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mardi 26 juillet 2016

Paul-Louis Hervier,  En l'an 2000. Comment vivront nos fils (1922)

La presse entreprend souvent d'imaginer, avec plus ou moins d'audace, l'avenir. En 1922, Paul-Louis Hervier se projette dans le futur jusqu'à l'an 2000. Il fait pour sa part preuve de prudence...


En l'an 2000

Comment vivront nos fils

Dans soixante dix-huit ans,nos enfants ou nos neveux vivront l'an 2000.
Une statistique récente nous dit que sur sept nouveaux nés, un peut espérer vivre jusqu'à quatre-vingt ans. Il y a donc dans nos villes et villages de jeunes êtres qui connaîtront cette date pour nous mirage inaccessible.
De quoi l'an 2000 sera-t-il fait ?
Nous sommes encore bien superstitieux et volontiers nous nous plions aux manies de croyances multiples dont votre vie quotidienne s'embarrasse et se complique, mais moins ignorants et mieux guidés qu'il y dix siècles, nous n'appréhendons plus pour cette date une fin du monde avec fléaux, catastrophes et tourments.
Les devins et les sorciers ne seront plus là pour jeter l'alarme et la frayeur dans l'esprit de ceux qui seront contemporains de cette date dont l'importance sera sans doute fort relative. L'an 2000 différera peu de l'an 1999 ou de l'an 2001. Les astronomes ne nous ont encore prédit aucune possibilité dont nous puissions nous effrayer pour nos enfants et petits-enfants, nos neveux et arrière-petits neveux.
L'an 1000 fut marqué par une panique universelle et folle. L'an 2000 ne connaîtra que l'apothéose du progrès.
Le progrès, ou ce que nous appelons ainsi, fait depuis peu des pas de géants. Nous vivons actuellement entourés des améliorations ou des évolutions qui datent à peine d'un quart de siècle. Que verrons-nous demain ? Que verront dans soixante dix-huit ans les habitants de la terre ?
Questionnez un vieux Parisien octogénaire, il vous parlera des vignes de Montmartre, des champs de la rue Jouffroy, des omnibus lents dont l'impériale s'escaladait par quelques marches malaisées. La vie du boulevard était intense du côté de la Porte Saint-Martin. Peu à peu, le mouvement, l'élégance, se sont portés plus à l'ouest, du côté du nouvel Opéra, de la Madeleine, des Champs Elysées. L'octogénaire vous dira les progrès de la poste, puis de l'électricité, de l'eau, du chauffage, du phonographe, du téléphone, du télégraphe, mais comme on regrette toujours les belles années de sa jeunesse, il vous dira d'un ton très convaincu : « C'était le bon temps ! Et on avait un poulet pour trente sous ! »
Tous les jours, l'évolution des choses forme sur les bases de l'ancien un nouveau monde. Dans soixante-dix-huit ans, les merveilles de notre époque paraîtront des jouets d'enfants à ceux qui vivront Dieu sait comment.
Notre aviation, nos sous-marins qui, avant d'être des prophéties de Jules Verne furent des rêves et des utopies, connaîtront par stades des améliorations qui en feront des moyens aisés de locomotion pour tout le monde, à moins qu'on ne découvre un moyen plus simple encore.
Nous ne pouvons pas prévoir toutes les merveilles de demain que le bébé d'aujourd'hui pourra connaître au cours de sa vie.
En l'an 2000 nos merveilleuses locomotives, mondes ou monstres puissants, seront aussi démodées que la vieille pataches de nos ancêtres. Les trains sans doute existeront encore, mais ils seront électriques et ils iront si vite qu'on pourra, de Bruxelles ou Paris, gagner la Riviera ensoleillée en quelques heures. Toutes les machines de toutes les usines seront mues certainement par l'électricité. On aura capté la force de toutes les chutes d'eau, peut-être la force du vent, sans doute celle des marées, on aura peut-être trouvé le moyen de ravir à l'air, l'électricité qui s'y trouve.
On disposera peut-être grâce à l'électricité des forces telles que la transmutation des métaux ne sera plus pour les savants qu'une bagatelle. Il sera aussi aisé pour un chimiste de faire de l'or que pour une cuisinière moderne de faire une marmelade de fruits.
