quatre ou cinq ans, moins peut-être, c'est en trois jours que se fera ce périple.
Enfin, un jour viendra, plus tôt qu'on ne pense sans doute, où l'on pourra se faire transporter sur n'importe quel point du globe en moins d'une journée. Ce sera la mort du tourisme, tout au moins du tourisme terrestre. Qui donc, en effet, voudrait se mettre en route pour si peu !
Il était grand temps, comme on le voit, que de nouveaux débouchés s'ouvrissent à notre activité. Grâce à l'astronautique, c'est chose faite, ou presque. Lorsque nous nous sentirons par trop à l'étroit sur notre misérable planète, rien ne nous empêchera de nous échapper par la tangente pour aller faire un petit tour dans les étoiles.
Espérons que cela contribuera dans quelque mesure à désembouteiller les routes de banlieue !
Selon Jules Verne, le meilleur moyen pour aller dans la Lune était de s'y faire expédier par un canon géant, à l'intérieur d'une sorte d'obus de gros calibre. M. Robert Esnault-Pelterie estime qu'il vaut mieux s'y rendre à bord de la fusée-dirigeable inventée il y a deux ou trois ans par le professeur allemand Hermann Oberth.
C'est ce merveilleux engin qui nous permettra d'aller nous promener un jour dans l'éther comme on se promène actuellement dans les airs.
Puisse-t-il ne jamais servir à autre chose, mais hélas ! n'y comptons pas trop ! Jusqu'ici, toutes les inventions primitivement destinées à faire le bonheur du genre humain ont été tour à tour mises au service de l'art militaire. Il est donc fort probable que la découverte du professeur Oberth ayant été comme les autres détournée de son véritable objet, nous verrons bientôt la fusée se substituer à l'obus dans les applications ordinaires de la balistique.
Et vous pensez, avec un engin capable de marmiter la Lune, quel jeu ce serait pour des artilleurs européens de démolir New-York, Yokohama ou Pékin tandis que les artificiers américains, japonais ou chinois écraseraient Paris, Londres, Rome et Berlin !
Une fois de plus, notre pauvre humanité, dont l'ambition était de canarder pacifiquement les astres, n'aura fait que cracher en l'air pour que ça lui retombe sur le nez !

Bernard Gervaise, « Les Gaîtés de la semaine », in Le Quotidien de Montmartre n° 36 daté du 11 mai 1930.


Dans le n° 37 daté du 18 mai 1930 Bernard Gervaise, toujours dans la rubrique "Les Gaîtés de la semaine", imagine le futur de Paris en l'an 1970. L'anthologie Paris Futurs porte sur ce même thème: que deviendra la capitale dans l'avenir?

Des calculateurs, non dénués d'imagination, ont imagine de dresser une sorte de recensement de la population parisienne en 1970. A cette époque, la capitale et sa banlieue compteront huit millions d'habitants, pas un de moins.
Ce chiffre a été établi de façon scientifique, en appliquant le calcul des probabilités aux données de la statistique. Depuis le milieu du dix-huitième siècle, le nombre des Parisiens double environ tous les cinquante ans. Ils étaient cinq cent mille en 1770, un million en 1820, deux millions en 1870, quatre millions en 1920. Ils seront donc huit millions en 1970 et un milliard en 2320, comme vous pourrez aisément vous en assurer en continuant à faire paroli de cinquante en cinquante ans.
Pour nous en tenir aux chiffres cités par les auteurs de la statistique plus haut reproduite, une chose semble à peu près certaine, c'est que la circulation déjà bien difficile aujourd'hui dans un Paris de quatre millions d'âmes (et surtout de corps) sera devenue, si nous n'y mettons bon ordre, tout à fait impossible aux huit millions de Parisiens de 1970. Conclusion : il faut trouver un remède à la crise d'embouteillage dont souffrent de plus en plus les artères de la capitale, nonobstant les divers palliatifs envisagés jusqu'à ce jour.
Ce n'est peut-être, mon Dieu, pas aussi difficile qu'on l'imagine. Voyons, pour rendre nos rues accessibles à une intense circulation, il faudrait, de toute évidence, les élargir. Mais comment ?... On a proposé de démolir Paris pour le reconstruire ensuite sur de nouveaux plans. Ce serait beaucoup de travail. Mais si l'on démolissait seulement le rez-de-chaussée des maisons en remplaçant la maçonnerie par des piliers de soutènement entre lesquels les véhicules s'entrecroiseraient avec grâce et facilité...
C'est ainsi que, pour ma part, je vois le Paris de 1970, lequel, étant de la sorte monté sur pilotis aurait en outre l'avantage de se trouver à l'abri des inondations... 

