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vendredi 12 avril 2013

Patrice Boussel, Préhistoire du métro (1950)

Avant les premiers percements pour construire le métro parisien, divers projets furent avancé dès 1845 notamment de chemin de fer dans Paris.
Ces projets n'ont jamais abouti bien sûr mais on en garde des traces comme à travers cet article paru en 1950 qui nous rappelle un demi-siècle de préhistoire du métro.



Préhistoire du métro

[...]
Comme nous l'annoncions il y a un mois, nous avons voulu, après avoir étudié le sous-sol parisien tel qu'il s'est lentement creusé au cours des âges, présenter un panorama d'ensemble des projets d'aménagement du sous-sol et du « tréfonds » de Paris, projets élaborés afin de remédier à l'accroissement de la circulation.
Consacrant ce deuxième article au « Paris souterrain futur», on pourra s'étonner qu'il soit précédé d'une petite revue des projets, déjà oubliés, de construction et d'aménagement du chemin de fer métropolitain de notre capitale. N'ayant pu insérer ces quelques pages à la fin de notre précédent article, nous n'avons pas hésité, cependant, à le faire paraître en tête des projets d'avenir d'autoroutes et de parkings souterrains. Nous n'avons pas voulu faire œuvre de moralistes, mais seulement sacrifier à notre goût du pittoresque.

Que nos confrères de la revue Le Monde Souterrain et du G. E. C. U. S. (Groupe d'Etudes et de Coordination de l'Urbanisme Souterrain) veuillent bien voir uniquement, dans l'ordre adopté, l'expression d'une très amicale malice ! Et qu'ils veuillent bien trouver ici, notamment M. Utudjian, directeur du Monde Souterrain, nos remerciements pour l'aide qu'ils nous ont apportée pour l'illustration de l'article de M. Pierre Devaux.

Le 19 juillet 1900, à trois heures de l’après-midi, le ministre des Travaux Publics, Pierre Baudin, accompagné du préfet de la Seine, des secrétaires géné­raux, du directeur et des administrateurs de la Compagnie du Métropolitain, visitait la première ligne et la parcourait, de la porte de Vincennes à la porte Maillot.
Les Parisiens avaient enfin leur métro ! Ils attendaient depuis plus de cinquante ans.
En 1871, la ville se relevant à peine des ruines de la guerre, le Conseil général et le Conseil municipal se préoccupèrent du développement des moyens de circulation et les études faites aboutirent à un projet de chemin de fer souterrain tout à fait analogue à celui qui devait être réalisé ; alors, pour la première fois, était employé ce nom de Métropolitain.
l^es difficultés techniques étaient consi­dérables et paraissaient à beaucoup surhu­maines, mais ce ne furent pas elles qui arrê­tèrent d’abord l’exécution. Les intérêts contradictoires qui se trouvaient en jeu retardèrent près de trente ans le premier coup de pioche.
L’Etat voulait donner au réseau projeté un caractère d’intérêt général en faisant une jonction entre les grandes lignes ; la ville de Paris entendait satisfaire avant tout les besoins de la population parisienne, par un chemin de fer construit à ses frais, sous sa dépendance exclusive et classé dans les che­mins de fer d’intérêt, local. La commission préfectorale du 16 novembre 1871 déclarait : « Une ligne métropolitaine traversant Paris doit être stratégique »... et il n’est pas jus­qu’aux cabaretiers qui ne dirent leur mot.

LES MARCHANDS DE LIMONADE CONTRE LE MÉTRO
Le syndicat de l’Alimentation parisienne —- c’est-à-dire les restaurateurs, limona­diers, liquoristes et cabaretiers par la voix d’un conseiller municipal, déclara en effet, le 9 janvier 1895 : « Oui, avec votre métropolitain, toute la vie des boulevards, des grandes artères disparaîtrait. Les négo­ciants, les fabricants, les ouvriers, au sortir de leurs bureaux, de leurs ateliers, n’auront qu’un objectif : courir bien vite prendre le chemin de fer... Oui, la classe ouvrière ne sera plus qu’une masse de travailleurs qui n’aura qu’une pensée : prendre le train pour se rendre à son domicile. Ce ne seront plus des êtres intelligents, ce seront des bêtes de somme. En résumé, la physionomie de Paris détruite, les magasins ruinés, les petits débitants fermant boutique, la vie intellectuelle n’existant plus, les contribu­tions directes ou indirectes frappées au coeur, il n’y aura plus de Paris ! »
Cette déclaration enleva le vote et, le len­demain. certains conseillers expliquèrent même à leurs électeurs qu’ils avaient repous­sé le Métropolitain pour ne pas « favoriser le mouvement d’émigration ouvrière hors Paris et diminuer les recettes de l’octroi».
Le Métro se fit pourtant, malgré toutes les objections et malgré tous les obstacles. Bien mieux, ce Métro fut souterrain et ses constructeurs ne craignirent point de braver les dangers, les impossibilités qui leur avaient cependant été signalées maintes fois.

