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jeudi 30 janvier 2014

[Jeudi québécois#2 ] Dr Imbeaux, La maison de l'an Deux Mille ( 1926 )

L'anticipation a existé au Canada francophone avant la Seconde Guerre mondiale. On connaît quelques auteurs comme Jules-Paul Tardivel, Napoléon Aubin, Wenceslas-Eugène Dick, Jules Jehin, Ubald Paquin, Jean-Charles Harvey, Emmanuel Desrosiers ou juste après la guerre Pierre Daignault (auteur des Aventures étranges de l'agent IXE-13 qui contient quelques numéros de SF) mais tout cela forme finalement un ensemble peu important.
Une recherche dans les archives de la Bibliothèque et Archives nationale du Québec m'a permis de lire quelques textes. Sans doute ne seront-ils pas des surprises pour les exégètes de la science fiction de nos cousins québécois mais c'est un témoignage de cette science-fiction francophone que je connais mal...

Voici un premier texte, qui est une chanson, publié en 1926 dans Mon Magazine. Il va sans dire que je ne sais absolument rien de son auteur. Le texte est accopagné d'une vignette reprenant en partie une illustration d'André Devambez réalisée pour le roman Les Condamnés à mort de Claude Farrère ( 1920)  qui est une anticipation sociale.
Visitons donc la maison de l'An Deux Mille !


1. — Dans la Maison SIECLE XXI ,
Voyez ces gens de notre race
Entrer par le toit opportun:

VOYEZ TERRASSE !

Ils sont en l'air ! Chaque avion
Vient à la file
Se poser à la station:

Car c'est jour de réception
Dans la maison de l'An Deux Mille. (bis)

2. — Le concierge est dans l'escalier!
Mais un grand descenseur pratique
Stoppe juste à chaque palier,

AUTOMATIQUE.

2. — Au premier, d'en-haut, le SALON
Moderne-style:
Madame y trône tout au long...
Porte-t-elle le pantalon
Dans la maison de l'An Deux Mille ? (bis)

3. — A La Salle à Manger, voici
De tous les mets qui font envie.
Les comprimés en raccourci:

MADAME EST SERVIE!

Une pilule est un repas!
On s'assimile
Des boulettes qu'on ne sent pas:

Aussi n'y devient-on pas gras
Dans la maison de l'An Deux Mille. (bis)

4. — C'est un garçon pharmacien
Qui maintenant fait la cuisine:
En place de l'Office ancien,

C'EST L'OFFICINE!

Pour boire, on prend un soluté,
que l'on s'instille
Goutte à goutte, sans volupté:

C'est fini la tasse de thé,
Dans la maison de l'An Deux Mille! (bis)
5. — De Monsieur voici le bureau:
Le patron y cache sa face
Derrière tout un tombereau de paperasse.

Téléphones; diorama;
Ecran mobile:

Il voit tout, jusqu'à Panama...

Le journal n'est qu'un cinéma
Dans la maison de l'An Deux Mille. (bis)

6. — En dessous, la chambre à coucher.
Elle est aseptique à merveille:
Plus d'alcôve! mais où cacher

L'AMOUR QUI VEILLE ?

Adieu le grand lit étouffant.
Meuble inutile!

Jamais l'époux n'est triomphant:

Fi donc, on n'y voit plus d'enfant,
Dans la maison de l'An Deux Mille! (bis)

7. — La valetaille reste en bas:
L'aviateur, l'apothicaire.
La femme de chambre, en tout cas
Bonne à tout faire:
Puis le jardinier; puis le chien,
Qui dort tranquille
Devant sa niche et ne ait rien:

Philosophe, il se trouve bien
Dans la maison de l'An Deux Mille. (bis)

8. — A chaque étage un cabinet:
Bain et toilette dans la pièce,
E au froide, eau chaude au robinet,
Siphons en S.
Le liquide au bas du tuyau
Devient stérile.
Puis remonte de bas en haut:

Rien ne se perd, pas même l'eau.
Dans la maison de l'An Deux Mille. (bis)

9. — La cave: Un stérilisateur.
Grâce aux rayons U — V ou X ,
L'oxygène réparateur
Brûle et se fixe.
On en tire des jus très bruns.
D'odeur subtile.
Remplaçant nos grands vins défunts :

Il s'y fabrique des parfums, 
Dans la maison de l'An Deux Mille. (bis)

10. — Il ne faut s'étonner de rien!
Lors l'hygiène est si parfaite,
C'est la grace qu'aux gens de bien
Moi je souhaite, —
Qu'on ne voit plus d'enterrement
Au domicile:
L'homme y vit indéfiniment...

