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samedi 1 mars 2014

Charles Nordmann, Et si les Martiens débarquaient demain sur la Terre ? ( 1924 )

Le 22 août 1924, à la première page du quotidien Le Matin, Charles Nordmann s'interrogeait : "Et si les Martiens débarquaient demain sur la Terre ?" alors même qu'une question de la plus haute importance devait être débattue à l'Académie française : doit on dire Martien ou Marsien ?

Et si les Martiens débarquaient demain sur la Terre ?

Tout de même, lorsqu'on y réfléchit, on ne peut se défendre d'une petite émotion en pensant que demain la planète Mars sera à la plus petite distance de la Terre où elle se sera trouvée depuis plus d'un siècle.
Pourquoi de l'émotion à propos d'un événement qui a en apparence si peu de rapports avec les durs problèmes de vie chère et de politique où nous sommes embourbés ? Je vais en dire les raisons, et je serais bien surpris si, après. les avoir lues, beaucoup de lecteurs n'éprouvaient, eux aussi, un petit frisson. Ce sera un frisson rapide, puisqu'il ne durera que vingt-quatre heures et que demain nous serons fixés dans un sens ou qui sait ? dans l'autre.
J'ai expliqué déjà, ici même, que les prétendus « canaux » de Mars n'existent pas et qu'il n'y a, pour nous, ni plus ni moins de preuves de l'existence des Martiens qu'il n'y en aurait de l'existence des hommes terrestres pour un astronome martien observant la Terre avec des lunettes pareilles aux nôtres. On conviendra que ce n'est pas suffisant pour nier l'existence des Martiens.
Mais alors ? Eh bien ! s'il y a là-haut des êtres vivants c'est-à-dire analogues à nous et très intelligents c'est-à-dire,- par ailleurs, quelque peu différents de nous !– il y a quelque chose de possible. je ne dis pas de probable. C'est que, comme l'a supposé Wells dans une de ses plus belles anticipations, ces êtres, de plus en plus mal à l'aise sur une planète refroidie, ont pu songer à conquérir une colonie par delà les gouffres de l'espace. C'est que cette colonie est la Terre, plus chaude que Mars à cause de son voisinage du Soleil, et moins usée par les glaces de l'âge. Mais alors, les Martiens auront évidemment (si ce projet a germé il y a moins d'un siècle) préparé leur offensive pour le jour où la Terre la Terre promise et Mars seront plus rapprochées qu'on ne le vit depuis cent vingt ans. Or, ce jour, c'est demain, 23 août 1924.
Vraiment, si demain quelque projectile habité, quelque cheval de Troie interplanétaire, déposait dans nos murs des êtres admirables et redoutables plus ou moins analogues à ceux qu'a révés Wells, ce serait drôle. Ce serait drôle, car je parie que du coup la solidarité européenne serait comprise et pratiquée par tous. Ce serait drôle, car aussitôt on verrait l'argent, tout l'argent, sortir des coffres pour le salut général des hommes, enfin solidaires. Ce serait drôle, mais c'est, hélas ! peu probable.
Je dois en effet, quoi qu'il m'en puisse coûter, refroidir les flammes imaginatives qu'une telle perspective peut, d'ici demain, faire jaillir, dans les cerveaux trop facilement bouillonnants. Car il a été démontré depuis peu, par les recherches spectroscopiques de Campbell, que la densité de l'atmosphère, à la surface de Mars, est au plus la moitié de ce qu'elle est à ce sommet de l'Everest que les explorateurs ont dû renoncer atteindre jusqu'ici, faute d'air. Si donc il y a des Martiens, leur organisme doit être totalement différent de celui des animaux terrestres. Par conséquent, ils ne pourraient survivre à leur débarquement sur la Terre, à leur atterrissage, c'est le cas de le dire.
Comme nous les avons supposés très intelligents et très savants, ils auront prévu cela et ils seront restés chez eux.
Il y a encore quelques autres petites raisons qui font que je doute fort de les voir ici-bas demain matin. C'est grand dommage, car il eût été beau de regarder la grimace du lion britannique si la cathédrale de Saint-Paul avait eu demain, comme l'imaginait Wells, sa belle coupole perforée par les Martiens. Mais voici que, se superposant à nos transes, un angoissant problème linguistique se dresse devant ma plume. Doit-on écrire Martien, comme on dit martial, par dérivation aussi de Mars, ou doit-on écrire Marsien, comme fait Wells ? Ces messieurs de l'Académie nous le diront après-demain si ce que je crois plus que je ne le souhaite le front de Terre reste demain inviolé. Mais quel ennui que le réel diffère, parfois du possible.

Charles Nordmann.


Image: couverture de HG Wells, La Guerre des Mondes, Calmann Lévy, 1917

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