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samedi 9 juillet 2016

[critique] Les Uchronies (1905)

Le mot "Uchronie" a aujourd'hui un sens bien compris par tout le monde et il semble que, quand on parcourt la presse du XIXe siècle et du début du XXe siècle l'idée d'une histoire alternative, contre-factuelle avec une divergence par rapport à notre fil historique soit déjà parfaitement admise et assimilée.
Ainsi quand Joseph Méry donnait le titre, à ce qu'on appelait pas encore une uchronie, "Histoire de ce qui n'est pas arrivé" à un texte narrant l'épopée orientale de Napoléon Bonaparte il livrait une véritable définition. On trouve dans les ouvrages du XIXe siècle des mentions du mot "Uchronie" à partir de 1876, c'est à dire de l'édition en volume de l'Uchronie, utopie dans l'histoire de Charles Renouvier (première édition incomplète en 1857).

En 1876 Le Musée Universel donne cette définition : "Uchronie veut dire hors du temps comme utopie veut dire : hors de l'espace".

Dans son Lexique de philosophie (éditions P. Delaplane, 1892) Alexis Bertrand (professeur de philosophie, 1850 - 1923) termine son article "Utopie" par ces mots: 
M. Renouvier a forgé sur le même type le mot uchronie qui signifie ce qui n'a eu d'existence en aucun temps, ce qui aurait pu avoir lieu, mais ne s'est point passé réellement; en d'autres termes, l'histoire imaginaire de ce qui serait advenu si par hypothèse tel ou tel grand événement historique qui a laissé des traces profondes était supprimé ou modifié. 

Le Dictionnaire des dictionnaires (sous la direction de Paul Guérin, éditions Imprimerie Réunies, 1895) est plus laconique: 

Uchronie: Histoire fictive. 
Pourtant l'article anonyme intitulé "Les Uchronies" publié dans La Presse ( n°4729 daté du 11 mai 1905) semble méconnaître ces définitions et donner comme signification uniquement "hors du temps" c'est à dire pouvant recouvrir des anticipations comme des uchronies comme on peut le constater avec les oeuvres mentionnées par l'auteur : 


Les Uchronies


C'est vraiment la caractéristique manie de notre époque, le désir prenant des contemporains, l'avidité de vivre, de voir et de connaître, de prolonger, de dépasser le temps et l'espace, d'arranger l'existence de telle sorte qu'elle s'allonge démesurément dans l'avenir et dans la distance. Nous sommes les anticipateurs du présent.
Les anciens cherchaient l'avenir dans des sortilèges, et encore l'interrogation de cet avenir n'avait d'autre but que l'utilisation pratique du présent, l'oracle de Delphes,: la sibylle de Cames donnaient des avis. Nous autres, nous envisageons l'avenir avec une curiosité artiste, un sens de prévision qui nous fait vivre des événements imaginaires, combinés avec une logique fallacieuse et un ordre illusoire. Nous nous complaisons aux uchronies.
Uchronies, arrangements historiques et commentaires de l'avenir, cette sensationnelle grande page d'un illustré représentant l'incendie possible du Musée du Louvre avec le sauvetage des tableaux ; uchronie, le tremblement de terre qui détruit Londres, montrant l'écroulement de Trafalgar-square et la lézarde immense de la National Gallery, dans un célèbre magazine; uchronie, la grande guerre européenne de 1903 annoncée, racontée, décrite dans un Journal anglais ; uchronie; ce roman allemand, la victoire de l'Allemagne unie à la France pour battre l'Angleterre sur mer et sur terre, faisant entrer dans Londres le kaiser en même temps que le colonel Marchand dans un même triomphe; uchronie, cette publication parisienne romanesque du capitaine Danrit qui nous fait assister à l'invasion Jaune jusqu'au pied même de la Tour Eiffel ; un périodique nous raconte l'arrestation de M. Loubet et l'emprisonnement des ministres, et l'Age d'or, aux Variétés, nous montre le spirituel Brasseur évoluant à travers le temps.
Oui, ce ve de Follentin, imaginé parlée par les ingénieux auteurs de Champignol, est aussi une uchronie. Follentin a une âme ultra-moderne sous la folie de deux maîtres du Vaudeville se voile une idée poignante, une idée d'aujourd'hui, et, à travers leur blague et leurs quiproquos, on peut y sentir notre désir qui frissonne, toute notre angoisse du devenir.
Enfants terribles que nous sommes, le présent est déjà si rempli, si varié, si plein de choses le voir, le connaître, le pénétrer, en saisir les événements et leurs causes, tache énorme et tellement multiple. A quoi bon le gâter, ce présent qui nous échappe à chaque minute, par des suppositions, des espérances, des inventions ?
L'uchronie (que ne m'en veuillent pas les auteurs de fantaisies livresques, journalistiques et théâtrales que je cite) ressemble a des rêves de neurasthénique, des songeries de fumeur d'opium : elles ont un charme presque dangereux et un néant dérisoire... Je m'arrête, je sens que je vais en dire du mal et je devais me contenter de constater une tendance, et je dois me rappeler que Jean-Jacques avoue qu'il cédait quelquefois au plaisir d'arranger les événements qu'il racontait, et de prolonger ses anecdotes avec de l'imagination et que cela n'était pas mentir.






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