Renée Dunan est une personnalité qui fascine. Ecrivain, journaliste, critique,... ses talents sont multiples et ses positions souvent provocantes.
L'infatigable Fabrice Mundzik après avoir lancé un blog consacré à JH Rosny nous propose depuis le début 2015 un nouveau blog sur Renée Dunan. Articles d'époque, bibliographie, actualité de Renée Dunan sont au programme.
ArchéoSF profite de ce moment "Dunanien" pour reproduire un extrait de Triple caresse publié en 1922 dans L'Homme libre. Il y est question de révolution future et d'armes secrètes... Serait-ce le Grand Soir? Le site consacré à Renée Dunan présente longuement La Triple caresse.
La
Triple caresse
La
Triple caresse (Albert Michel, éd.-)
de Mme Dunan, contrairement à ce qu'on pourrait
penser, est l'histoire d'un homme, vaincu par les mille mesquineries
de la vie provinciale, qui vient à Paris, s'y débat,
sombre parfois, participe à-une révolution, y devient
à la fois hors la loi par le pouvoir établi et par le pouvoir
révolutionnaire, accède enfin dans l'ironie
fatale de choses humaines au premier rang de l'Etat. Les trois
caresses sont : l'amour, la puissance; l'argent. Voici
un extrait du livre où l'auteur décrit une révolution :
Paris
était fébrile durant ces événements. Les trois cent mille soldats
qui avaient été amenés à proximité de la capitale durent être
envoyés dans les villes révoltées. L'on donna ordre de faire
revenir d'Algérie cent mille hommes, dont des mouvements
séparatistes antérieurs avaient nécessité l'envoi.
C'est
alors qu'eut lieu un étrange événement : le président du Conseil
des Ministres d'Italie, Grealli, prononça un grand discours où il
disait :. « L'heure est enfin venue de libérer nos frères
tunisiens. L'heure est proche où l'oeuvre de l'Unité Italienne doit
s'accomplir. Vive Bizerte italienne ! Notre primauté
méditerranéenne s'affirmera bientôt. La Rive d'Azur est une annexe
de notre immortelle Gênes. »
Lorsque
cette sortie fut affichée à Paris, on crut que le peuple oublierait
dans la menace-étrangère ses dissensions et ses colères. C'est
alors que le gouvernement de la République connut qu'il avait
irrémédiablement séparé la nation de ses maîtres. Le discours de
Grealli passa au milieu des soucis quotidiens comme un événement
sans. importance et l'idée d'une mobilisation qui hantait le
Président de la République dut être abandonnée.
Il
y eut dès lors, des collisions à Lille et à Saint-Etienne et
encore des exécutions à Lyon. Les gouvernements étrangers
envoyèrent chacun deux mille soldats pour la garde des ambassades.
Cette
fois, Paris prit' la tête du mouvement de révolte. Les rancunes les
plus lointaines, les colères de la Commune, des irritations
accumulées durant tant de premiers mai où les dragons avaient
chargé la foule, tant de vieux levains fermentèrent. On vit des
gens, jusque- là inoffensifs, se livrer à des manifestations
violentes. Chaque nuit, il y eut plusieurs agents de police
assassinés et tous les grands magasins fermèrent.
L'état
de siège fut décrété. Durant une orageuse réunion du Conseil des
Ministres, le Président de la République avait dit que s'il le
fallait il exécuterait un million d'hommes, mais que la Révolution
n'aurait pas le dernier mot. Tous les ministres démissionnèrent,
sauf Jacques Altmay, ministre de la Guerre, et Henri Plégrin, qui
régnait sur les Postes et Télégraphes, tous, deux socialistes. Une
sorte de dictature fut créée ; le général Mantrelas donna sa
parole que si tous les moyens lui étaient confiés sans réserves,
il materait le peuple.
Ce
furent des heures étranges et mélancoliques. Les rues de Paris
étaient suivies sans cesse par des bandes ardentes et coléreuses de
désœuvrés, de grévistes et de lock-outés qui cherchaient à
répandre le trop-plein de leur folie.
Des
incidents surgissaient partout, presque toujours accompagnés de mort
d'homme, et nul ne savait même pourquoi on avait tué. Une
irritation pathologique tenait le peuple. On remarqua qu'il devenait
insensible aux privations. Des milliers de malheureux ne songeaient
plus à eux-mêmes, ils retrouvaient la démence mystique des
premiers chrétiens.
Pourtant,
il en fut de cela comme de l'agonie d'un homme, elle dure toujours
plus longtemps qu'on ne se figurait. De même cet état morbide se
prolongea un mois entier. Le général Mantrelas eut donc le temps de
prendre toutes les mesures qui lui semblèrent propices. Il hâta
sans le savoir l'explosion finale.
On
avait organisé un système de roulement régulier des troupes. Sept
cent cinquante mille hommes sous les armes devaient pouvoir assurer
le maintien de « l'ordre ». Quatre armées de soixante mille hommes
chacune étaient cantonnées en quatre points stratégiques choisis
de façon à pouvoir se rendre très vite en n'importe quel lieu
révolté. Cent soixante mille hommes circulaient entre les villes
menacées par la révolte. Aucun régiment l'y séjournait plus de
cinq jours. Les trois cent cinquante mille hommes de supplément
étaient massés sur-la frontière italienne et allemande.