Bernard Gervaise, « Les Gaîtés de la semaine », in Le Quotidien de Montmartre n° 37 daté du 18 mai 1930.

Dans le n° 38 du 25 mai 1930 on trouve un conte pseudo-oriental, intitulé "Le vrai Mahamed Pacha", ayant pour cadre le harem de Mahamed Pacha sous la signature de Jean de Lozère, collaborateur régulier du Quotidien de Montmartre sous ce pseudonyme ou celui de André Romane. Le conte est prétexte à un texte légèrement coquin illustrant la maxime quand le chat dort, les souris dansent...

 

Suite du dépouillement ce périodique la semaine prochaine!

jeudi 20 octobre 2016

Le professeur Biccard a atteint la planète Mars (1933)

En 1933, Paris-Soir propose dans sa rubrique "Paris-Soir rit ce soir" un ensemble d'articles narrant le voyage, l'amarsissage et la découverte de la planète Mars du professeur Biccard. Il s'agit d'un hommage au professeur Auguste Piccard qui fut le premier à réaliser un vol stratosphérique en 1931.
L'apparition d'un passager clandestin n'est pas sans annoncer Objectif Lune - On a marché sur la Lune d'Hergé. 
Comme le montre la capture de la demi-page du journal, l'ensemble est composé de plusieurs petits articles illustrés par des montages photographiques.

 
Le premier article est celui qui apparaît au centre et annonçant l'arrivée du professeur Biccard sur la planète Mars:


On se souvient des incidents qui marquèrent la nouvelle sensationnelle que, seuls dans la presse, nous annoncions il y a trois jours : le professeur Biccard, accompagné de ses aides, MM. Clovys et Kappet, après s'être enfermés dans une « herzosphère » s'étaient fait lancer par une catapulte électro-magnétique.
Le but de leur voyage ? La planète Mars.
Immédiatement la foule assiégea nos bureaux. Des milliers et des milliers de personnes réclamaient des détails. De tous les points du monde, des télégrammes nous parvenaient, demandant confirmation.
Car le secret du départ avait été bien gardé, et seul, un de nos reporters, M. Saint-Mart avait pu, soigneusement caché, y assister.
Et à cette foule, à ces télégrammes, nous ne pouvions que répondre :
Nous confirmons la nouvelle du départ du professeur Biccard pour la planète Mars.
Aujourd'hui, nous pouvons annoncer triomphalement :
Pour la première fois, un homme a atteint la planète Mars. Le professeur Biccard a réussi dans sa tentative.
Nous publions, ci-dessous, les premiers « marsogrammes » qui nous ont été envoyés par notre collaborateur Paul Renaud, qui a réussi à s'embarquer dans l'herzosphère comme passager clandestin.

Suit un photomontage accompagné d'une longue légende:

Notre envoyé spécial a pu placer son appareil téléphotographique à l'orifice de la lunette géante qui permet au directeur de l'Observatoire de Mzel (Mars) de voir ce qui se passe sur la Terre. Voici la photo unique qu'il a pu obtenir en dirigeant le supertélescope sur Paris. On remarquera que, grâce à un procédé dont les Martiens gardent jalousement le secret, les principaux monuments de notre capitale ont pu être groupés dans la lunette d'observation. Malheureusement, il n'a pas encore été possible d'obtenir des vues « à l'endroit ». On obvie, dans Mars, à cet inconvénient — somme toute minime - en procédant aux observations la tête en bas. 

Sur la droite, un article explique comment les voyageurs sont arrivés sur Mars:

