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vendredi 16 septembre 2011

Jean d'Orsay, Voulez-vous savoir comment l'on vit dans la planète Mars

Au XIXe et au XXe siècles la question l'habitabilité de Mars semblait positivement réglée. Le 21 février 1912, en première page du grand quotidien Le Matin, on pouvait lire le texte qui suit dans lequel une haute autorité scientifique expliquait même la vie sur Mars. Pétri des connaissances scientifiques, biologiques mais aussi de la religion de son époque, il livre là une vision somme toute logique mais très "terrocentriste". Le Matin offre en sus une illustration de Martien tout à fait intéressante.


Voulez -vous savoir comment on vit dans la planète Mars ?
Rien de plus simple, et M. Edmond Perrier, directeur du Muséum, va vous le dire

Nous savions déjà qu'il y avait des canaux dans la planète Mars. M. Edmond Perrier nous assure, aujourd'hui, qu'il y a là-haut toute une civilisation qui, si nous la connaissions, ferait honte à la nôtre. Le savant directeur du Muséum n'a pas vu cela dans les astres, comme vous le pourriez croire, mais tout simplement dans son cerveau de penseur. Il a imaginé, rêvé, vérifié. Et le résultat de ses trouvailles fut exposé par lui dans un opuscule récent La vie dans les planètes. Etait-il sérieux ? Avait-il voulu rire de nous, et de lui ? Nous aillâmes le lui demander, dans le pavillon qu'il habite au centre du Jardin des Plantes, comme, un dompteur-jardinier qui gouvernerait, en l'observant, un peuple d'animaux et une forêt d'arbustes.
M. Edmond Perrier est gai. C'est un savant qui fait et qui dit, en s'amusant, des choses très sérieuses, II parle avec rapidité, précision, élégance, et conte, avec un petit air dégagé, très impressionnant, un tas de choses précises et légères, documentées et paradoxales qui vous ravissent et vous déconcertent. C'est un savant, puisqu'il est membre de l'Institut, mais c'est aussi un humoriste. Il est délicieux.

- Un de mes amis, nous dit-il, me posa un jour, à brûle-pourpoint, cette question « Avez-vous jamais songé à la forme qu'ont les animaux, dans Jupiter ? Et voilà pourquoi, remontant aux origines de la vie, j'ai tenté de savoir. La vie qui anime la Terre anime pareillement les autres planètes. Parce qui se passe chez nous, nous pourrons deviner ce qui se passe ailleurs, en examinant les conditions précises où se trouve chaque planète par rapport à la nôtre ayant précisé et rien n'est plus facile leur position dans l'espace, leur situation d'atmosphère, de densité, leur état général, nous pourrons arriver à de sérieuses probabilités. Et ces études achevées, voici ce que j'ai conclu en pure logique:
« Sur les planètes les plus éloignées, il est impossible qu'il existe des êtres vivants, car aucun organisme n'a pu, par exemple, se former dans les mers alcalines de Jupiter, tandis que Mercure, trop près du Soleil. ne saurait engendrer la vie. Seuls Vénus, la Terre et Mars sont habitables ils sont ou seront habités. Je m'explique.
« Il y a une cause, l'existence de l'Univers, une cause qu'on ne peut nier et à laquelle il y aurait puérilité à refuser un nom tout simple Dieu. Dieu n'est pas un être de caprice, il a des lois de création définitives, éternelles. En nous éclairant à la lumière de ces lois, nous remarquerons que, chez Vénus, la température, les dimensions, la densité se rapprochent de la Terre les saisons y sont peu accusées cette planète est, aujourd'hui, dans les conditions de notre propre planète à l'époque primaire, parce que Vénus est plus jeune que la Terre il n'y a point encore d êtres humains,, mais des reptiles et des insectes énormes pareils à ceux de notre période carbonifère période d'attente, avec des plantes à fleurs ébauchées et qui, lentement, se développera. Vénus demeurera toujours plus chaude que la Terre et traversera plus tard les mêmes phases mais tout autre est Mars
Alors, Mars c'est la grande vie ? .-Mars, c'est la grande vie, intense, formidable Sa température moyenne n'est plus que de 9° au lieu de 26° sur la Terre, mais les écarts considérables dé température et l'évolution des saisons y provoquent un développement énorme des êtres et des choses. L'année de Mars a une durée double de la nôtre (668 jours 1/3), et les plantes ou les insectes disposent donc d'un temps double pour leur évolution herbes hautes, fruits gigantesques, et instinct d'autant plus parfait que la durée d'existence développe l'intelligence. Les oiseaux ont un luxuriant plumage ils sont vastes, parés de couleurs abondantes, et ils ont atteint un degré de perfection inconnu pour nous. Mars est donc le pays des plantes immenses, des fleurs somptueuses, des oiseaux à grande voix et aux magiques aspects, des mammifères à l'épaisse toison. Les animaux y sont légers, élancés, rapides, très hauts sur pattes, et les ours y ont pris l'aspect de prompts lévriers. C'est un pays d'enchantement !
Et les hommes ? Et les femmes ? Comment les voyez-vous ?
« La, faible tension atmosphérique a produit là-bas un développement considérable de l'appareil pulmonaire et l'allure générale des vertébrés martiens a été influencée par ce développement inconnu sur la Terre. Dès lors je conclus, que les hommes il y a des hommes, puisqu'il y a des animaux, donc des singes, qui ont évolué doivent être imaginés ainsi, conformes à la nécessité scientifique
« On peut imaginer que les hommes de Mars, grands parce que la pesanteur y est faible, blonds parce que la lumière y est atténuée, ont quelque chose, avec plus de gracilité des membres, de nos Scandinaves, et ont aussi probablement le crâne plus élargi.
Leurs yeux bleus sont plus grands et doués d'une faculté d'accommodation plus étendue leur nez est également plus fort, leurs pavillons auditifs plus grands. Leur tête volumineuse, leur vaste poitrine, leurs membres longs et grêles, l'absence de taille séparant le thorax de l'abdomen leur donnent un aspect général assez différent de celui que nous présentons leurs grands yeux, leur nez puissant, à narines mobiles, leurs larges pavillons auditifs constituent un type de beauté que nous n'apprécierions sans doute pas beaucoup moins qu'il ne nous charmât par un rayonnement d'intelligence que l'on pourrait qualifier de surhumain. Sans gorge, sans taille, pourvues de larges hanches proportionnées à la durée de la gestation, les compagnes des Martiens paraîtraient fort disgracieuses aux élégantes de nos boulevards. »

M. Edmond Perrier nous avait dit « Mars est le pays de la beauté. » Nous lui demandâmes s'il y croyait la vie harmonieuse et douce. Et il nous répondit qu'il voyait le Martien en possession de la plus splendide civilisation: il a laissé la Nature faire son œuvre et il a conquis de vivre en accord avec tout ce qui l'entoure les animaux ne le fuient plus et il n'a rien à en redouter ; les Martiens connaissent les plus nobles satisfactions intellectuelles et les plus suaves émotions.
Disant ces choses fabuleuses, M. Edmond Perrier souriait. Il ne riait pas, mais il souriait avec une gravité mystérieuse et il pensait assurément que nous devrons bien le croire, puisque nous ne pourrons aller voir.
Jean d'Orsay.



Source du texte: Gallica
Ce billet est publié dans le cadre du challenge Summer Star Wars lancé par Lhisbei et du Défi martien de Guillaume.

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