Avant les premiers percements pour construire le métro parisien, divers projets furent avancé dès 1845 notamment de chemin de fer dans Paris.
Ces projets n'ont jamais abouti bien sûr mais on en garde des traces comme à travers cet article paru en 1950 qui nous rappelle un demi-siècle de préhistoire du métro.
Préhistoire
du métro
[...]
Comme
nous l'annoncions il y a un mois, nous avons voulu, après avoir
étudié le sous-sol parisien tel qu'il s'est lentement creusé au
cours des âges, présenter un panorama d'ensemble des projets
d'aménagement du sous-sol et du
« tréfonds
» de
Paris, projets élaborés afin de remédier à l'accroissement de la
circulation.
Consacrant
ce deuxième article au
« Paris
souterrain futur»,
on
pourra
s'étonner qu'il soit précédé d'une petite revue des projets, déjà
oubliés, de construction et d'aménagement du chemin de fer
métropolitain de notre capitale. N'ayant pu insérer ces quelques
pages à la fin de notre précédent article, nous n'avons pas
hésité, cependant, à le faire paraître en tête des projets
d'avenir d'autoroutes et de parkings souterrains. Nous n'avons pas
voulu faire œuvre de moralistes, mais seulement sacrifier à notre
goût du pittoresque.
Que
nos confrères de la revue
Le Monde Souterrain et
du
G. E. C. U. S. (Groupe
d'Etudes et de Coordination de l'Urbanisme Souterrain) veuillent bien
voir uniquement, dans l'ordre adopté, l'expression d'une très
amicale malice ! Et qu'ils veuillent bien trouver ici, notamment M.
Utudjian, directeur du
Monde Souterrain, nos
remerciements pour l'aide qu'ils nous ont apportée pour
l'illustration de l'article de M. Pierre Devaux.
Le
19 juillet 1900, à trois heures de l’après-midi, le ministre des
Travaux Publics, Pierre Baudin, accompagné du préfet de la Seine,
des secrétaires généraux, du directeur et des administrateurs
de la Compagnie du Métropolitain, visitait la première ligne et la
parcourait, de la porte de Vincennes à la porte Maillot.
Les
Parisiens avaient enfin leur métro ! Ils attendaient depuis plus de
cinquante ans.
En
1871, la ville se relevant à peine des ruines de la guerre, le
Conseil général et le Conseil municipal se préoccupèrent du
développement des moyens de circulation et les études faites
aboutirent à un projet de chemin de fer souterrain tout à fait
analogue à celui qui devait être réalisé ; alors, pour la
première fois, était employé ce nom de Métropolitain.
l^es
difficultés techniques étaient considérables et paraissaient
à beaucoup surhumaines, mais ce ne furent pas elles qui
arrêtèrent d’abord l’exécution. Les intérêts
contradictoires qui se trouvaient en jeu retardèrent près de trente
ans le premier coup de pioche.
L’Etat
voulait donner au réseau projeté un caractère d’intérêt
général en faisant une jonction entre les grandes lignes ; la ville
de Paris entendait satisfaire avant tout les besoins de la population
parisienne, par un chemin de fer construit à ses frais, sous sa
dépendance exclusive et classé dans les chemins de fer
d’intérêt, local. La commission préfectorale du 16 novembre 1871
déclarait :
« Une
ligne métropolitaine traversant Paris doit être stratégique »...
et il n’est pas jusqu’aux cabaretiers qui ne dirent leur
mot.
Le
syndicat de l’Alimentation parisienne —-
c’est-à-dire
les restaurateurs, limonadiers, liquoristes et cabaretiers —
par
la voix d’un conseiller municipal, déclara en effet, le 9 janvier
1895 : « Oui, avec votre métropolitain,
toute la vie des boulevards, des grandes artères disparaîtrait. Les
négociants, les fabricants, les ouvriers, au sortir de leurs
bureaux, de leurs ateliers, n’auront qu’un objectif : courir bien
vite prendre le chemin de fer... Oui, la classe ouvrière ne sera
plus qu’une masse de travailleurs qui n’aura qu’une pensée :
prendre le train pour se rendre à son domicile. Ce ne seront plus
des êtres intelligents, ce seront des bêtes de somme. En résumé,
la physionomie de Paris détruite, les magasins ruinés, les petits
débitants fermant boutique, la vie intellectuelle n’existant plus,
les contributions directes ou indirectes frappées au coeur, il
n’y aura plus de Paris ! »
Cette
déclaration enleva le vote et, le lendemain. certains
conseillers expliquèrent même à leurs électeurs qu’ils avaient
repoussé le Métropolitain pour ne pas « favoriser le
mouvement d’émigration ouvrière hors Paris et diminuer les
recettes de l’octroi».
