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samedi 12 septembre 2015

Graindorge, Dépopulation (1896)

La question démographique a été un sujet sensible entre la guerre de 1870-71 et celle de 1914-1918 en France. Source de polémiques, elle a aussi été une inspiration pour les auteurs de conjectures. Graindorge (qui est un pseudonyme d'Alfred Capus) anticipe un avenir où la population française s'est fortement réduite mais dans laquelle ses travers n'ont pas disparu. Quelques mois plus tard, le 22 août 1896, le docteur Jacques Bertillon, le frère d'Alphonse Bertillon pionnier de la identité judiciaire, fonde l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française, c'est dire si le thème était dans l'air du temps




Dépopulation



On n'a pas encore le résultat officiel du recensement, mais un fait semble acquis : c'est que la France se dépeuple.

Graindorge assure que cette triste nouvelle est en ce moment l'objet de toutes les conversations. Encore quelques siècles, et les Français, réduits à leur plus simple expression, ne formeront plus que l'ombre d'un peuple.



La scène se passe en l'an 3996.



UN FRANÇAIS. — Mes chers concitoyens, ce que l'on prévoyait depuis longtemps est malheureusement arrivé. La France s'est dépeuplée de plus en plus, et nous en sommes arrivés à n'être plus que quelques-uns dans le Beau pays de France.

DEUXIÈME FRANÇAIS. — Enfin, ce qui est fait est fait ! Ce n'est pas la peine de nous casser la tête.

TROISIÈME FRANÇAIS. — Il s'agit de prendre une résolution.

PREMIER FRANÇAIS. — Il s'agit surtout de faire un recensement exact des citoyens français qui restent encore.

DEUXIÈME FRANÇAIS. — A quoi bon?

PREMIER FRANÇAIS.— C'est dans l'intérêt de la statistique. Les nations périssent, la statistique ne meurt pas.

DEUXIÈME FRANÇAIS. — Combien reste-t-il de Marseillais ?

PREMIER FRANÇAIS. — Deux mille quatre cent un.

DEUXIÈME FRANÇAIS. — J'ai lu, dans des livres, qu'il fut une époque où il y en avait près de cinq cent mille !

TROISIÈME FRANÇAIS (sceptique). — On dit ça... J'ai bien lu, moi, qu'autrefois Bordeaux avait deux cent mille âmes... Il est vrai que les Bordelais exagèrent toujours un peu. Quoi qu'il en soit, nous avons encore six cent cinquante-trois Bordelais, et je trouve que c'est bien joli.

PREMIER FRANÇAIS. — Mes chers amis, ne nous faisons pas d'illusion. La France a été infiniment plus peuplée qu'elle ne l'est aujourd'hui... Voyez ces chiffres que je mets sous vos yeux... Consultez-les... et tâchons au moins de ne plus diminuer dorénavant. Ayons confiance ! Malgré les ravages de la dépopulation, la France est toujours la France et les Français sont toujours le peuple le plus spirituel de la terre.

DEUXIÈME FRANÇAIS (consultant les tables de statistique). — Par exemple, il y a une chose qui m'étonne. Le nombre des Français diminue, mais les impôts augmentent tout de même chaque année.

PREMIER FRANÇAIS.— C'est un des mystères de l'histoire de France. Le jour où il ne resterait qu'un seul Français, ce Français-là trouverait encore le moyen d'être écrasé d'impôts, ce qui ne l'empêcherait pas de représenter à lui tout seul la vieille gaieté française. 

Graindorge (pseudonyme d'Alfred Capus?), « Dépopulation » in Les Annales politiques et littéraires , n° 668 daté du 12 avril 1896 ; in La Lanterne, n° 1618 daté du 26 décembre 1899 (sans la mention de la date de 3996)

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