Puissions-nous habiter vraiment

Dans la maison de l'An Deux Mille! (bis)

Dr Imbeaux, « La maison de l'an Deux Mille », in Mon Magazine, février 1926, p 17. (Canada francophone)

Lire tous les articles des "jeudis québécois"

Merci à Guy Costes pour les compléments concernant l'illustration du texte.


mardi 28 janvier 2014

Pierre Levasseur, Destination Lune ( 1951 - 1952 )

La science fiction dans la presse catholique est relativement rare. Il existe bien des anticipations d'inspiration religieuse ( comme Le Maître de la Terre de RH Benson qui fit polémique au début du XXe siècle ou Vers plus de joie d'André Godard) mais les textes sont souvent assez faibles littérairement parlant. La critique de la science fiction est plus courante et rarement favorable ( voir par exemple Les Dimanches de l'Abbé Béthléem sur ArchéoSF).

En 2001, les éditions Apex ont réédité Destination Lune publié initialement dans le périodique pour la jeunesse Bayard ( du n° 251 au n° 276, du 23 septembre 1951 au 16 mars 1952). Il s'agit de la novélisation très fidèle de Destination Moon d'Irving Pichel produit par George Pal  (1950) sur un scénario de Robert A. Heinlein d'après son roman Rocket Ship Galileo (1947).



Pierre Levasseur dont on ne sait rien mais qui pourrait être selon le préfacier d'Apex Saint Alban, chroniqueur de Bayard, insiste sur le caractère vraisemblable de l'histoire.


Dans le n° 251, le feuilleton est présenté ainsi :

 L'homme ira dans la lune en l'an 2000 (n° 251 du 23 septembre 1951) : « - Comment ? Le Chevalier Noir répète tout le temps que Bayard est un journal vrai, et Pierre Levasseur va nous raconter tout au long Destination : Lune ? Ça promet d'être intéressant, d'accord; mais ce n'est pas vrai. Alors ? - Doucement, mes amis. Le voyage dans la lune n'est pas encore une chose faite, mais ce n'est pas une chose IMPOSSIBLE. Tout récemment, les savants de la Société britannique des voyages interplanétaires ont déclaré que vers l'an 2000, peut-être même vers 1975, l'homme pourra réaliser un voyage aller et retour de la terre à la lune. En ce moment, des savants du monde entier mettent au point ce projet. Le principal objet de leur étude est la construction et la mise en place d'une petite planète artificielle tournant autour de la terre à plusieurs centaines de kilomètres au-dessus de la couche atmosphérique. À cette distance, le nouveau satellite ne subira plus l'attraction de la terre et pas encore celle de la lune : il restera donc immobile et pourra servir de poste de relais pour le futur voyage Terre-Lune. Les premiers essais se feront avec des fusées téléguidées munies d'appareils de télévision. Avec les renseignements fournis on pourra préparer le premier voyage des hommes sur la lune. »

Il nous raconte les difficultés de la construction de la fusée, le voyage vers la Lune (avec une sortie dans l'espace) et l'exploration de notre satellite par quatre astronautes. Le tout est saupoudré de nombreuses digressions scientifiques à la manière de Jules Verne.

Il y a quelques moments d'action distrayants comme la scène où l'un des personnages risque de disparaître dans l'espace et qui est rattrapé au lasso.

L'ensemble est très bavard et de nombreux passages didactiques sont indigestes à force d'être trop prononcés. Destination Lune est une curiosité utile au chercheur, un témoignage que la SF a pu trouver sa place dans la presse catholique pour la jeunesse mais avec de telles contraintes, préventions et précautions que le simple plaisir du lecteur d'aujourd'hui s'évanouit.



Pierre Levasseur, Destination Lune, Editions Apex, 2001,
tirage limité à 250 exemplaires


lundi 27 janvier 2014

Enigme du lundi : à quoi sert cet instrument ?

Nouvelle énigme du lundi avec un instrument : mais qu'est-ce donc ?


jeudi 23 janvier 2014

[Jeudi québécois #1] Napoléon Aubin (1812-1890) 1ère partie

Introduction:

La science fiction ancienne du Canada francophone (1) n'est guère connue de ce côté de l'Atlantique. Certes les écrivains de la Belle Province n'ont pas donné beaucoup de textes relevant de ce genre mais il en existe tout de même. Les plus anciens datent de la première partie du XIXe siècle et nous nous arrêterons à la Seconde Guerre mondiale. Le regard porté est celui d'un Français, il est important de le noter car il diffère forcément de celui de nos cousins d'Amérique. En effet, s'il existe une longue tradition de la littérature conjecturale romanesque en France, elle est moins forte au Québec et certains Québécois avancent des explications sur lesquelles je reviendrai. De plus, le Canada francophone est proche des Etats-Unis et il n'a pas fallu attendre les années 1950 pour accéder aisément aux textes étatsuniens qu'ils soient issus des pulps ou parus en volume y compris en version originale.Enfin, le domaine est peu disponible en France (et même souvent au Canada) mais Internet permettent d'y avoir accès soit par les sites de bibliothèques mettant à notre disposition des ressources numériques (livres, collections de périodiques, documents diverses,...) soit par les sites d'amateurs de cette littérature qui partagent leurs connaissances.