 
Je ne vous conterai pas le voyage. Les voyages heureux n'ont pas d'histoire. Sachez seulement que lorsque je fus découvert par Kappet, le second aide du professeur Biccard, notre herzosphère se trouvait déjà à 3.680 kilomètres de la terre.
Amené devant le professeur, celui-ci se borna à dire :
- Cela ne m'étonne pas. Il y a toujours un passager clandestin dans les raids dangereux.
Puis il ajouta simplement, montrant ma cigarette.
-Allez... et ne fumez plus.
Durant tout le voyage, il ne s'occupa que de ses instruments de bord.
Le voyage dura exactement trois jours, deux heures, 6 minutes, 11 secondes, c'est-à-dire environ une heure de moins que le temps prévu par le professeur Biccard. Aussi celui-ci, qui faisait un brin de toilette en prévision de notre arrivée, se montra-t-il d'assez méchante humeur quand — par distraction, ayant regardé dans le périscope au lieu de se regarder dans la glace — il s'aperçut que nous étions sur le point... d' « amarsir » (si j'ose écrire).
Par le plus favorable des hasards, nous nous posâmes en pleine campagne, sans -aucun dommage. Mais, à peine étions-nous sortis de notre herzosphère, à peine nous étions-nous dégourdi un peu les jambes, à peine avions-nous, remarqué avec étonnement que nous étions sur un champ où l'on cultivait... des... pâtes alimentaires, qu'un bourdonnement se fit entendre.
Par une route — analogue à nos belles routes de France — une foule de Martiens arrivaient, à grande allure, chacun d'eux étant à califourchon sur une machine assez semblable aux bicyclettes, mais où les roues seraient remplacées par des patins : les routes sont si bien faites qu'on n'y roule pas : on y glisse.
Les Martiens — qui ont la même contexture que les humains — nous reçurent avec de grandes marques d'amabilité…
Il était facile de prévoir que nous ne pourrions nous comprendre.
Heureusement, après quelques, minutes, le professeur Biccard, qui est vraiment un homme extraordinaire, eut l'idée de prononcer quelques mots en... français.
Aussitôt, à notre grand étonnement, un Martien âgé et d'aspect vénérable, se détacha du groupe et nous dit... dans notre langue :
Messieurs, je suis heureux de voir que, sur la Terre, on étudie aussi les langues mortes. Cela nous permettra de nous entendre.
(Ainsi, dans Mars, la civilisation est-elle beaucoup plus avancée que chez nous, puisque la langue la plus riche de la Terre n'y est plus qu'une langue morte.)
Puis il se présenta :
M. Wlatiscoque, directeur de l'Observatoire de Mzel.
Une heure après, nous faisions, dans Mzel, une entrée triomphale.
Dix minutes après, nous allions nous coucher.
 Les Terriens peuvent assister à un grand spectacle martien, la planète Mars portant le nom de Mzel en fait.

 
Nous avons assisté à une représentation de gala au Grand Opéra de Mzel.
Cette représentation était donnée — en toute modestie — en notre honneur, et aussi à l'occasion du progrès considérable qui vient d'être réalisé en Marsouinie, dans l'art dramatique.
Jusqu'à présent, en effet, toutes les représentations publiques avaient lieu, dans Mars, à l'aide de ce qu'on appelle - sur Terre — le cinématographe.
Or, depuis de nombreuses années, les Martiens cherchaient un autre moyen pour donner des spectacles.
C'est ainsi que, peu à peu, ils sont parvenus à simplifier cet appareillage compliqué.
Ils ont d'abord supprimé ce qu'on appelle ici « Laikran », puis ils sont arrivés à supprimer ce qu'on nomme, en martien. « La Pareille Deprot-Jaiklion ». De progrès en progrès, les savants, au lieu de montrer au public l'image des artistes, sont enfin parvenus à montrer les artistes eux-mêmes.
C'est à la première représentation où les artistes jouaient directement devant les spectateurs que nous étions conviés.
Disons immédiatement que tout se passa le mieux du monde et que la nouvelle invention fonctionna magnifiquement.
Un éclatant succès salua, à la fois, les vaillants artistes et les ingénieux inventeurs.
A la sortie de l'Opéra, on nous emmena dans un studio spécialisé dans les rétrospectives. Et l'on nous projeta le genre de spectacle qui précédait celui que nous vîmes ce soir : des images mouvantes et parlantes !
Et cela nous sembla bien désuet. 




Enfin, l'envoyé spécial de Paris-Soir peut livrer quelques nouvelles de la planète rouge:


Voici quelques « Petites Nouvelles » que nous envoie notre envoyé spécial dans Mars. Il nous transmet fidèlement les « Petites Nouvelles » d'un journal martien (« En avant… mars », pour préciser), afin que nos lecteurs puissent se faire une idée plus exacte de ce qu'on appelle déjà « la Planète-Sœur ».

Par suite d'une forte hausse dans le prix des produits chimiques servant à fabriquer artificiellement la « pomme de mars », ce précieux tubercule ne se produit plus qu'en infimes quantités. Une conférence internationale va se réunir à Mzel pour envisager les mesures à prendre.

L'arrivée des Terriens dans Mars a déjà été la cause d'un progrès dans la civilisation martienne. Interrogé par une journaliste de modes sur la signification d'un objet qu'il portait au bras, le professeur Biccard a expliqué que c'était un « parapluie ». Cet ustensile a été immédiatement adopté par nos élégantes... bien que ce qu'on appelle « pluie » soit complètement inconnu ici. Il paraît que le... « parapluie » peut aussi servir au cours des querelles de ménage. On verra bien...

Publié dans Paris-Soir, n° 3488 daté du 24 avril 1933.

A lire:
JH Rosny Ainé, Les Navigateurs de l'infini, collection ArchéoSF (un classique de la littérature martienne)
Allo ! la planète Mars, s.v.p. (anthologie), collection Sérendipité, éditions Bibliogs