Un savant prévoit qu'on fera dans l'avenir des meubles avec un métal dérivé du nickel – le nickalum – si léger qu'on pourra déplacer une armoire avec autant d'aisance qu'une chaise si peu coûteux que tout le monde aura la possibilité de se meubler ainsi, si propre que l'hygiène y trouvera son compte. Les beaux meubles d'autrefois seront relégués dans des greniers ou exposés dans des musées, mais il y aura certainement des originaux pour désirer faire de leur maison de campagne une reconstitution d'habitation ancienne.
Comment vivra-t-on dans les appartements ? Tout sera électrique : la cuisine, le balayage, le lavage, et la main-d'oeuvre sera réduite au minimum. La crise des domestiques sera peut-être enfin résolue.
Un éditeur américain prévoit une grande amélioration dans la façon de présenter les nouveaux ouvrages. IL croit qu'on fabriquera des feuilles de nickel si légères et si minces qu'un seul volume pourra contenir 30.000 pages, plus flexibles et plus résistantes que les pages de papier. Il y a certainement un grand progrès dans ce rêve, mais ce n'est pas celui d'avoir des romans ou des études historiques de 30.000 pages.
Vous avez vu certainement ce dessin de publicité, représentant un lapin, sautant dans une machine en mouvement, qui éjacule de l'autre côté un merveilleux chapeau haut de forme au poil lisse. M. Edison croit que, peu à peu, tout pourra être fabriqué de cette manière. Par exemple, un complet sera coupé, cousu, garni de ses boutons par une machine minutieusement réglée et actionnée par l'électricité.
Les grandes villes seront-elles des enfers ou des paradis ? Un statisticien, par anticipation, prévoit que Londres aura quatorze millions d'habitants et Paris neuf millions. Il ajoute que les rues seront pavées de nickalum, métal plus durable, plus souple et moins bruyant que le caoutchouc. L'air des grandes cités sera devenu plus respirable. Il n'y aura plus de fumées d'usines. On se déplacera facilement grâce à de confortables trottoirs roulants souterrains ou peut-être même grâce à des wagonnets aspirés rapidement en des tubes pneumatiques.
LE charbon aura-t-il encore une valeur ? Se nourrira-t-on de produits synthétiques ? Est-ce que le laboratoire ne remplacera pas la ferme ? Un avant anglais prévoit qu'on demandera à la terre, non plus les légumes et les fruits, non plus les grasses prairies et les champs fertiles, mais une source inépuisable de chaleur et d'énergie. Il serait, dit-il, suffisant de creuser un puits de quelques kilomètres pour y trouver la chaleur nécessaire à toutes les industries. L'eau, à cette profondeur, serait à une telle pression et à une telle température qu'elle pourrait actionner aisément toutes les machines du monde.
Et la médecine ? Fera-t-elle les progrès qu'on attend depuis plusieurs siècles ? Sa sœur merveilleuse, la chirurgie, aura-t-elle découvert les secrets de la vie plus belle, de la vie éternelle. Prolongera-t-on l'existence, améliorera-t-on l'espèce humaine ? Un successeur du docteur Voronof rendra-t-il communs et aisés le changement de sexes et le rajeunissement par étapes des vieillards ?
Que de choses que nous ne prévoyons pas ! C'est toujours le rêve que nous n'avons pas qui se réalise. Il est impossible de de faire d'exactes prévisions, le progrès le plus inattendu se manifestera soudain dans le domaine dont on ne semblait pas s'occuper. Si un journal dans soixante-dix-huit ans retrouve l'exemplaire du « Midi » où a paru cet article, peut-être le reproduira-t-il avec quelques commentaires amusés.
« Si ce pauvre chroniqueur qui vivait en 1922, écrirait-il, revenait parmi nous, il n'en reviendrait pas. Nous avons fait bien d'autres progrès que ceux qu'il prévoyait. Il nous voyait végétant, or, nous vivons. »
Peut-être au contraire est-ce nous qui vivons. Je me souviens qu'un humoriste prévoyait que les hommes de l'avenir n'auraient plus d'estomac puisqu'ils ne mangeraient plus ; plus de jambes, puisqu'ils ne marcheraient plus. Après tout, nous nous sentons parfois bien heureux tels que nous sommes !

Paul-Louis Hervier, « En l'an 2000. Comment vivront nos fils »,
 in Le Midi, n° 4585, samedi 11 février 1922.

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