Napoléon Aubin: présentation




Sans doute le premier texte relevant de conjecture romanesque "rationnelle" (les guillemets s'imposent tout de même) paru au Québec est-il "Mon voyage à la Lune" de Napoléon Aubin.Ce texte est paru en  1839 dans Le Fantasque dirigé par Napoléon Aubin. Le Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec (éditions Fides, 1980) des informations sur l'auteur et sur son conte:


Aimé-Nicolas dit Napoléon Aubin, journaliste et homme de lettres, naît à Chaynes, près de Genève, le 9 novembre 1812. Il est fils de Pierre-Louis-Charles Aubin et d'Élisabeth Escyer. À l'âge de dix-sept ans, il émigre aux États-Unis. En 1835, il vient se fixer à Montréal, puis à Québec. Pendant près de vingt ans, il consacre le meilleur de son énergie au journalisme de combat. Collaborateur à la Minerve puis à l'Ami du peuple, fondateur du Fantasque et du Castor, rédacteur du Canadien, il écrit également dans le Canadien indépendant, la Tribune et le Pays. Secrétaire de « l'Association de la réforme et du progrès » (1847), il est élu président de l'Institut canadien de Montréal (1869). Il meurt à Montréal le 12 juin 1890. Il a épousé le 9 novembre 1841 Marie-Luce-Émilie Sauvageau

Jean-Paul Tremblay, « Le Fantasque », in Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, Éditions Fides, 1980 (lien vers l'article complet)



Des quatre contes du Fantasque, « Mon voyage à la lune » mérite une mention spéciale. C'est un récit plein d'entrain où se mêlent l'humour et la satire. Le ton s'inspire du Voyage dans la lune et l'Histoire comique des États et Empires du Soleil (1657) de Cyrano de Bergerac, de Swift, dont les Gulliver's Travels, publiés en 1726, raillent la société anglaise, et de Voltaire, qui, en 1752, écrit son conte philosophique Micromégas, un procès de la science mis au compte de héros célestes. Aubin, pour sa part, sous une affabulation fantaisiste, critique avec vigueur les moeurs canadiennes, relevant d'ironie ses remarques et réflexions. C'est le plus long et le meilleur conte de l'écrivain.
Jean-Paul Tremblay, « Contes épars » [de Napoléon Aubin] in Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec op. cit.

Dans la liste des oeuvres qui suit l'article, Jean-Paul Tremblay donne non pas quatre mais cinq titres de contes parus dans Le Fantasque sous la plume de Napoléon Aubin :
[Quatre contes parurent dans la Minerve :] « la Lucarne d'un vieux garçon », 11 juin 1835, p. 1. « Une entrée dans le monde », 22 juin 1835, p. 1. « Une chanson — un songe — un baiser », 13 juillet 1835, p. 1-2. « Histoire qui n'a pas de nom, ou plutôt Mélanges », 6 août 1835, p. 1. [Les cinq autres furent publiés dans le Fantasque :] « Un Joconde noir », 1er août-1er septembre 1837. « Le Bal ou l'Homme propose et la femme dispose. (Anecdote passablement historique) », 7 juillet 1838, p. 111-114. « Mon voyage à la lune », 9 juillet-1er octobre 1839. «Mon voyage à Montréal », novembre 1840, p. 5-8. « Qui vive ? C'est selon : l'ami des uns, l'ennemi des autres. (Scènes du soir) », 4 novembre 1843, p. 4.

Seul "Mon Voyage à la Lune" nous intéresse dans la liste qui précède (des extraits seront présentés sur ArchéoSF).
Ajoutons son "Plan d'une république canadienne" (Le Fantasque, 1838) qui prend la forme d'une utopie humoristique mais bien peu fictionnelle (le texte sera prochainement proposé sur ArchéoSF).
Parmi les autres talents de Napoléon Aubin, on peut relever qu'il est musicien, éditeur et scientifique et qu'il a mis au point l'appareil à gaz Aubin qui est une sorte de réverbère adopté par plusieurs villes d'Amérique et d'Europe.

