Dans le n° 54 (daté du 27 mars 1929), on découvre un article abondamment illustré sur M. Belin, prétendument inventeur de la machine à prévoir l'avenir, c'est à dire la télévision qui permet non seulement de voir à distance mais aussi de voir dans l'avenir! Nous voici plongés en l'an 1949, soit vingt ans dans le futur!
Comme tous les autres articles de ce numéro, il s'agit en fait d'un canular pour le 1er avril...
La
Machine à prévoir l'avenir
Le
génial inventeur, M. Belin, et son mystérieux appareil qui projette
sur un écran la vision de l'avenir.
C'est
par le plus grand des hasards que j'ai pu connaître ce qui va
suivre. J'étais l'autre jour chez M. Belin, l'illustre et charmant
inventeur de la télévision, qui a donné déjà tant de merveilles,
et qui avait bien voulu nous réserver un accueil particulièrement
aimable lorsqu'il avait su que nous venions lui demander, pour les
lecteurs de VU, quelques éclaircissements sur ses dernières
trouvailles.
– En
somme, lui avons-nous dit, que peut-on voir exactement par la
télévision ?
M.
Belin nous fit entrer dans son laboratoire au bord de la Seine, et
sourit mystérieusement.
– Nous
entendons bien, lui dîmes-nous, que télévision veut dire :
vision à distance,
et nous avons vu de remarquables, d'étonnantes photos transmises par
ce procédé, dont tous les grands quotidiens disposent maintenant.
Mais après ? Mais encore ? Et quelle est la limite de la
distance ?
–
Il
n'y a pas de limite, nous dit vivement M. Belin en nous arrêtant. Et
vous semblez croire que télévision veut dire seulement :
vision à distance dans
l'espace.
Ma parole, c'est extraordinaire ce que le public est mal informé par
les journalistes. Télévision signifie : vision lointaine, dans
l'espace ou dans
le temps.
Vous avez bien saisi ces trois mots : dans
le temps ?
– Eh
quoi ? Dîmes-nous, le passé serait-il donc visible ?
– Ne
me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Non, je n'ai pas le
pouvoir d'évoquer n'importe quelle époque. Le siècle de Louis XIV,
par exemple, est trop loin de nous ; je puis aller facilement
jusqu'à M. Thiers, mais cela ne vous intéresserait guère,
j'imagine ; et peut-être préféreriez-vous que nous
tournions mon objectif vers l'avenir ?
– Votre
avenir personnel, m'a dit alors M. Belin, avec une certaine ironie,
n'aurait d'intérêt que pour peu de gens. Voulez-vous savoir ce que
sera, par exemple, la France dans cent ans ?
– Vous
pourriez me montrer cela ? m'écriai-je ?
– Pas
l'ensemble, dit-il, mais des détails ; après tout, la colombe
de l'arche ne rapporte pas tout l'Arrarat, mais une simple feuille.
Un détail fait prévoir l'ensemble… Voyez, rien n'est plus facile.
Vous n'avez qu'à tourner ce cadran comme sur un téléphone
automatique, ou un appareil de T.S.F. Composez vous-même le numéro
de l'année dont vous désirez que le spectacle vous soit donné…
– Vingt-cinq
ans ? Dis-je. Vingt, ne serait-ce pas assez ? 1949 ;
mais hélas, combien de nos contemporains…
– Rassurez-vous,
me dit M. Belin, presque tous, sauf un grand nombre de piétons,
seront encore jeunes et vigoureux. En effet, M. Voronoff aura
simplifié son système. Une seul injection, et notre existence sera
prolongée de soixante ans…
«
Que voyons nous ?
Les
yeux béats d'espoir, je contemplais l'écran révélateur.
– Voilà
M. Poincaré, dis-je.
– Lui-même,
fit M. Belin. Après avoir fait appel à MM. Herriot, Marty et Blum,
le président sera revenu à M. Poincaré, pour la satisfaction
générale du peuple français.
– Mais
il me semble que son âge…
– Ne
vous ai-je pas dit que l'âge n'aura plus aucune importance ?
– Et
cette autre foule que je vois ici ?
– Le
rassemblement quotidien autour du cheval du Jardin des Plantes.
– Mon
Dieu, dis-je, si c'est cela l'avenir…
M.
Belin eut un sourire, peut-être de pitié, et coupa le courant…
Lorsque
nous fûmes revenus de notre émotion, nous étions déjà loin. Et
malgré l'irrécusable témoignage des photographies, tout ce que
nous venions de voir nous paraissait à nous-mêmes si incroyable
qu'il nous fallut pour en tenter le récit un courage que nos
lecteurs apprécieront.
Hervé
Lauwick
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