Le
Métro se fit pourtant, malgré toutes les objections et malgré tous
les obstacles. Bien mieux, ce Métro fut souterrain et ses
constructeurs ne craignirent point de braver les dangers, les
impossibilités qui leur avaient cependant été signalées maintes
fois.
Les
passages souterrains? mais, « en plein été, l’homme le plus
robuste y descendrait bien portant à la barrière du Trône et
en
remonterait avec une fluxion de poitrine à Montmartre»,
écrivait Arsène Olivier en 1872. « Si dans les sables mouvants. il
se produit des affouillements,... quelle
indemnité
ne devra-t-on pas verser aux
riverains?»
«
Les vases
de Paris, remuées sur une grande
longueur, peuvent
causer des épidémies.
A combien de
maladies et d’accidents seraient exposés les ouvriers employés
si longtemps à ce travail souterrain?
«
L’envahissement des eaux de la Seine, du canal, des nappes
souterraines, les inondations pendant la construction et
l’exploitation, présentent des dangers tout aussi sérieux...
». ajoute Louis Heuzé en 1878, et il conclut par cette formule :
«
A l’adjectif métropolitain, le Parisien substituerait bien vite
celui de « nécropolitain » pour un chemin de fer obligeant le
public à descendre, par de longs escaliers dans de véritables
catacombes»
En
1886, MM. Dupuis, Vibart et Varrailhon, après avoir eux aussi,
critiqué les tunnels, « horreur de la locomotion, avec leurs trous
humides et boueux pour y arriver et en sortir», après avoir
signalé les difficultés du percement, les épidémies qui en
résulteraient (où déposer ces déblais qui sèmeraient la mort
dans un grand rayon autour de leur lieu de dépôt?), imaginent ce
que serait ce métro souterrain : « Figurez-vous, après être
descendu à 15 mètres par un escalier glissant, entre des murs
toujours humides et sales, arrivant sur un trottoir mouillé, entre
un mur et des piliers dont il ne faudrait pas s’approcher, recevant
les suintements d’eau de la voûte, ne pouvant pas vous
asseoir sur les bancs humides malgré l’entretien, entrant dans des
wagons ruisselant toujours, etc., etc... Voilà l’aspect des gares
souterraines...
«
Et dans quelle condition oserait-on descendre dans ces souterrains ?
Il ne faudrait pas être en sueur car la mort vous atteindrait à
la station que vous auriez choisie pour votre course.
«
Et que deviendraient les malheureux employés obligés de faire le
service? Ils seraient promptement perclus par des affections
rhumatismales de la pire espèce. »
Pour
être tout à fait objectif, il convient de signaler une opinion
toute différentel —
et
de même valeur —
soutenue
dans supplément illustré du Matin,
le 10 mai 1900, donc avant l’inauguration. Selon journaliste, dans
le Métro, « Il y aura une lueur brillante toujours égale, un calme
perpétuel, que ne troubleront ni les orage ni les pluies, ni les
bourrasques. Ce soit l’éternel midi d’un printemps merveilleux:
« Oui, parce que la température y soit toujours uniformément
douce. On sait que les sous-sols donnent là fraîcheur en été la
tiédeur en hiver. Par les plus grands froids, jamais le thermomètre
n’approchera même de zéro, dans la galerie d
Métropolitain.
Les lampes à incandescence donnent une faible chaleur qui, répandue
sous les voûtes, pénétrera l’atmosphère et
la
rendra délicieusement agréable... »
En
1845, M. de Kérizouet proposait
au
comte de Rambuteau, alors Préfet
de la
Seine, un « projet d’établissement d'un
chemin
de fer dans l'intérieur de la
ville de
Paris». Ce projet, après cent
cinq années,
paraît encore plein de bon
sens. Il
s’agit avant tout de réduire l’encombrement
des rues de Paris et de permettre
un
ravitaillement plus rationnel de
la capitale.
Pour
cela, il faut raccorder les
grandes lignes
de chemins de fer qui aboutissent
à Paris.
« Le chemin projeté relierait
l'embarcadère
du chemin du Nord
à l’embarcadère
de Lyon, en utilisant une
partie de
la voie publique restée
complétement improductive
jusqu’à
ce jour. Il part à la
tête du chemin de
Belgique, descend parallèlement à la
rue
d’Hauteville. en opérant le trajet en partie à ciel ouvert et il
suit les boulevards intérieurs en partie à ciel ouvert, jusqu’à
la place la
Bastille qu'il traverse souterrainement. Il reparait à ciel ouvert
au-dessus du chemin de halage du bassin Saint-Martin, qu’il
traverse
par un pont biais à
la hauteur du
chemin de Lyon. Dans
son parcours il touche à l’entrepôt
des
douanes».
