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mercredi 25 septembre 2019

L'an 2000 (en Egypte), 1931

En septembre 1931, le périodique Images, hebdomadaire égyptien paraissant le dimanche, en langue française, reprend un article paru dans Al Dunia, journal égyptien arabe. Il s’agit d’un extrait d’un numéro spécial « An 2000 » comme cela se faisait régulièrement aussi en Europe.
L’article d’Images est illustré de photo-montages sans doute repris de la publication originale. Le texte sélectionné par Images présente, à travers le regard rétrospectif d’un vieil homme (il a 140 ans), les classiques évolutions dans le domaine des transports (chacun possédant son avion), le téléphone sans fil, la visio-conférence, le développement de l’éducation et son corollaire, l’émancipation des femmes ou encore le développement économique de l’Égypte.
L’intérêt réside dans le fait que ce soit un pays comme l’Égypte (et non pas une nouvelle fois un pays occidental) qui apparaisse dans ce texte car ces anticipations non américaines ou européennes sont relativement rares.




L’An 2000

Notre confrère arabe « Al Dunia » a publié un numéro spécial consacré à l’an 2000. La fantaisie de ses rédacteurs s’y est donné libre cours mais une fantaisie logique, prévoyant le développement normal que doivent suivre nos mœurs, le progrès mécanique, les voyages, l’art, la science, etc.

Il faut avouer que le tableau d’ensemble que notre confrère a donné de l’an 2000 est des plus curieux et l’on n’a qu’un regret, c’est d’être convaincu qu’on ne sera pas en vie à cette date pour jouir de toutes ces inventions qui contribueront à agrémenter le fil des jours.



De ces articles de visionnaires, nous en extrayons un qui prend l’accent de la réalité et du vraisemblable, sous la forme de l’humour le plus sérieux.

Interview d’un centenaire en l’an 2000

« A Boulac, au quartier Al Riad, dans le coin appelé il y a un demi-siècle « Puits du Meche » et auquel on arrive par le métro souterrain, habite Hag Ebeid Abou Chadouf. C’est un homme âgé de cent quarante ans et les journaux ont célébré sa vigueur physique, l’acuité de sa vue, la jeunesse de son esprit et la fraîcheur de sa mémoire. Ses souvenirs sont comme des photographies que le temps n’a pas altérées, il évoque le passé avec couleur et minutie, particulièrement cette année 1930 qui a joué un rôle décisif dans l’évolution de l’Humanité, tout au point de vue social qu’économique et politique.
A ce jeune vieillard, nous demandons quelques souvenirs sur 1930 et après avoir poussé un soupir d’ennui, car ces journalistes sont tellement importuns et encombrants, Abou Chadouf prend la parole.

« Voulez-vous comme certains de vos confrères indiscrets des détails sur le secret de ma longévité, la variété de mes amours ou un historique de la fameuse crise constitutionnelle qui, en 1930, divisa l’Egypte en deux camps ennemis, dressant le frère contre la frère.
En ce moment, une charmante jeune fille entra – Grand-papa, dit-elle, mon frère a volé mon avion du garage et et j’en avais besoin pour assister au championnat de natation qui aura lie dans une demi-heure à Alexandrie.
– De quel côté est-il parti et à quelle vitesse ?
– Du côté sud, faisant 500 milles à l’heure.
– Soit… et décrochant un petit instrument, un récepteur de téléphonie sans fil, il se mit en rapport avec le frère volant dans les airs et lui ordonna de retourner à l’instant, sinon gare.
– Croyez-vous, nous dit-il, qu’en 1930 on comptait sur les doigts de la main ceux qui possédaient des avions et les Égyptiens étaient assujettis à des lois très sévères en ce qui concernait les voyages aériens. Il n’y avait pas la liberté absolue d’aujourd’hui.
Quant aux communications orales, nous ne connaissions pas encore la téléphonie sans fil. Il nous fallait nous servir d’un appareil relié à un central desservi par des demoiselles qui nous rendaient fou de rage avant de donner le numéro. C’est au téléphone et à ses demoiselles, qu’on le grand nombre de maladies nerveuses et mentales enregistrées vers l’année 1930. Les asiles d’aliénés y firent fortune, malgré la crise.
– Quelle crise ?
– Une crise économique, la baisse des prix du coton…
– Qu’est-ce que c’est que ça, le coton ?
– C’était une plante qu’on tissait, que toute l’Égypte cultivait, limitant sa fortune à ce coton. Vous en trouverez un échantillon au Musée ; il a fallu la crise de 1930-31 pour ouvrir les yeux aux Égyptiens et les faire varier leurs ressources. Mais l’alerte avait été chaude…
– Quels étaient vos moyens de transport ?
– Ils étaient des plus comiques ; pour l’intérieur des grandes villes, des grosses voitures mues à l’électricité, sans confort et sans sécurité. On savait qu’on prenait le tram mais on n’était jamais sûr d’arriver sain et sauf. Aussi la société d’assurance contre les accidents des Trams fit-elle une retentissante faillite, ayant eu à payer trop de primes aux innombrables victimes. Le peuple qui aime s’amuser de tout avait appelé ces voitures « le cadeau du gendre à la belle-mère. Un autre moyen de transport était l’autobus…


– Quel drôle de nom. Et la vie sociale ?
– En 1930, elle fut marquée par un grand mouvement de modernisation et en 1950 nous faisions l’admiration de l’Occident. En 1930, nous n’avions qu’une université, semblable à l’école du village de Kom-Ombo. Comme jeunes filles étudiantes, il n’y en avait pas une dizaine et nous luttions contre le mélange des filles et des garçons… Aujourd’hui, il y a un nombre incalculable de femmes avocates, juges, ministres, etc.
L’instruction publique, grâce à l’enseignement obligatoire, fit ensuite tant de progrès qu’en 1965, on enterra en grande pompe le dernier Egyptien qui ne savait pas lire et écrire, faisant disparaître avec lui le vestige de cette ignorance dont on nous accablait en 1930. Quant à notre flotte, nous n’avions pas en ce temps un seul grand bateau égyptien. Maintenant le drapeau vert au blanc croissant sillonne toutes les mers, allant d’une colonie égyptienne à l’autre, apportant le salut de la mère patrie.

Abou Chadouf dut interrompre l’interview. Sur l’écran de l’appareil de télévision venait de se profiler la maison de campagne qu’il faisait construire à Dongola et l’ingénieur lui demandait de venir. Il prit son avion-limousine et s’envola pour le Soudan.

Images. Hebdomadaire égyptien paraissant le dimanche n° 103, 6 septembre 1931.


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