QUELQUES OBJECTIONS...
Les passages souterrains? mais, « en plein été, l’homme le plus robuste y descen­drait bien portant à la barrière du Trône et en remonterait avec une fluxion de poi­trine à Montmartre», écrivait Arsène Olivier en 1872. « Si dans les sables mouvants. il se produit des affouillements,... quelle indemnité ne devra-t-on pas verser aux riverains?»
« Les vases de Paris, remuées sur une grande longueur, peuvent causer des épidé­mies. A combien de maladies et d’accidents seraient exposés les ouvriers employés si longtemps à ce travail souterrain?
« L’envahissement des eaux de la Seine, du canal, des nappes souterraines, les inon­dations pendant la construction et l’exploi­tation, présentent des dangers tout aussi sérieux... ». ajoute Louis Heuzé en 1878, et il conclut par cette formule :
« A l’adjectif métropolitain, le Parisien substituerait bien vite celui de « nécropolitain » pour un chemin de fer obligeant le public à descendre, par de longs escaliers dans de véritables catacombes»
En 1886, MM. Dupuis, Vibart et Varrailhon, après avoir eux aussi, critiqué les tunnels, « horreur de la locomotion, avec leurs trous humides et boueux pour y arri­ver et en sortir», après avoir signalé les difficultés du percement, les épidémies qui en résulteraient (où déposer ces déblais qui sèmeraient la mort dans un grand rayon autour de leur lieu de dépôt?), imaginent ce que serait ce métro souterrain : « Figu­rez-vous, après être descendu à 15 mètres par un escalier glissant, entre des murs toujours humides et sales, arrivant sur un trottoir mouillé, entre un mur et des piliers dont il ne faudrait pas s’approcher, recevant les suintements d’eau de la voûte, ne pou­vant pas vous asseoir sur les bancs humides malgré l’entretien, entrant dans des wagons ruisselant toujours, etc., etc... Voilà l’aspect des gares souterraines...
« Et dans quelle condition oserait-on descendre dans ces souterrains ? Il ne fau­drait pas être en sueur car la mort vous atteindrait à la station que vous auriez choisie pour votre course.
« Et que deviendraient les malheureux employés obligés de faire le service? Ils seraient promptement perclus par des affections rhumatismales de la pire espèce. »
Pour être tout à fait objectif, il convient de signaler une opinion toute différentel et de même valeur soutenue dans supplément illustré du Matin, le 10 mai 1900, donc avant l’inauguration. Selon journaliste, dans le Métro, « Il y aura une lueur brillante toujours égale, un calme perpétuel, que ne troubleront ni les orage ni les pluies, ni les bourrasques. Ce soit l’éternel midi d’un printemps merveilleux: « Oui, parce que la température y soit toujours uniformément douce. On sait que les sous-sols donnent là fraîcheur en été la tiédeur en hiver. Par les plus grands froids, jamais le thermomètre n’approchera même de zéro, dans la galerie d Métropolitain. Les lampes à incandescence donnent une faible chaleur qui, répandue sous les voûtes, pénétrera l’atmosphère et la rendra délicieusement agréable... »
LES PLUS ANCIENS PROJETS
En 1845, M. de Kérizouet proposait au comte de Rambuteau, alors Préfet de la Seine, un « projet d’établissement d'un chemin de fer dans l'intérieur de la ville de Paris». Ce projet, après cent cinq années, paraît encore plein de bon sens. Il s’agit avant tout de réduire l’encombrement des rues de Paris et de permettre un ravitaillement plus rationnel de la capitale.
Pour cela, il faut raccorder les grandes lignes de chemins de fer qui aboutissent à Paris. « Le chemin projeté relierait l'em­barcadère du chemin du Nord à l’embarcadère de Lyon, en utilisant une partie de la voie publique restée complétement improductive jusqu’à ce jour. Il part à la tête du chemin de Belgique, descend parallèlement à la rue d’Hauteville. en opérant le trajet en partie à ciel ouvert et il suit les boulevards intérieurs en partie à ciel ouvert, jusqu’à la place la Bastille qu'il traverse souterrainement. Il reparait à ciel ouvert au-dessus du chemin de halage du bassin Saint-Martin, qu’il traverse par un pont biais à la hauteur du chemin de Lyon. Dans son parcours il touche à l’entrepôt des douanes».
Les boulevards Saint-Denis, Saint-Mar­tin, du Temple, des Filles-du-Calvaire, etc., auraient eu évidemment une toute autre allure avec ce chemin de fer !
M. de Kérizouet prévoyait un embran­chement à l’ouest de la Porté Saint-Denis prolongeant la voie jusqu’aux Halles. Comme il le note, « dans la direction de cet embranchement, il existe des rues trop étroites pour la circulation des voitures : ces rues recevront une utilité réelle par l’établissement d’une voie de fer à niveau, construit de façon à permettre le passage des voitures ordinaires, et dont le service sera effectué de manière à prévenir toute espèce d’accident ».
Qu’on ne s’effraye point du chemin de fer souterrain, « la portion du chemin intra muros, pratiquée en contrebas du sol, serait bien moins un souterrain qu’un caveau longitudinal à ras de terre, éclairé, comme le sont plusieurs constructions, soit par des jours de côté, soit par des grilles disposées suivant l’axe de la voûte. La profondeur du caveau serait moindre que celle des fondations des maisons voisines. »
Le projet de M. de Kérizouet ne fut pourtant pas adopté, pas plus que celui présenté, dix ans plus tard, par MM. Brame et Flachat pour « amener directement par voie ferrée l’approvisionnement de Paris aux Halles centrales».
SOUCIS D’ESTHÉTIQUE
Les ennemis les plus acharnés du chemin de fer métropolitain souterrain étaient évi­demment les auteurs de projets de chemin de fer métropolitain à l’air libre, et, parmi ces projets, il en est de trop curieux pour être passés sous silence.
M. Jules Garnier propose la construction d’un chemin de fer aérien à voies superpo­sées, à établir sur les grandes voies de Paris ; M. Lartigue propose un système mo­norail, avec des guides latéraux, dont l’effet est d’empêcher toute oscillation. M. Louis Heuzé veut couper Paris en travers par un chemin de fer à air libre dans une rue spé­ciale avec passage couvert pour les piétons.
M. Arsène Olivier voudrait que le chemin de fer passât au-dessus des maisons. « Des colonnes de hauteur déterminée seraient po­sées, soit dans les cours, soit extérieurement et contre la façade des maisons. Sur le sommet serait posé un plancher en fer... Les lignes pourraient porter les noms d’une époque, d’un siècle, d’un règne ou d’une campagne... »

