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mercredi 6 novembre 2013

La photographie en 1991 ( 1891 )

En 1891, on imaginait l'avenir de la photographie...

UNE PROPHETIE
LA PHOTOGRAPHIE en 1991

Quand Jules Verne, préconisant la navigation sous-marine, publia ses Vingt mille lieues sous les mers, on fut unanime pour admirer l'ingénieuse conception du savant romancier, mais l'idée fut taxée d'utopie, et l'on se rappelle que la science, qui se dit sérieuse, réfuta doctement et déclara l'idée, scientifiquement, irréalisable.
Nous savons aujourd'hui qu'elle était possible, même matériellement, car elle germa, viy le jour et à l'heure présente le problème de la navigation sous-marine est bel et bien résolu (1).

Qui nous dit que les Cinq semaines en ballon, par certaines idées premières ne serviront pas, un jour,la cause de la dirigeabilité des ballons ; et puis, pourquoi le populaire écrivain n'émettrait-il pas un beau malin, ses idées en matière., de photographie en couleurs.
Que n'a-t-on écrit et discuté à propos de ce que nous appelons la pierre philosophale en photographie.
La Photographie en couleurs est-elle réalisable ?
Hippocrate dit oui, mais Gallien dit non.
Nous n'avons pas qualité pour intervenir dans le débat, mais nous estimons que le siècle du téléphone ne peut s'éteindre sans ajouter ce nouveau fleuron à sa couronne.
Dans tous les cas, au mois de juillet 1991, pour parler comme Mathieu Landsberg, la question sera résolue depuis longtemps, et nos arrière-neveux auront pour nos faibles moyens actuels, l'indulgente pitié que nous ressentons pour les soporifiques «pataches » de nos pères. Evidemment en l'an de grâce 1991, le métier de photographe, qui, déjà maintenant, ne vaut plus que de loin l'élevage des lapins, n'aura plus absolument de raison d'être.
La photographie fera partie de l'éducation de future humanité, et depuis le premier jusqu'au dernier, chacun s'en servira pour les besoins les plus usuels.
Evidemment, il serait téméraire de vouloir évoquer le degré de perfectionnement auquel sera porté alors l'outillage photographique, et les meilleurs instruments en usage à l'heure présente ne constitueront plus que d'ignobles rossignols que nos petits neveux retrouveront dûment catalogués dans quelque arrière salle du Musée de Cluny.
Dans cent ans, au jour de l'an, et par câble, on échangera sa photographie avec celle d'un ami fixé dans le voisinage du lac Tanganika ; ou bien, les pieds sur les chenets, on assistera à l'audition d'un opéra chanté à San-Francisco, tout en observant sur un écran la physionomie de la salle, le tout transmis par photogramme. (Est-ce un néologisme ?).
Nécessairement les procédés de reproduction d'après cliché photographique auront atteint le summum de la perfection, de la célérité et du bon marché ; aussi, dans les journaux, la majeure partie des compte-rendus sera remplacée par la reproduction visuelle des événements arrivés dans le monde entier, et qui arriveront régulièrement avant l'heure de la mise sous presse.
La quatrième page des journaux sera un véritable album à portraits, où les sujets des deux sexes, confiants en leur mine avantageuse, s'offriront au choix des bourgeois.
« Géraudel » jeune, en guise d'attestations parlantes, y publiera quelques portraits en partie double, figurant, le premier, un malade hâve et décharné, prêt à paraître devant son créateur; en regard, le même individu, gros, joufflu, d'une santé insolente, cette dernière vue prise à l'absorption de la cinquième pilule Géraudel fils et sucesseur.
On y relèvera des annonces dans le goût de celle-ci : « Fille de campagne, lait abondant (voir portrait) demande place. S'adresser à la Société anonyme des biberons de famille, et le lecteur à la vue de la plantureuse « nounou », ne pourra que regretter d'avoir dépassé l'âge de ce genre de.... consommation.
Plus loin une annonce ainsi conçue : « Industriel prendrait associé pour donner de l'extension à affaires très prospères. (Voir bilan). »
En regard on admirera la reproduction de la page du bilan accusant des bénéfices mirifiques.
De temps à autre, dame Justice vulgarisera de cette façon la physionomie d'un caissier parti en Villégiature, sans laisser d'adresse exacte.
Dans le domaine scientifique, quels merveilleux résultats n'obtiendra-t-on pas grâce à l'emploi des appareils perfectionnés qu'on construira à cette époque.
Nous savons aujourd'hui, nos savants astronomes nous l'assurent, que les planètes sont habitées ; dans cent ans, on s'en sera assuré depuis longtemps. (2)
Des instantographes forme torpille, seront lancés vers Saturne et Junon, et retomberont comme de vulgaires bilboquets recelant de fort intéressantes photographies prises dans ces régions éthérées.
C'est vers cette époque que surgira un inventeur qui se chargera du mot de la fin.
Celui-ci imaginera notamment un appareil qu'il ne s'agira plus que de remonter et lequel, automatiquement, prendra les vues.... qui lui paraîtront intéressantes, qui les développera, les fixera et en tirera un certain nombre d'épreuves, et ces dernières s'échapperont de l'appareil virées et... retouchées si besoin. (3)
Ce sera l'âge d'or de la photographie et des perfectionnements ultérieurs ne seront plus que très hypothétiques.
Après tout, qui sait. (4)

LÉONO, « La Photographie en 1991 », in Les Annales photographiques : journal populaire de photographie illustré, n° 29, juillet 1891

(1) Nos lecteurs ont tous, présentes à l'esprit, les expériences du Goubet, bateau sous-marin qui porte le nom de son inventeur, et connaissent l'admiration unanime de notre corps maritime pour ce merveilleux petit navire. (NDLR)
(2) Ce jour-là, le prix de 100.000 francs que Mme Ve G. de Pau, vient de mettre à la disposition de l'Institut pour récompenser l'inventeur du moyen le plus commode pour converser avec les astres, aura enfin trouvé son emploi.
(3) Une légère modification de l'appareil d'Enjalbert et le tour sera joué (NDLR).

(4) Hélios belge.

Illustration (qui n'a rien à voir avec le texte!), Marius Larique, La Photo qui parle, collection Progrès, éditions Rouff, sans date.

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