Pour en savoir plus:
Jean-Paul Tremblay, A la recherche de Napoléon Aubin, Presses de l'Université-Laval, 1969.
Lucie Villeneuve, Le "journal-fiction" Le Fantasque de Napoléon Aubin (1837-1845) : formes théâtrales et romanesques et dans le discours journalistique, thèse présentée comme exigence partielle du doctorat en études littéraires (lire en ligne). Importante bibliographie sur Napoléon Aubin.


(1) par commodité, j'emploierai indifféremment les termes "Québec" et "Canada francophone" qui ne couvrent pas exactement la même réalité. Le premier est une province, la plus grande du Canada, ne comptant pas que des Francophones, le second correspond à une réalité linguistique : le Nouveau Brunswick est une province où le bilinguisme est officiel et l'on trouve des francophones dans toutes les provinces canadiennes.  Toutes les oeuvres écrites par des Québécois non francophones seront donc exclues, toutes les oeuvres écrites par des non Québécois francophones seront inclues. Ce travail de recherche est en cours. Pour le moment je n'ai que des textes publiés au Québec par des Québécois mais sait-on jamais!

Source de l'image: Wikipedia

mercredi 22 janvier 2014

"La Conférence de Washington et le partage de l'espace" par André Mas (1914-1922)

André Mas a peu produit d'oeuvres conjecturales mais on lui doit un Les Allemands sur Vénus paru en juillet 1914 (mauvaise date pour une oeuvre germanophile) qui nous raconte la conquête non pas de Mars mais de Vénus et le partage de l'espace par les puissances européennes et les Etats-Unis avec une large part laissée aux pionniers germaniques.
Jean Luc Boutel parle longuement de cette oeuvre sur son site ( lire l'article)

Le texte ne me semble pas très connu en définitive (1) mais on peut trouver dans Le Pionnier, un périodique créé en janvier 1922, ce texte (que je reproduis intégralement):


La Conférence de Washington et le partage de l'Espace

Les lignes qu'on va lire sont extraites du dernier chapitre du roman « Les Allemands sur Vénus ». Ce roman fut écrit avant la guerre. Il parut en Juillet 1914.
Utilisant la découverte du Français Hauchet, une expédition germanique a atteint la planète Vénus. Elle réclame du secours... (N.D.L.R.).