Dans un projet proposé en mai 1886, Messieurs Panafieu et Fabre imaginent un réseau aérien à rail unique. Ce système permet d’utiliser, sans les modifier, les voies publiques principales et réduit les expropriations. Il consiste dans l’adoption d’un rail unique, reposant sur un pilier central, et dont la hauteur peut varier suivant les rampes maxima à adopter, la distance minima du sol à la poutre étant fixée à 4,80 mètres. Le wagon moteur se compose de deux caisses de voitures, pla­cées dos à dos. Une impériale est prévue, couverte et spacieuse. Le moteur fonc­tionnerait à air comprimé.
Ce réseau « se construira sans gêner personne et, ayant apporté à l’industrie nationale un travail considérable, s’édi­fiera sans déranger un piéton, ni une voi­ture. » « C’est pour la fortune publique un accroissement certain ; c’est en même temps pour les propriétaires, pour les commerçants des rues voisines, une plus-value considérable... Quant au point de vue artistique, nous avons songé à ménager toutes les perspectives, de façon à ne pas altérer la physionomie de Paris. Notre système de poutre-rail constitue, en effet, le viaduc le plus léger qu’il soit possible de créer, et il se prête à toute ornementa­tion. »
Le point de vue artistique présente en effet, une grande importance et, lorsque la construction du chemin de fer souter­rain fut enfin décidée, la ville interdit par souci d’esthétique, d’élever aucun édicule au-dessus des trous par lesquels on accéderait au souterrain, dans tout l’espace compris entre l’Hôtel de Ville et la place de l’Etoile. Pour protéger les voyageurs dès l’entrée, entre la Porte de Vincennes et l’Hôtel de Ville, un concours d’abris fut fait entre les architectes, et « M. Guimard a fourni un modèle tout à fait imprévu et nouveau. Son édicule ressemble à une libellule aux ailes étincelantes et déployées, sous lesquelles s’abri­teront les voyageurs, pendant leur descente à l’agréable enfer du métropolitain. Ce modèle a rallié tous les suffrages, et les libellules de M. Guimard ont chance d’émer­veiller la population... Elles l’émerveillèrent et l’émerveillent encore, car sans doute constituent-elles le plus bel exemple de pur style 1900.

