Clément
Vautel a livré plusieurs textes conjecturaux. Dans l'article qui
suit il rapporte les commentaires de Frédéric Joliot-Curie lors de
la projection de films d'anticipation au musée de l'Homme en 1940.
Le conservateur Clément Vautel fait part de ses réflexions sur le
progrès humain et sur la possibilité de quitter une planète Terre
épuisée pour conquérir d'autres mondes.
MON
FILM : DU PAIN SUR LA PLANCHE
Des
films d'« anticipations » — genre facile — viennent
d'être présentés au musée de l'Homme, et M. Joliot-Curie les a
accompagnés de commentaires. Étant un savant, il n'a pas manqué de
proclamer que la science était la meilleure des choses. (A vrai
dire, tous les savants ne sont pas de cet avis-là)
L'homme
n'a guère que quarante ou cinquante mille ans, a déclaré M.
Joliot-Curie, mille générations au total. Et malgré tous les
malheurs présents, n'a-t-il pas une vie plus facile que l'homme
préhistorique ?
Personne
ne peut préciser, même à dix mille ans près, la date à laquelle
est apparu, sur la terre, le premier de ces messieurs, suivi sans
doute de très près par the first lady in the
World ! N'importe,
admettons la chronologie de M. Joliot-Curie et disons-nous :
— Nous
avons tout de même progressé depuis quatre ou cinq cents siècles.
Ah ! l'humanité n'a pas gâché son temps !
Seulement,
qu'elle continue à progresser dans le même sens et nous finirons
par nous retrouver à l'âge des cavernes. Nous y sommes déjà un
peu. Nos cavernes sont perfectionnées — casemates de la ligne
Maginot, caves-abris, etc. Mais c'est un revenez-y au genre
d'existence qu'on menait aux âges préhistoriques. Encore les hommes
de ce temps-là ne se battaient qu'avec des haches de silex — les
veinards ! — et les femmes, si elles étaient déjà vêtues
de peaux de bêtes, ne portaient pas du vulgaire lapin.
Un film
de H. G. Wells, a inspiré à M. Joliot-Curie des propos très
intéressants sur nos futures relations avec les autres mondes. Ça
commencera par l'envoi d'un projectile dans la lune. Charmante façon
de faire connaissance avec notre blonde voisine ! Jules Verne y
avait déjà pensé, mais son obus capitonné transportait Nadar,
spirituel Parisien bien fait pour arranger les choses après une si
discourtoise prise de contact.
Puis
nous nous occuperons des planètes. Pourquoi chercherons-nous à
entrer en relations avec ces sœurs célestes qui sont tout de même
des parentes éloignées ?
Parce
que, a dit M. Joliot-Curie, la terre aura un jour épuisé ses
ressources d'énergie.
La vie
biologique n'y sera plus possible. Si l'on désire conserver la race,
il faut envisager un départ pour les autres planètes.
Oui,
mais voilà, faut-il conserver la race ?
Au
surplus, la théorie de l' « espace vital » — M.
Joliot-Curie l'a empruntée, me semble-t-il — ne sera peut-être
pas admise par les planètes. Et voilà la guerre allumée. La
première guerre intermondiale !
Elle
aura, quoi qu'il arrive, cet heureux résultat : les Terriens
cesseront de se battre entre eux comme des idiots.
Clément
Vautel, « Mon film. Du pain sur la planche », Le Journal,
n°17282, 13 février 1940