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vendredi 4 janvier 2019

[Critique] Louise Faure-Favier, Ces Choses qui seront vieilles... (1919)

Louise Faure-Favier (1870-1961) fut journaliste et romancière, passionnée d'aviation (elle battit des records de vitesse en avion notamment sur le vol Paris-Dakar en 1919 et sur le vol aller-retour Paris-Bagdad en 1930) et active dans le domaine de l'émancipation de la femme. Elle fut l'amie de Guillaume Apollinaire (elle publia un ouvrage Souvenirs sur Guillaume Apollinaire) et de Marie Laurencin (qui illustra Ces Choses qui seront vieilles. Souvenirs du XXe siècle... ou les Souvenirs sur Guillaume Apollinaire).

L'action de Ces choses qui seront vieilles se situe en 2019. Henriette Charasson en donne un résumé (même si elle situe l'anticipation en 2018) et une critique dans Le Rappel du 5 janvier 1920:




Ce n'est pas sur sa philosophie sociale qu'il faut juger le livre de Mme Faure-Favier (vis-à-vis duquel ma maladie m'a mise bien en retard) : à ce point de vue, les amateurs d'anticipations seraient déçus. Pour savoir peindre la vie telle qu'elle sera dans un siècle, après les convulsions qui se préparent, après les révolutions économiques que peuvent amener en cent ans les découvertes scientifiques auxquelles il, faut s'attendre (calculez le déplacement opéré dans tout l'univers, aussi bien politique qu'économique, par l'introduction du machinisme !), il aurait fallu joindre à l'imagination créatrice toute la science et tout le sens sociologique, toutes les facultés de reconstruction et d'induction du savant auteur des Responsabilités de Denis Papin (1) et ce genre d'études n'est guère le propre d'une femme ; mais c'est par d'autres qualités que se distingue Louise Faure-Favier, auteur déjà d'un joli recueil : Six contes et deux rêves. L'originalité de son charmant et ingénieux roman, ce n'est pas tant de vouloir nous présenter la vie telle qu'elle sera dans un siècle que de nous montrer de quel œil gentiment ironique ou mélancoliquement envieux nos descendants, dans cent années, pourront regarder notre époque. Ces choses qui seront vieilles..., c'est celles qui font notre vie maintenant et dont il nous est aussi difficile de croire qu'elles ne soient pas réellement immuables, qu'il est difficile à un vivant bien portant, de concevoir réellement la mort. Mme Louise Faure-Favier dessine deux amoureux de l'an 2018, qui découvrent le secret d'amour de l'arrière-grand-père de l'un d'eux, et la confrontation, de ces deux vies amoureuses, de ces deux façons d'aimer, ne manque, malgré un peu d'arbitraire, ni de saveur ni de charme ; il y a là des détails piquants, pittoresques et délicats, des notations d'une indéniable grâce féminine. Cependant, je ne pourrai m'empêcher de chercher querelle à Louise Faure-Favier qui, opposant son Aline moderne aux femmes du passé, nous la présente « droite et loyale comme un homme. » D'abord, je n'ai pas encore vu que l'homme soit plus droit et plus loyal que la femme ; c'est un bruit qu'il a voulu faire courir mais qui n'est pas fondé ; il y a dans les deux sexes des menteurs et 'il y a des êtres honnêtes ; mais si l'un des deux ment et trompe plus souvent que l'autre, c'est bien celui qui pouvait, puisque les conventions sociales lui permettaient plus de liberté, prendre l'habitude de la loyauté. Ensuite, cette jeune femme qui « excellait à réaliser l'honnête liberté dans le mariage, ou plutôt cette élasticité des relations qui assure la durée du bonheur conjugal », cette épouse qui prétend, en 2018, que « la femme de maintenant a un sens de l'honneur plus viril », nous donne immédiatement le sens qu'elle accorde à « l'honneur viril » en prenant un amant ; j'avoue que je ne vois pas en quoi cette pratique de l'adultère — et sans que son mari s'en doute, bien entendu ! — cette façon de concilier les agréments que procurent un mari savant, considéré, qui lui fournit un travail qui lui plaît, et un amant plein de poétique fantaisie, indiquent un « sens de l'honneur » et une « droiture », une « loyauté » plus caractérisée que chez la femme du XXe siècle.
A suivre Mme Faure-Favier, quand M. de Tyane, l'amant de 2018, oppose sans cesse son Aline moderne à la Pascaline de l'aïeul, on pourrait croire qu'au XIXe et au XXe siècles toutes les femmes étaient sentimentales au point de quitter mari, foyer et situation pour suivre, l'amant aimé, et que c'est parce qu'elle montre plus de « raison » qu'Aline se distingue d'elles. Je crois que de tout temps, il a existé des femmes plus tendres, avec des besoins plus romanesques que d'autres — et des hommes aussi ! — Je crois qu'il en existera toujours et que le fond de la nature humaine est éternel, quels que soient les changements des civilisations. Sans doute, il y eut toujours des amoureuses qui, par loyauté, par égoïsme ou par romantique exaltation, quittaient le mari trompé pour suivre l'amant peu sûr, mais les calculs pratiques qu'on nous présente chez Aline tantôt comme le nouvel apanage de la femme moderne, tantôt comme une marque de bon sens et de pondération, on les a toujours rencontrés chez la plupart des épouses adultères, et sans songer à les regarder comme une caractéristique nouvelle, et sans y découvrir de la droiture et un viril honneur. Un pacte est un une promesse est une promesse. un contrat est un contrat, et celle ou celui qui y manque n'est pas loyal : c'est justement par les engagements qu'il comporte que le mariage se distingue de l'amour libre. L'héroïne de Mme Faure-Favier eût été plus significative des changements que le sentiment de l'indépendance apportera, selon la romancière, au cœur féminin, si elle l'avait fait célibataire, vivant en dehors de tout lien conjugal, d'un travail intéressant, et, refusant de sacrifier sa liberté pour s'unir durablement à son amant. C'est alors que nous eussions bien conçu; par contraste, cette sorte de sécheresse de cœur dont elle veut que soient douées les femmes de l'avenir, puisque, de nos jours encore. la femme la plus éprise de son indépendance est prête à la sacrifier, à bouleverser tout dans sa vie dès qu'elle a rencontré l'amour.
Mme Faure-Favier semble croire aussi que l'habitude d'un travail personnel empêchera la femme de « rester femme » ; je la renvoie à ce propos au récent article de Colette Yver dans Le Correspondant du 25 décembre, où, sans parti pris, sans préjugé, et en alliant au respect de la tradition le juste sens des nécessités actuelles, Colette Yver nous prouve qu'avec une intelligente éducation qui sache continuer à développer en elle le sens atavique de l'abnégation, la jeune fille la plus apte à se tirer d'affaires seule, la plus habituée à prendre ses responsabilités, saura rester une amoureuse et une tendre épouse. Enfin, je reproche à la société future, telle que la conçoit Mme Faure-Favier, d'être une société où l'on ne voit pas la place de l'enfant. Que deviendraient les enfants dans la vie d'une Aline Ferrières (qui ne nous est pas présentée comme une exception), avec ses occupations dans les
deux hémisphères, les divers appartements –-conjugaux ou « de garçon » — du ménage, et jusqu'aux modes qui ne semblent pas prévoir lu possibilité d'une « position intéressante » ? J'avoue que j'ai poussé un soupir de soulagement en apprenant qu'en l'été 2018 on décidait à porter enfin la culotte un peu bouffante, car je me demandais avec angoisse comment, avec cet uniforme, d'une culotte « presque collante » adoptée universellement par les femmes, s'y prenaient les malheureuses avant conservé le désir de la maternité !