Les
boulevards Saint-Denis, Saint-Martin, du Temple, des
Filles-du-Calvaire, etc., auraient eu évidemment une toute autre
allure avec ce chemin de fer !
M.
de Kérizouet prévoyait un embranchement à l’ouest de la
Porté Saint-Denis prolongeant la voie jusqu’aux Halles. Comme il
le note, «
dans
la direction de cet embranchement, il existe des rues trop étroites
pour la circulation des voitures : ces rues recevront une utilité
réelle par l’établissement d’une voie de fer à niveau,
construit de façon à permettre le passage des voitures ordinaires,
et dont le service sera effectué de
manière
à prévenir toute espèce d’accident
».
Qu’on
ne s’effraye
point du chemin de fer souterrain,
« la
portion du chemin intra
muros,
pratiquée
en contrebas du sol,
serait bien
moins un souterrain qu’un caveau
longitudinal
à ras de terre, éclairé, comme
le
sont plusieurs constructions, soit par
des
jours de côté, soit par des grilles disposées
suivant
l’axe de la voûte. La profondeur du caveau serait moindre que
celle
des
fondations des maisons voisines. »
Le
projet de M. de Kérizouet ne fut pourtant pas adopté, pas plus que
celui présenté, dix ans plus tard, par MM. Brame et
Flachat
pour « amener directement par voie
ferrée
l’approvisionnement de Paris aux
Halles
centrales».
Les
ennemis les plus acharnés du chemin de fer métropolitain souterrain
étaient évidemment les auteurs de projets de chemin de fer
métropolitain à l’air libre, et, parmi ces projets, il en est de
trop curieux pour être passés sous silence.
M.
Jules Garnier propose la construction d’un chemin de fer aérien à
voies superposées, à établir sur les grandes voies de Paris ;
M. Lartigue propose un système monorail, avec des guides
latéraux, dont l’effet est d’empêcher toute oscillation. M.
Louis Heuzé veut couper Paris en travers par un chemin de fer à air
libre dans une rue spéciale avec passage couvert pour les
piétons.
M.
Arsène Olivier voudrait que le chemin de fer passât au-dessus des
maisons. « Des colonnes de hauteur déterminée seraient posées,
soit dans les cours, soit extérieurement et contre la façade des
maisons. Sur le
sommet
serait posé un plancher en fer... Les lignes pourraient porter les
noms d’une
époque,
d’un siècle, d’un règne ou d’une campagne... »
Dans
un projet proposé en mai 1886,
Messieurs
Panafieu et Fabre imaginent un
réseau
aérien à rail unique. Ce système permet d’utiliser, sans les
modifier, les
voies
publiques principales et réduit les
expropriations.
Il consiste dans l’adoption d’un rail unique, reposant sur un
pilier
central,
et dont la hauteur peut varier suivant les rampes maxima à adopter,
la
distance
minima du sol à la poutre étant fixée à 4,80 mètres. Le wagon
moteur se
compose
de deux caisses de voitures, placées dos à dos. Une impériale
est prévue, couverte et spacieuse. Le moteur fonctionnerait
à air comprimé.
Ce
réseau « se construira sans gêner personne et, ayant apporté à
l’industrie nationale un travail considérable, s’édifiera
sans déranger un piéton, ni une voiture.
» « C’est pour la fortune publique un
accroissement
certain ; c’est en même
temps
pour les propriétaires, pour les
commerçants
des rues voisines, une plus-value considérable... Quant au point de
vue artistique, nous avons songé à ménager toutes les
perspectives, de façon à ne pas altérer la physionomie de Paris.
Notre système de poutre-rail constitue, en effet,
le
viaduc le plus léger qu’il soit possible
de
créer, et il se prête à toute ornementation. »
Le
point de vue artistique présente en
effet,
une grande importance et, lorsque
la
construction du chemin de fer souterrain
fut enfin décidée, la ville interdit
par
souci d’esthétique, d’élever aucun
édicule
au-dessus des trous par lesquels
on
accéderait au souterrain, dans
tout l’espace
compris entre l’Hôtel de
Ville et la
place de l’Etoile. Pour protéger
les voyageurs
dès l’entrée, entre la
Porte de Vincennes
et l’Hôtel de Ville,
un concours d’abris
fut fait entre
les architectes, et « M.
Guimard a
fourni un modèle tout à fait
imprévu
et nouveau. Son édicule ressemble à une libellule aux ailes
étincelantes
et déployées, sous lesquelles s’abriteront les voyageurs,
pendant leur descente à l’agréable enfer du métropolitain. Ce
modèle a rallié tous les suffrages, et les libellules de M. Guimard
ont chance d’émerveiller la population... Elles
l’émerveillèrent et l’émerveillent encore, car sans doute
constituent-elles le plus bel exemple de pur style 1900.