Presque simultanément Carnegie, d'Estournelles de Constant et Flammarion proposèrent une conférence internationale. Washington fut choisi première réunion diplomatique à porter la marque entière de l'âge scientifique, car il fallait, derrière les paroles des délégués, une force industrielle, l'or scintillant et la pesante volonté des foules.
L'Humanité blanche et les Jaunes d'abord se regardèrent en silence. Le Japon, au moins, quoique éprouvé par une récente crise financière, concevait des espoirs sans limites. Il réclama sa place dans le Cosmos, ardemment.
Il ne fallait pas perdre de vue que l'homme avait mis cent mille ans pour asseoir sa domination sur ce monde. Combien de temps faudrait-il pour d'autres planètes ?
L'entente s'irn posait, absolue.
Cependant le Congrès ne: fut pas trop tardif, contrairement à beaucoup de congrès, car, sans perdre de temps, les Américains travaillaient a Panama. L'Allemagne mettait en chantier une série de croiseurs interplanétaires, Adler, Himmelsgeier, tous munis dès derniers perfectionnements et de machines spécialement disposées pour l'atmosphère de Vénus. Il fallut s'accorder.
L'Italie réclama une part de Mars, s'appuyant sur les travaux de Sschiaparelli, le grand observateur de la planète rouge. Elle obtint la zone équatoriale.
Naturellement l'Allemagne garda Vénus, occupée par ses nationaux, mais, sur leur demande, elle accorda aux Yankees des tarifs préférentiels et des options de mines. D'où trust.
L'énorme Russie se: vit accorder la Lune. Elle n'en demandait pas plus, s'estimant déjà suffisante puissance terrienne ; mais elle obtint des compensations vers la Perse et l'Extrême-Orient Et puis ce fut l'occasion d'un emprunt garanti par la nouvelle colonie — le 4 1/2 % « Brouillard de Ptolémée ».
L'Autriche-Hongrie eut sa part, pas grand'chose, et sur Mars sans qu'on sût pourquoi. Mais au fond du coeur les Autrichiens méditaient d'y déporter les Hongrois qui pensaient aux Polonais, qui se souvenaient des Croates, qui...
Pour faire taire les Etats plus faibles, on leur attribua en bloc les astéroïdes entre Mars et Jupiter. Peut-être ne furent-ils pas contents mais ils durent faire comme s'ils l'étaient. Les Suisses industrieux obtinrent cependant Eros, planétoïde de deux cents kilomètres de diamètre, dont l'orbite passe entre Mars et la Terre. Ils pensaient déjà à une Hôtellerie interplanétaire.
Pour la première fois depuis qu'il y eût traités et congrès, l'Angleterre n'eût rien. Jamais; les Britishers ne purent prendre la chose au sérieux, car il n'y avait pas de précédent l Après l'Allemagne et l'Amérique, la Belgique avait raflé ce qui restait, mines sur la Lune, pôles de Mars, planétoïdes divers, se réservant d'en tirer parti, au moins pour des chemins de fer.
L'administration française ne put procéder avec la sage lenteur qu'elle chérit. Un cri public et l'intervention personnelle du Chef de l'Etat nous firent accorder le continent Herschell et d'autres terres martiennes, un observatoire sur la Lune, deux autres sur Vénus, et l'on créa, sans perdre de temps, le ministère des Relations planétaires. Il fallait un astronome ; on y mit donc un avocat. D'ailleurs le territoire Martien, le plus important, fut constitué en gouvernement militaire et rattaché aux Colonies ; par conséquent les Hyperavions étaient attribués à la Mariné. Et 7.477 discours furent prononcés, dont 7.473 seulement sur la défense laïque.
Au Japon furent reconnus dés droits éventuels sur Jupiter, le géant égal à treize cents Terres. L'appétit dès Yankees ne fut assouvi qu'en annexant aux bandes et aux étoiles les planètes lointaines de : Saturne, Uranus, Neptune, et au-delà celles qui n'étaient pas encore découvertes. Mais la diplomatie allemande eût dés compensations : tous les satellites de ces mondes énormes avec ceux de Mars, et sur chacun de ces immenses globes des rectifications de frontières qui arrivèrent à dix milliards de kilomètres carrés, soit dix-huit mille fois l'Empire, presque vingt fois la Terre entière, ce qui contenta même les Pangermanistes.
De Mercure, monde minuscule sous un soleil de flamme, nul ne sembla se soucier d'abord. Puis les Grecs l'annexèrent, ce qui mécontenta les Italiens. Ceux-ci écrivirent partout que Mercure avait été dieu des Voleurs. Donc...
L'Humanité se mit à l'oeuvre.
La seconde expédition fut celle de Michel de Lursac, vers Mars, et si elle n'atteignit pas la planète rouge, à dessein, elle résolut presque totalement l'énigme de ce monde. L'occupation et la conquête industrielle de la Lune fut l'oeuvre des années qui suivirent.
Une autre expédition, dix ans plus tard, atteignit Mars, et la perfection de la T. S. F. en ces temps écoulés était déjà suffisante pour permettre une communication constante à travers le gouffre de l'espace.
Sur Vénus, l'Homme étendait sa race, parmi une nature puissante et terrible, tour à tour hostile et favorable. C'était le refuge futur quand mourrait notre Terre, dans des millénaires démesurément loin encore, hors le manteau fluide des mers et des vents.
Les croisières interplanétaires vers Vénus, Mars, la Lune: devinrent chose rapide, courante, facile à partir du milieu du XXe siècle. Une humanité ambitieuse, énergique et dure au travail eut devant elle la tâche immense et joyeuse de trois mondes à équiper suivant ses besoins et ses désirs à elle. Et elle ne trouva ennemie nulle autre Humanité, car sur Vénus elle n'existait pas encore, sur la Lune elle n'existait plus et sur Mars elle finissait.
Nos lecteurs ont tous lu l'oeuvre poignante de Jorge Raubier-Brown : Les Cerveaux qui meurent — une Humanité qui s'en va — un livre immortel consacré aux Martiens agonisants. L'Heure avait été marquée, propice, pour l'Homme de la Terre. La Divinité l'avait ainsi voulu, dans ses plans gigantesques.
Devant le poète Mayer, dont le chant célèbre enflamma lés générations qui précédèrent l'ère du contrôle de Vénus, se dessinait lentement ce tableau formidable. Sous ses yeux même la Cité des Etoiles s'étendait, immense, bourdonnante, multitude d'hommes actifs et heureux. Sa statue géante le confrontait, montrant du doigt le ciel. Il regarda cette beauté nouvelle faite d'ordre, de jeunesse et d'énergie sans trêve, cette beauté que les Anciens eussent admirée. Et de sa main déjà défaillante, il écrivit lés derniers mots de l'Hymne Impérial, Son oeuvre ultime qui eut partout:où: résonne sa langue le succès le plus colossal, car il y a enfermé, mieux que nul ne le chanta jamais, l'ambition sans limites de 'Allemagne, sa confiance en elle-même et son orgueil immense :

Nous sommes de la race des fils du dieu du Marteau,
Et nous avons la volonté de conquérir l'empire des Etoiles
Et de devenir le peuple des Seigneurs de l'Infini.