Comment Mme Faure-Favier, qui est une jolie femme très élégante — intelligente et raisonnable par surcroît — peut-elle voir ainsi l'avenir ? Comment peut-elle croire que les femmes se masculiniseront jamais jusqu'à la culotte et aux cheveux courts, immuablement ? Supprimera-t-on jamais l'instinct de plaire ? Qu'elle se rappelle donc le début de l'Ile des Pingouins ! Celle qui se risquerait alors à reprendre la jupe aurait bientôt, même mal faite, tous les hommes après soi...
Mais ce sont là détails de peu d'importance, qui n'ôtent presque rien au charme littéraire du récit, dont on goûtera surtout le « Journal de Pascaline » — la pauvre amoureuse abandonnée de 1914. Nous revoici clans l'humanité véritable. Ces pages auxquelles Louise Faure-Favier a su vraiment donner l'accent d'une confession intime, d'un sincère cri du cœur, sont les meilleures qu'elle ait écrites, elles ont un abandon, une simplicité, quelque chose de naïf et de déchirant qui touche et qui suffirait à expliquer le succès de son livre. 


(1) Voir les Lettres de Juillet : « Les Responsabilités de Denis Papin ou les antinomies insolubles du monde moderne » par René Johannet.

Henriette Charasson, Critique de Ces Choses qui seront vieilles, de Louise Faure-Favier, La Renaissance du Livre, 1919, in Le Rappel, 5 janvier 1920

Ce billet fait partie d'une série consacrée à l'année 2019 vue par les auteurs du passé (prophétie, anticipation, prospective). Pour retrouver tous les billets de cette série, cliquez ICI

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