CAUSERIE
Modes
Fin-prochain Siècle
Ah
! qu'elles seront originales et diverses, les modes de l'an 2000, si
j'en crois tes couturiers-amateurs et les couturières-amat...euses
qui se sont efforcés de m'en offrir un avant-goût.
Vous
n'avez pas oublié ce dont il s'agissait ?
« En
supposant, disais-je, qu'il devienne indispensable de modifier du
tout au tout l'accoutrement moderne et qu'on vous demandât votre
avis sur celui qu'il conviendrait dorénavant d'adopter, quel modèle
proposeriez-vous ?» D'aucuns, il est vrai, semblent avoir reculé
devant une révolution trop radicale et beaucoup de projets
rappellent encore l'incommode routine de notre actuel accoutrement.
Un
grand nombre de correspondants estiment sans doute qu'il doit suffire
d'améliorer les parties défectueuses de notre coutumière défroque
sans sacrifier complètement des atours auxquels l'accoutumance les
attache plus qu'ils ne croient eux-mêmes.
Ainsi
M. J. Saint-Leu se contenterait de supprimer le corset - pleurez,
gentes corsetières ! - et de le remplacer par « une fine ceinture
de soie ou d'autre étoffe très large, moulant bien mieux la taille
que cet instrument de torture Moyen Age ! »
On
ne s'attendait guère à voir le Moyen Age en cette affaire ; le
corset, chez M. Saint-Leu, n'est-il pas bien plutôt un instrument
idoine à l'âge... mûr?
Le
même réformateur réduirait la jupe aux dimensions d'une pièce
d'étoffe, une-petite pièce, sans doute, quelque chose comme un
lever de rideau) « rattachée à la hanche par un gros nœud ».
Le
croquis ci-joint accompagne et complète ces indications Pour un si
hardi simplificateur, on trouvera peut-être que M. J. Saint-Leu
aurait pu donner plus de simplicité à la coiffure de son modèle !
! !
Une
de mes assidues lectrices, madame ou mademoiselle Stéphane d'Armant,
proclame au contraire l'utilité du corset qu'elle considère comme
indispensable à la toilette de notre sexe. Chacun, comme on dit,
prêche pour son sein
! Du reste madame ou mademoiselle Stéphane d'Armant professe des
sentiments très conservateurs. Son idéal de costume féminin ne va
guère plus loin que le court jupon, le boléro et la toque de nos
modernes cyclewomen, Pour la tenue de « ces vilains singes que l'on
appelle des hommes » (saluez, messieurs) moins de changements
encore, La mode d'aujourd'hui, leur convient à merveille. On n'est
pas plus centre-gauche !
Moins
accommodant est Coco-Bel Œil qui, lui, devant l'envahissement
inquiétant des automobiles écrabouilleurs, préconise un «
vulgaire enroulement de pneumatiques increvables depuis les pieds
jusqu'à la tête ! » Et le petit bâton blanc de M. Lépine ou le
petit bâton d'épine de Monsieur Blanc, pour compléter la sécurité
de ce costume aussi sommaire qu'inédit. A en juger par le croquis
ci-joint, cela ne manquerait pas, en effet,d'un certain pittoresque !
Je
ne saurais trop remercier P'tit-AIi de son assiduité à me répondre,
mais je l'ai trouvé bien timide, cette fois.
Toute
initiative en cette matière semble l'effrayer et il pourrait
disputer à Stéphane d'Armant le record du statu quo.
Pour
les femmes il souhaite seulement plus de souplesse dans le corsage —
une veste bouffante analogue à celle de nos marins (ça sent le
bateau!) ouvrant par deux empiècements sur un maillot-corset — et
moins d'ampleur dans la jupe coupée à hauteur du genou. C'est
je vêtement de lawn-tennis tout pur!
Pour
les hommes P'tit-Mi s'en tient à l'uniforme du parfait pédard
couronné d'un bien inattendu « chapeau de mousquetaire » (???).
Ousqu'est mon... mousquet ?
Encore
un conservateur: M. Achill se persuade que tout est pour le mieux
dans la meilleure des modes. Il trouve même des
charmes au chapeau haut de forme qui, prétend-il, exerce sur les
femmes une invincible séduction! Serait-ce parce qu'il est en poil
de lapin ? Si vraiment nos arrière-petites-nièces de l'an 2000
arborent le costume qu'il a dessiné à leur intention, elles ne
différeront pas sensiblement de leurs arrière-grand'tantes!
Tous
ces projets laissent en résumé le problème stationnaire ; celui
de M. Maurice le fait rétrogader! Ce novateur à rebours voudrait
que chacun se nippât à sa fantaisie en fouillant dans la friperie
rétrospective des ancêtres! Les chauves s'affubleraient de la
perruque Louis XIV, les grands pieds se chausseraient à la
poulaine... le reste à l'avenant. Mais, illogique à son propre
point de vue, M. Maurice n'admet point que les jolies femmes poussent
le goût de l'antique jusqu'à en revenir à la chaste nudité de
notre mère Eve. « Que deviendrait, écrit-il, le désir, le suprême
désir, si nous voyions à chaque instant tous les secrets trésors
qui font votre beauté s'étaler à nos yeux, Mesdames ? »
Que
deviendrait le désir, monsieur... ?
Il
deviendrait... réalisé et ce n'est parfois pas désagréable, pour
vous, je pense.
Mais
passons rapidement à de plus audacieuses conceptions.
L'une
des plus heureuses est, à mon humble avis, celle de Bichette : le
costume-automobile. Il est tout à fait adéquat aux incessants
progrès de la locomotion mécanique, et la forme sous laquelle sa
créatrice l'a imaginé sort au moins des banalités courantes.
On
en jugera par le graphique qu'elle en a tracé elle-même et qui nous
dispense de toute complétive description.
Mac-Hokott
est aussi bien inspiré, je le crois, en prophétisant le « vêtement
mobilier et immobilier, sorte de carapace portative qui tiendra lieu
à son porteur de maison, de lit, de table, de chaise, de
bibliothèque et de garde manger » ! Alors se réalisera, sans
métaphore, la devise du sage, qui. n'était peut-être qu'un
escargot: Omnia mecum porto ! Il est regrettable que MacHokott n'ait
pas appuyé son idée magnifique d'un croquis capable de la faire
passer du domaine de la théorie dans celui de la pratique.
Enfin
j'ai gardé, pour conclure, la géniale invention du bien nommé A.
R. O.Noth : l'habit-ballon dirigeable, se gonflant et se
dégonflant à volonté ! Il ne paraît pas qu'on puisse imaginer
rien de plus commode et à la fois de plus élégant.
Heureux
nos descendants qui, d'un coup de pompe à air, pourront ainsi
s'élever au-dessus du niveau des vaines querelles humaines et planer
dans le pur éther, où leur présence rehaussera la majesté des
espaces célestes !
Mais
vous verrez qu'il se trouvera encore des grincheux pour traiter cela
d'utopie !
Paméla,
Marchande
de frivolités
considérer que le costume bibendum serait à la mode en 2000 était largement prophétique, à Joué les Tours c'est en effet très à la mode
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