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dimanche 1 décembre 2019

[Critique] M. Suyéhiro, Le Japon en 1907 (1894)

Sur la première page du Journal des débats daté du 3 octobre 1894, on trouve un petit article consacré à la recension d'un roman d'anticipation signé M. Suyéhiro et ayant pour titre (traduit) Le Japon en 1907. Ce qui est particulièrement intéressant dans ce petit article, c'est de lire l'expansion du genre qualifié par le journaliste de "littérature futuriste" (reprenant ainsi une expression forgée en par Félix Bodin dans sa préface au Roman de l'avenir, 1834), de voir mentionnée l'idée que l'anticipation se développe au fur et à mesure que les terras incognitas disparaissent, et de mesurer la circulation d'écrits (manifestement non traduits) à travers le monde sur le thème de l'anticipation.




AU JOUR LE JOUR

UN ROMAN JAPONAIS 

Nous entendrons, si vous le voulez, par « littérature futuriste » celle qui transporte dans un temps à venir plus ou moins lointain le sujet de ses fictions et nous constaterons que ce genre de littérature fleurit en ce moment d'un bout du monde à l'autre. Jadis, quand la surface de notre globe était mal connue, il suffisait a un auteur, qui désirait avoir ses coudées franches et n'être gêné par aucune réalité, d'imaginer une société chimérique quelconque dans une région quelconque où personne n'avait été voir, – que ce fût l'Atlantide ou que ce fût l'Eldorado – maintenant que l'agence Cook promène ses touristes au Zoulouland, il a bien fallu trouver un nouvel asile aux fantaisies des satiriques ou des utopistes ; de là, cette multitude d'œuvres qui se déroulent en des époques qui ne sont pas encore. L'Amérique, l'Angleterre, l'Allemagne, la France ont déjà passablement usé du procédé « futuriste ». Voici que les écrivains de l'Extrême Orient se mettent, à leur tour, à exploiter cette veine, et que M. Suyéhiro publie un Japon en 1907, qui peut se classer dans la même catégorie que les ouvrages de Mercier ou de M. Bellamy. 
Si nous en jugeons par la courte analyse que donne la Nouvelle Revue du roman de M. Suyéhiro, il doit être extrêmement curieux comme document sur l'état d'esprit actuel des vainqueurs de Ping-Yang. Cette race énergique, active et intelligente, s'est brusquement façonnée à notre civilisation occidentale; elle a retiré de son effort des avantages appréciables, aujourd'hui plus que jamais, mais sa rapide ascension paraît aussi lui avoir donné en sa puissance une foi illimitée et quand un des personnages de M. Suyéhiro, l'amiral Yamaguchi, parle avec détachement d'une guerre possible contre « la Chine, la Russie ou l’Angleterre », peut-être marque-t-il un tempérament quelque peu prédisposé à l'illusion, en plaçant sur une seule ligne trois facteurs militaires aussi dissemblables. 
Tel qu'il est néanmoins, par sa forme littéraire, par ses traits de mœurs, et par des bizarreries même comme celle que nous signalons, ce roman japonais semble digne d'être connu en Europe. Pourquoi la Nouvelle Revue qui nous l'a révélé, ne lui consacre-t-elle qu'une étude très succincte, à peine assez étendue pour nous le faire comprendre ?– M. S. 

M.S., "Un roman japonais", in  Le Journal des débats politiques et littéraires,
3 octobre 1894.

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