André Mas, « La conférence de Washington et la conquête de l'espace »

in Le Pionnier n° 9, septembre 1922.


(1) Les éditions Rivière Blanche ont eu la bonne idée de rééditer en un volume deux textes d'André Mas : Dryméa et Les Allemands sur Vénus avec une préface d'Eric Stoffel et une
introduction et des notes de Brian Stableford. Le livre doit paraître prochainement.



mardi 21 janvier 2014

Charles Richet, Dans Cent ans [critique]

Quand un anticipateur ne semble pas assez... anticipateur ou que ces anticipations ne correspondent pas aux voeux du critique, cela donne une descente en flammes dans la presse comme le fait Paul Ginisty à propos de Dans Cent ans de Charles Richet en 1892. Charles Richet ( 1850 - 1935 ) était un physiologiste. En 1913, il obtient le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur l'anaphylaxie. Entre 1920 et 1926 il est président de la Société française d'eugénisme. Il reste tristement célèbre pour des ouvrages prônant la sélection humaine ( La Sélection humaine, L'Homme stupide) et des propos de ce genre : "après l'élimination des races inférieures, le premier pas dans la voie de la sélection, c'est l'élimination des anormaux"...



Le spectacle de la société présente est si peu fait pour nous contenter, qu'il n'est guère d'esprit généreux (ou simplement curieux) qui ne cherche à percer le voile de l'avenir. Un jour ne viendra-t-il pas, qui donnera satisfaction à nos instincts de justice ? Ce que nous concevons encore vaguement — et timidement — les temps futurs ne le réaliseront-ils pas?
De là, tant de rêveries, empruntant une forme romanesque, tant de fictions philosophiques, reprenant, incessamment, le vieux thème du réveil d'Epiménide. Ces ouvrages prophétiques se sont multipliés, en ces dernières années. Rappelez-vous seulement la Race future, de lord Lytton, ou l'An deux mille, d'Edouard Bellamy.
Dans ces deux livres, c'est au moyen d'une fable plus ou moins ingénieuse, le problème de l'avenir qui s'agite. Les hommes vaudront-ils mieux dans un temps donné qu'ils ne valent maintenant ?
Lord Lytton les entrevoyait affranchis par la science, la science ayant mis à leur service un outillage parfait, des machines admirables, les délivrant de la plupart des servitudes actuelles.
Edouard Bellamy, lui, supposait, plus témérairement encore, des améliorations considérables dans le fonctionnement des institutions sociales. Il imaginait la disparition de l'argent et son remplacement par un système d'échanges, et ainsi — d'un coup de plume — supprimait-il la misère !
Beaux rêves qui semblent encore bien loin de nous, plus loin que la date assignée par ces philosophes-romanciers pour leur réalisation !
M. Charles Richet, lui, s'est borné à se demander, ce que serait le monde dans cent ans — en 1992 — et il s'est plu à en tracer un tableau dont les éléments sont pris surtout dans les statistiques actuelles, en tenant compte de leur progression probable.




A lui, on ne peut pas lui reprocher d'avoir trop lâché la bride à son imagination; mieux valaient les prophéties des simples littérateurs que ces prophéties sèchement scientifiques qui, au demeurant n'ont pas, plus que les autres, un caractère de vraisemblance !
Dans cent ans, la société n'aura pas beaucoup changé selon M. Richet, et il n'y a pas besoin d'être sorcier pour prédire les progrès matériels qu'il annonce, — plus de rapidité dans les communications, l'accomplissement de quelques grands travaux actuellement projetés (comme le percement des isthmes et la construction de tunnels sous-marins), l'uniformisation des monnaies et des mesures, le perfectionnement de découvertes ébauchées, le peuplement de colonies ou l'élément européen est encore rare.
Tout cela, c'est fatal; cela découle logiquement du présent. On ne peut considérer ces indications comme des prédictions. Mais voyons ce que M. Richet dit des modifications du gouvernement et des mœurs. Eh bien ! il n'y en aura pas, ou presque pas, à l'en croire. Les Etats européens seront des démocraties parlementaires, penchant vers « une sorte » de socialisme ; on continuera à se soumettre aux lois, tout en doutant de leur vertu ; l'indifférence religieuse augmenteja ; le monde futur sera essentiellement utilitaire ; la richesse sera sans doute plus disséminée ; la force, le plus souvent, aura encore raison.
M. Richet veut bien nous dire ce que sera la littérature dans cent ans. De poésie, il n'y en aura plus- il la supprime cavalièrement : — les romans passeront d'une « formule à une autre »; l'histoire ne fera que des perfectionnements de détail, sans grande importance; l'art oratoire ne disparaîtra pas, mais les orateurs traiteront leurs sujets en hommes d'affaires, avec concision et sobriété.


