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samedi 9 mai 2020

Emile Deschanel, "Les ruines de Paris" (1859)

Ecrivain et militant républicain opposant à Louis-Napoléon Bonaparte, proche de Charles Baudelaire et de Victor Hugo, Emile Deschanel, à la faveur d'une amnistie, revient d'exil en 1859. Il collabore au Journal des débats littéraires et politiques avec un feuilleton intitulé Causeries de la quinzaine (repris en volume en 1861). Dans son "Histoire des limites de Paris", il imagine un Paris de l'avenir dans le sillage hugolien et illustre le thème des ruines de Paris :


Histoire des limites de Paris



[...] Où s'arrêtera le développement accéléré de cette ville déjà énorme? Nous avons vu ce qu'elle était il y a deux mille ans, une bourgade de bateliers sur un îlot fangeux. Et maintenant demandons-nous : Que sera t-elle dans deux mille ans encore? Aura-t-elle continué de croître toujours ? Ou bien aura-t-elle décru dans deux mille ans, que sera devenue la France elle-même?

Dieu nous garde de prononcer des paroles de mauvais augure ! Dieu nous préserve aussi de déclamer! mais enfin l'histoire nous montre quel a été le sort de Carthage et d'Athènes, de Corinthe et de Tyr, de Thèbes et de Babylone, et de tant d'autres villes autrefois florissantes et relativement aussi puissantes que Paris. Nous voyons que la destinée de tout ici-bas, celle des villes et des peuples, comme celle des hommes et des arbres, est, après avoir crû, de dépérir. Un peuple succède à un autre dans le rôle d'initiateur ; le flambeau passe de main en main, la vie se déplace et change de zone; la civilisation incessamment, aussi bien que la mer, abandonne ses anciennes, plages... Sujet de méditations !

Un temps viendra où les touristes de quelque autre ville lointaine, devenue à son tour la métropole du.monde, et qui aujourd'hui est encore à naître, visiteront « les champs où fut Paris. »

Reculé tant que vous voudrez l'époque où Paris enfin sera mort et où la France ne vivra plus que dans l'histoire : cette époque fatale arrivera pourtant. Et songez alors avec le poëte :


Oh ! dans ces jours lointains où l'on n'ose descendre,

Quand trois mille ans auront passé sur notre cendre.

A nous qui maintenant vivons, pensons, allons,

Quand, nos fosses auront fait place à des sillons.

Si, vers le soir, un homme assis sur la colline.

S'oublie à contempler cette Seine orpheline,

Ô Dieu ! de quel aspect triste et silencieux

Les champs où fut Paris étonneront ses yeux !... [Victor Hugo, "A l'Arc de Triomphe"]

 

Et ce n'est pas tout. Après que de nouveaux peuples et des civilisations nouvelles auront encore remplacé ceux et celles qui avaient envoyé des commissions archéologiques pour aller étudier les ruines de Paris et en enrichir leurs musées, fous périront enfin. Et l'humanité elle-même tout entière, après avoir joué le rôle qui lui est assigné dans l'ensemble universel, disparaîtra de la sur face du globe terrestre comme elle y était apparue. Cette apparition et cette disparition n'auront été dans l'histoire de la géologie qu'un moment, qu'un détail. Après comme avant l'homme, des créations sans nombre continueront de s'accomplir sur ce globe, jusqu'à ce que, des époques incommensurables s'étant écoulées, ce globe à son tour, de plus en plus refroidi au centre et à là surface, se dissolve enfin dans l'espace, et rentre, par l'éternelle circulation des choses, en des agrégations nouvelles...

Mais nous n'en sommes pas encore là.





Emile Deschanel, « Revue de la quinzaine, Histoire des limites de Paris »,
 Journal des débats politiques et littéraires, 8 décembre 1859

A lire dans la collection ArchéoSF:

Les Ruines de Paris et autres textes, anthologie disponible dans la collection ArchéoSF (120 pages, 5 nouvelles, 3,99 euros pour le format numérique et 12,50 euros pour le format papier)
Charles-Nicolas Cochin, Archéologie du futur. Mémoires d'une société de Gens de Lettres publiés en l'année 2355 (1755-1756) (6 textes réunis pour la première fois en un seul volume, 104 pages, 4,99 euros pour le format numérique et 12 euros pour le format papier)

A lire sur les sites ArchéoSF:

Charles-Olivier Penne, Dans Deux mille ans (1855)
Baronne Jenny d'Erdeck, Voyage aux ruines de Paris en l'an 3870 (1870)
Camille Flammarion, Dans les ruines de Paris (1912)

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