LE
MÉTRO... A DOMICILE
Mais
l’un des projets les plus étranges paraît être celui de MM.
Dupuis, Vibart et Varrailhon : « L’idée capitale de notre projet
est celle-ci, écrivent-ils : nous n’admettons pas de
souterrains ni de tranchées ; dans Paris nos trains circulent
constamment sur un viaduc métallique.
«
Ce viaduc pénètre dans l'intérieur même des pâtés de maisons,
où il chemine presque uniquement, dans l’intérieur de Paris, par
des ouvertures spéciales en forme de voûtes au-dessus de l’étage
du rez-de-chaussée des bâtiments, laissant debout, habité et
habitable, tout ce qui n’est pas pris par le passage du
viaduc, c’est-à-dire la presque totalité des immeubles. Il
ne parait sur la voie publique que pour la traverser
perpendiculairement ; et par la disposition de nos rails,
disposition également nouvelle, le bruit du passage des trains étant
à peu près entièrement supprimé, sinon même complètement.
il n’y aura ni gêne pour les habitants, ni danger pour les
voitures, ce qui nous paraît être l’idéal d’un chemin de fer
métropolitain... Le viaduc serait complètement isolé des
maisons par un espace libre pour éviter la trépidation qui se
ferait sentir s’il y avait contact... Ce projet, à mesure qu’on
l’étudiera davantage, paraîtra de
plus en
plus, à tout esprit non prévenu, ce
qu’il
est en réalité, non seulement réalisable.
mais
le seul réalisable et attrayant et beau
comme tout
ce qui est dans la vérité... «
Ce
projet, malgré
ses avantages, ne fut pas
réalisé... et pourtant
les
auteurs
avaient tout
prévu. Si
on
leur avait objecté les ennuis causés par la fumée... ils
auraient répondu qu'on emploierait uniquement des locomotives
à foyer fumivore ; « quant aux gaz et à la vapeur, ils seront
entraînés dans la haute atmosphère avec la plus grande rapidité
par les courants d’air très vifs déterminés par le passage des
trains dans les mille petits tunnels formés par les maisons : et non
seulement ils ne nuiront pas, mais les vastes ouvertures que créera
le passage de nos lignes établiront dans les étroites cours des
maisons traversées, une circulation d’air qui n’existe pas
actuellement et changeront de la manière la plus favorable le
régime hygiénique de ces cours et de ces maisons où la stagnation
de l’air est actuellement une cause puissante de maladies et de
propagation des épidémies. En un mot, notre système, au lieu
d’être nuisible, sera un puissant agent d’assainissement...
»
Parmi
les projets de chemin de fer souterrain, deux ont paru
intéressants, au moins pour leur originalité. MM. Lavalley et
Rostand « établissent autant de fractions de câbles distinctes
qu’il y a de voies, autant qu’il existe d’intervalles de
stations. Ainsi chaque câble partiel n’est affecté qu’à une
voie entre deux stations. Le câble est sans fin, c’est-à-dire
qu’il est double, entourant des poulies verticales à ses deux
extrémités, de telle sorte que, quand le brin moteur marche dans un
sens, le brin? de retour marche dans l’autre sens. On s’y attèle
à l’aide d’une pince comme dans les mines d’Angleterre ; on le
prend ou on le quitte très rapidement. On installe à chaque
station une machine fixe, et en outre une machine de rechange :
le mouvement est transmis par la machine au câble au moyen
d’embrayages à friction, qui ne permettent pas de dépasser un
certain effort qu’on limite à volonté... »
M.
Bergeron, lui, imagine un tube cylindrique, de 3 à 4 mètres de
diamètre, parcouru successivement dans les deux sens, par un
petit train. Le train porte avec lui un écran de section circulaire
comme le tube, rasant le tube de très près. Selon que, devant cet
écran, on produit, à l’aide d’un ventilateur, soit un excès de
pression, soit un certain vide, on refoule le convoi ou l’on
l’aspire. L’écran peut être replié en partie le long des
wagons, ce qui permet de faire disparaître l’action du moteur ou
de la rétablir, et par conséquent de s’arrêter ou de se remettre
en marche à volonté.
La
commission spéciale, chargée d’étudier les divers projets,
repoussa celui-ci avec ce motif : « le courant d’air intense qui
serait la conséquence de la propulsion atmosphérique serait
inacceptable dans les stations souterraines ».
Finalement,
la loi du 30 mars 1898 déclarait d’utilité publique la
construction d’un chemin de fer à traction électrique, composé
de cinq lignes formant un réseau de 65 kilomètres environ, concédé
à la Compagnie générale de traction, qui devint la Compagnie
du chemin de fer métropolitain de Paris.
Patrice
Boussel, "Préhistoire du Métro", Sciences et Avenir n° 46, décembre
1950
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