LE MÉTRO... A DOMICILE

Mais l’un des projets les plus étranges paraît être celui de MM. Dupuis, Vibart et Varrailhon : « L’idée capitale de notre pro­jet est celle-ci, écrivent-ils : nous n’admet­tons pas de souterrains ni de tranchées ; dans Paris nos trains circulent constamment sur un viaduc métallique.
« Ce viaduc pénètre dans l'intérieur même des pâtés de maisons, où il chemine presque uniquement, dans l’intérieur de Paris, par des ouvertures spéciales en forme de voûtes au-dessus de l’étage du rez-de-chaussée des bâtiments, laissant debout, habité et habi­table, tout ce qui n’est pas pris par le pas­sage du viaduc, c’est-à-dire la presque tota­lité des immeubles. Il ne parait sur la voie publique que pour la traverser perpendicu­lairement ; et par la disposition de nos rails, disposition également nouvelle, le bruit du passage des trains étant à peu près entièrement supprimé, sinon même complè­tement. il n’y aura ni gêne pour les habitants, ni danger pour les voitures, ce qui nous paraît être l’idéal d’un chemin de fer métropolitain... Le viaduc serait complè­tement isolé des maisons par un espace libre pour éviter la trépidation qui se ferait sentir s’il y avait contact... Ce projet, à mesure qu’on l’étudiera davantage, paraîtra de plus en plus, à tout esprit non prévenu, ce qu’il est en réalité, non seulement réali­sable. mais le seul réalisable et attrayant et beau comme tout ce qui est dans la vérité... «
Ce projet, malgré ses avantages, ne fut pas réalisé... et pourtant les auteurs avaient tout prévu. Si on leur avait objecté les en­nuis causés par la fumée... ils auraient répondu qu'on emploierait uniquement des locomotives à foyer fumivore ; « quant aux gaz et à la vapeur, ils seront entraînés dans la haute atmosphère avec la plus grande rapidité par les courants d’air très vifs déterminés par le passage des trains dans les mille petits tunnels formés par les maisons : et non seulement ils ne nuiront pas, mais les vastes ouvertures que créera le passage de nos lignes établiront dans les étroites cours des maisons traversées, une circulation d’air qui n’existe pas actuel­lement et changeront de la manière la plus favorable le régime hygiénique de ces cours et de ces maisons où la stagnation de l’air est actuellement une cause puissante de maladies et de propagation des épidémies. En un mot, notre système, au lieu d’être nuisible, sera un puissant agent d’assai­nissement... »
Parmi les projets de chemin de fer sou­terrain, deux ont paru intéressants, au moins pour leur originalité. MM. Lavalley et Rostand « établissent autant de fractions de câbles distinctes qu’il y a de voies, autant qu’il existe d’intervalles de stations. Ainsi chaque câble partiel n’est affecté qu’à une voie entre deux stations. Le câble est sans fin, c’est-à-dire qu’il est double, entourant des poulies verticales à ses deux extrémités, de telle sorte que, quand le brin moteur marche dans un sens, le brin? de retour marche dans l’autre sens. On s’y attèle à l’aide d’une pince comme dans les mines d’Angleterre ; on le prend ou on le quitte très rapidement. On installe à chaque sta­tion une machine fixe, et en outre une machine de rechange : le mouvement est transmis par la machine au câble au moyen d’embrayages à friction, qui ne permettent pas de dépasser un certain effort qu’on limite à volonté... »
M. Bergeron, lui, imagine un tube cylin­drique, de 3 à 4 mètres de diamètre, par­couru successivement dans les deux sens, par un petit train. Le train porte avec lui un écran de section circulaire comme le tube, rasant le tube de très près. Selon que, devant cet écran, on produit, à l’aide d’un ventilateur, soit un excès de pression, soit un certain vide, on refoule le convoi ou l’on l’aspire. L’écran peut être replié en partie le long des wagons, ce qui permet de faire disparaître l’action du moteur ou de la rétablir, et par conséquent de s’arrêter ou de se remettre en marche à volonté.
La commission spéciale, chargée d’étudier les divers projets, repoussa celui-ci avec ce motif : « le courant d’air intense qui serait la conséquence de la propulsion atmosphé­rique serait inacceptable dans les stations souterraines ».
Finalement, la loi du 30 mars 1898 décla­rait d’utilité publique la construction d’un chemin de fer à traction électrique, com­posé de cinq lignes formant un réseau de 65 kilomètres environ, concédé à la Com­pagnie générale de traction, qui devint la Compagnie du chemin de fer métropolitain de Paris.

Patrice Boussel, "Préhistoire du Métro", Sciences et Avenir n° 46, décembre 1950

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