La philosophie, elle, dédaignera la métaphysique.
Puis M. Richet passe au chapitre de la médecine, destinée à faire de grands progrès ; il y aura des vaccins contre toutes sortes de maladies, et — prédiction vraiment singulière — la prostitution sera mieux réglementée, grâce aux conseils, enfin écoutés, des hygiénistes.
Toutes les « prédictions » de M. Richet sont dans ce genre et gardent cette étroitesse. On a pu accuser de témérité les autres prophètes, mais, lui, à força de timidité, n'est-il pas aussi éloigné qu'eux de la vérité probable?




N'a-t-il donc rien voulu comprendre de l'énorme mouvement qui se prépare ?
Peut-on admettre, dans cent ans encore, (quand on a vu ce qui s'est accompli au au XIXe siècle) la fidélité a ce que nous savons déjà être des préjugés et des abus routiniers? N'est-il pas évident que, selon le mot de Schelley, « le monde est las de son vieux passé ? » Tout ce bouillonnement actuel de la pensée n'aboutirait-il qu'à consolider le système parlementaire? Il serait pitoyable que ces civilisés, d'ici à cent ans, ne se montrassent pas plus hardis! Est-ce qu'il est admissible que les jeunes générations qui se lèveront soient aussi dociles à accepter l'héritage de lois que, nous autres, nous commençons à discuter, sans nous laisser intimider par leur ancienneté.
Le ciel veuille qu'elle soit pacifique!
Mais une immense révolte monte, et il faudrait être sourd pour ne pas l'entendre.
Et les questions de la propriété, du capital ? M. Richet suppose-t-il qu'elles dormiront pendant cent ans ? Et les revendications féminines, et la fragilité, de plus en plus notable, des liens du mariage ? Ce sont là des problèmes qui sont sans doute inquiétants, mais, quand on parle de l'avenir, il faut bien les remuer.
Jamais plus d'idées n'ont été en fermentation, jamais la pensée n'a été plus audacieuse, jamais elle n'a mieux osé tout regarder en face, — et, dans cent ans, on en serait encore à de menues réglementations, comme celles auxquelles se complaît M. Richet ! Allons donc !
Le monde marchera plus vite que cela !
Nous ne sommes, manifestement, qu'une époque de transition et nous croirions imposer du définitif!
Le secret de l'avenir, certes, n'est à personne. Mais, cet avenir, il est impossible de ne pas le concevoir plus largement que ne le fait M. Richet. C'est à des bouleversements qu'il faut s'attendre, bouleversements tragiques peut-être, pour amener un état de choses meilleur.
Les tableaux graphiques, très doctes, de M. Richet, avec leurs prolongements de courbes, feront petite figure, un jour, en présence de l'imprévu, qui les aura réduits au rôle d'amusettes.
Victor Hugo, en évoquant le vingtième siècle, a sans doute été bien vague, et a été purement poète en disant qu'il ne comportera rien de semblable à notre vieille histoire. Mais il a pressenti ces bouleversements qui se doivent fatalement accomplir - qu'on les craigne ou qu'on les espère !
Si, dans cent ans, le monde devait — a si peu de chose près — être encore ce qu'il est, comme l'imagine M. Richet, ce serait une pensée qui ne serait pas loin d'être désespérante.


Paul Ginisty, « Causerie littéraire » in Gil Blas n° 4646, 7 août 1892

Source de l'article: Gallica
Sources des illustrations:
Portrait de Charles Richet : Wikipédia
Extraits de Dans Cent ans : Gallica

lundi 20 janvier 2014

Enigme du lundi : que font ces hommes ?

Nouvelle énigme du lundi avec cette image industrielle : que font ces hommes ?


mardi 14 janvier 2014

Charles Carpentier, Une Ville souterraine (1886)

Si l'on en croit les romanciers, sous la Terre ont survécu diverses civilisations que l'on croyait disparues : André Armandy présente une civilisation maya dégénérée dans Le Démon bleu (Miss Démon) et Jean Bonnéry une survivance inca (Les Prisonniers de la Montana) en 1925, Maurice Schneider et MC Poinsot nous racontent la fin de la cité babylonienne cachée dans Sémiramis, reine de Babylone (1926), Albert Bonneau imagine des cavités peuplées de descendants des Égyptiens (La Cité sans soleil, 1927), etc.