Toutes
les villes de trente, mille habitants étaient nanties d'une Cour
Martiale et les grandes cités s'en voyaient offrir de quatre à
douze (Paris).
Les
précautions de Mantrelas acquises, on crut l'heure venue de recourir
à la manière forte, et le même jour cinq cents révolutionnaires
-étaient incarcérés. Il y avait eu douze cents mandats, mais,
malgré l'organisation militaire de Paris, qui passait pour
admirable, cinquante commissaires occasionnels disparurent en allant
effectuer les gestations. Nul ne put dire où ils avaient été
emmenés. On sut seulement que la presque totalité de deux
arrondissements, le dix-neuvième et la vingtième, étaient déjà
aux mains de la révolte. Les cinq bataillons de coloniaux qui les
occupaient fraternisaient avec la population et la plupart des
officiers semblaient disparus.
On
pensa en haut lieu que les révolutionnaires avaient aménagé une
prison. Cependant, les cinq cents arrêtés étaient une bonne prise.
Le même jour, le général Mantrelas était tué en sortant du
Ministère de la Guerre, par un inconnu qui avait tiré une bande
entière de mitrailleuse sur la voiture du ministre, d'un balcon
proche. L'assassin s'enfuit. La mitrailleuse était restée sur le
balcon.
A
cinq heures, un énorme incendie se déclarait subitement au
Ministère de l'Intérieur, causé par des bombes incendiaires pour
avions qui avaient été portées là on ne sut par qui.
A
sept heures, le groupe A. L. (Anarchie Libératrice) hissait le
drapeau noir sur la mairie du vingtième arrondissement et déclarait
prendre en charge le gouvernement de ce coin de Paris. Lorsque la
nuit vint une angoisse nouvelle pesait sur la capitale déjà
désertée par ses riches et ses gros négociants. Le peuple
prétendait être le maître, mais comment se conduirait l'armée ?
Les
rues devinrent une série de camps retranchés, mais les patrouilles
ni les postes ne pouvaient agir dans toutes les voies de capitale et
pour la première fois le gouvernement s'aperçut qu'il avait contre
lui autre chose que des bandes d'énergumènes. Une sorte de
commandement, aussi informé et soutenu que le vrai, agissait
visiblement dans l'ombre. A proximité de postes, des incidents se
produisirent régulièrement, suivis d'une sortie du poste et de sa
destruction immédiate. Des mitrailleuses du nouveau système
ultra-rapide, des fusils électriques utilisant la force centrifuge
et dont on ne pouvait repérer les emplacements étaient aux mains
des révolutionnaires sans qu'on pût deviner leur origine, ces armes
étant secrètes et les stocks contrôlés.
La
nuit tomba ce soir-là dans l'épouvantement. Le gouvernement
accusait plusieurs centaines de morts, la désertion de milliers
d'hommes et la révolte d'un régiment nègre qui, accueilli par le
tir en enfilade de quatre mitrailleuses dans l'avenue de Neuilly,
s'était débandé après avoir tué ses officiers.
Au
général Mantrelas, le Président de la République succéda. Il
supprima le Conseil des Ministres et se déclara dictateur. Des
ordres d'une cruauté asiatique furent donnés. On devait fusiller au
matin les cinq cents révolutionnaires arrêtés. En même temps, on
tenta un regroupement des troupes. Tous les petits postes et les
patrouilles furent ramenés dans le centre.
On
reconquerrait Paris maison à maison s'il le fallait.
Mais
au jour, la prison de la Santé, où étaient les révolutionnaires
incarcérés, fut prise d'assaut. Des barricades avaient rendu
impossible la venue des secours à temps. Pourtant, avant leur
délivrance, plusieurs détenus furent exécutée par un gardien
chef, tué lui-même plus tard, et qui avait été mandaté pour ces
actes comme il fut prouvé par un pli secret trouvé sur son cadavre.
Une série de combats violents s'engagèrent dès la venue des
troupes régulières au secours des postes de garde de la prison qui
furent d'ailleurs exterminés. La lutte mit en présence des
outillages militaires équivalents et la peur régna en haut lieu. A
midi, on disait que le pouvoir consentait à traiter. Dès une heure,
toutefois, il procédait au regroupement des régiments fidèles et
une sorte d'armistice, dont nul ne savait par qui, au nom de qui, et
à quelles conditions il avait pu être sigillé, régna jusqu'au
soir.
Le
gouvernement très habile, avait donné l'ordre à trois armées de
venir sans délai, l'une de Bourges, l'autre d'Amiens, la troisième
de Thouàrs. Il comptait que ces cent quatre-vingt mille hommes
commenceraient dès le soir à arriver. Il n'avait pas abandonné
l'idée de reprendre Paris rue à rue en fusillant, s'il le fallait,
lia moitié des habitants, ou en noyant des quartiers entiers d'ans
les gaz asphyxiants.
L'après-midi
fut calme. La main mystérieuse que l'on avait cru sentir dans
l'organisation des révoltes précédentes ne se manifestait plus.
Paris retrouva un semblant de tranquillité. Des gens sortirent pour
voir ce qui se passait. Les cafés étaient bondés et l'on entendit
des orchestres jouer des airs attendrissants, tandis que se préparait
la fin.
Ce
jour-là à quatre heures, le Grand Comité Central Révolutionnaire
était réuni.
L'Homme
libre, n° 2312, 22 novembre 1922
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