Une Ville souterraine, histoire merveilleuse de Charles Carpentier relève de ce que les anglo-saxons nomment les « Lost Race Novel ». En Normandie, à proximité d'Avranches, le héros ne trouve rien de moins qu'une ville en tout point semblable à la Rome impériale survivant depuis l'Antiquité.


[Article mis à jour le 14/01/2018]

vendredi 10 janvier 2014

La locomotion de demain ( 1924 )

Après le Vaisseau Volant de Monsieur Blanchard, voici un nouveau mode de locomotion aérienne.
L'aérocar entre Paris et Saint Denis a été un projet dans les années 1920. Un jouet fut même produit.



On trouve le mot "aérocar" dans une autre acception dans la nouvelle de Georges Rouvray publiée sur le site ArchéoSF les textes.

Source de l'image: Gallica

mercredi 8 janvier 2014

Le vaisseau volant de M. Blanchard

Jean-Pierre Blanchard ( 1753 - 1809 ) fait partie des pionniers de l'aérostation. Il a construit des automates, une voiture à pédale ou encore des machines hydraulique. 
Dès 1782, il travaille à la construction d'un "vaisseau volant ayant la forme d’un oiseau, muni de six ailes et de gouvernail". En 1784, il réalise un vol au départ du Champ de Mars à Paris. Son ballon a la particularité d'être muni de rames et d'une hélice afin de tenter de le diriger. D'autres vols suivront dont le plus célèbre est la traversée de la Manche entre Douvres et Guînes en compagnie de John Jeffries le 7 janvier 1785.

Source de l'image: Gallica

vendredi 3 janvier 2014

Comment on imaginait l'année 2014... en 1930 !


File:George Bernard Shaw 1936.jpg

Un petit article publié en 1930 dans L'Européen mentionne une pièce de Bernard Shaw dont j'ignore presque tout et que je ne suis pas certain d'avoir vraiment identifié. Le sujet est un débat en 2014 entre un Anglais et un Allemand au sujet de la Guerre de 1914-1918. Une sorte de "Cent ans après"...



En 2014...

Il paraît que l'infatigable Bernard Shaw travaille à une nouvelle pièce. Suivant la mode littéraire du jour, il a pris pour sujet la guerre de 1914, mais, naturellement, il va le traiter à sa manière, avec toute la causticité de son esprit.
La pièce pourrait s intituler : Cent ans après, car l'action se passe en 2014. La guerre est entrée dans le domaine de l'histoire, c'est-à-dire qu'elle est devenue un pensum pour tous les enfants des écoles... Le 1er août 2014, pour le centième anniversaire, un célèbre historien anglais fait une conférence, et tandis qu'il parle, le spectateur voit se dérouler, dans des tableaux successifs, divers épisodes du conflit européen. Au deuxième acte, on est transporté à Berlin. Un savant allemand raconte lui aussi la guerre et, de nouveau, plusieurs scènes montrent comment cet Allemand se représente les événements. En l'espace d'un siècle, on aurait dû semble-t-il, fixer l'histoire de ces années terribles... Pas du tout. L'Anglais et l'Allemand voient toujours la guerre de 1914 avec des yeux différents. Ils appartiennent à deux écoles historiques opposées : l'un est partisan du matérialisme historique et l'autre est féru d'idéalisme. Vous pensez si Shaw se moque autant de l'un que dé l'autre. Ces gens à systèmes n ont oublié qu'une seule chose : les horreurs de la guerre, son affreuse réalité, quotidienne. Bien entendu, la pièce ne serait pas de Shaw si elle n'était pas un canevas commode pour faire la satire de toute la société européenne du XXIe siècle. Il étale les progrès inouïs de la science : des aéroplanes-fusées font des voyages réguliers sur Mars et dans la lune, il y a dans toutes les maisons des appareils de T.S.F. d'une puissance énorme, on a réussi à décomposer l'atome, etc. Mais les hommes, que sont-ils devenus au milieu du triomphe de la technique ? Ils sont restés tels qu'ils étaient jadis, avec tous leurs défauts, leurs vanités, leurs mesquineries, leurs vices, et ni les horreurs de la guerre, ni les plus magnifiques découvertes ne les ont rendus meilleurs...
« Je crains qu'aucun théâtre ne veuille jouer ma pièce », a déclaré Bernard Shaw dernièrement. Bien entendu, il pense tout le contraire, et ses prétendues craintes ne sont que coquetteries d'un dramaturge gâté par le succès et sûr de lui.


In L'Européen, Hebdomadaire économique, artistique et littéraire, 19 février 1930 

mercredi 1 janvier 2014