Le texte "Steril Office" a été publié en 1933 dans La Vie parisienne. Georges Barbarin imagine un avenir (en 1921) dans lequel la stérilisation provisoire ou définitive est devenue courante et utiliser pour différents motifs mais n'est pas sans poser quelques problèmes à certain-e-s...
Steril Office
(L'an 2021. Un bureau de placement omnibus, rue de Laborde. Les employés de tout âge et de toute forme attendent dans un vaste parloir. Les employeurs pénètrent dans un salon contigu pourvu de tout le confort moderne. Au fond, et communiquant avec les deux, le cabinet du directeur, moelleux comme un boudoir et secret comme un confessionnal. Dans le cabinet directorial.)
LE DIRECTEUR,
poursuivant sa phrase. — Nous disons : Un maître d'hôtel stérilisé...
(II note, puis le
crayon en l'air.)
Avec ou sans garantie ?
LA BARONNE. Mon Dieu
!... Naturellement, je préfère la garantie.
LE DIRECTEUR,
péremptoire. — Alors, c'est mille francs de plus.
LA BARONNE, un peu
suffoquée. — Et de quelle nature est exactement, d’après vous, cette
garantie ?
LE DIRECTEUR. — La
stérilisation courante, madame la baronne, est provisoire. Avec garantie, le
travail est définitif.
LA BARONNE. — Ah !...
Et combien peut durer à peu près ce provisoire ?
LE DIRECTEUR. — Six
mois.
LA BARONNE, vivement.
— C'est largement suffisant. Tous mes domestiques me quittent le second mois...
(Geste vague du
Directeur.)
Et vous dites 1.500
francs par mois. C'est cher.
LE DIRECTEUR. — Sans
doute. Mais plus de grossesses à l’office.
LA BARONNE. —
J'entends.
LE DIRECTEUR. — ... Et
pas davantage chez les maîtres... Confort, aisance, sécurité...
LA BARONNE,
convaincue. — Je prendrai donc le 278. Envoyez-le moi à la fin de la
semaine...
LE DIRECTEUR. —
Entendu, madame la baronne. (II accompagne jusqu'à la porte et introduit
M. Isaac Laquedem.)
LAQUEDEM. — Monsieur
le Directeur, vous voyez un homme très ennuyé. J'ai une maison de commerce
très bien achalandée : caleçons, gilets, bas et chaussettes...
(Tendant la main vers
le Directeur.) A votre disposition...
LE DIRECTEUR. — Merci.
LAQUEDEM. Je vous
ferai des prix doux... Presque tout mon personnel est féminin : les vendeuses,
la dactylo, la caissière, parce que j'estime que les visages féminins
poussent à la consommation et à la vente, sans préjudice, bien entendu,
de l'attrait des corps.
LE DIRECTEUR. —
Justement raisonné.
LAQUEDEM. — Par
contre, je ne puis confier la comptabilité aux femmes, parce que
celles-ci ne
sont ni ponctuelles, ni appliquées, ni précises, ni
méthodiques. Il me faut donc malheureusement avoir recours à un homme...
LE DIRECTEUR. — Et
pourquoi malheureusement ?
LAQUEDEM. — Mais,
monsieur, parce que ce seul homme parmi toutes ces femmes provoque des
ravages incalculables.
LE DIRECTEUR. —
Prenez-le bossu.
LAQUEDEM. — J 'ai
essayé. On se l'arrache pour toucher sa bosse.
LE DIRECTEUR. —
Prenez-le très âgé.
LAQUEDEM. — Non, non !
J'ai essayé de même. Et les vieux, c'est encore pis.
LE DIRECTEUR. — Je ne
verrais qu'un remède, ce serait un comptable stérilisé.
LAQUEDEM. — Vous
auriez ?...
LE DIRECTEUR. — Je
vais consulter mes fiches.
(Il compulse.)
Voyons !... Euh !...
J'ai des garçons pâtissiers... des hommes de lettres... des champions de
boxe et des aumôniers.
LAQUEDEM. — Et pas le
moindre comptable ?
LE DIRECTEUR. — Si
!... Un ancien patron de maison hospitalière, qui s'est retiré des
affaires, parce qu'il avait mangé le matériel.
LAQUEDEM. — Mais dites
donc !...
LE DIRECTEUR. — Oh !
vous n'avez plus rien à craindre... L'oblitération est complète... Sage
comme une image, sec comme un aztèque, vierge comme un cierge et froid comme du
bois... Vous connaissez les conditions ?...
LAQUEDEM. Je les
connais. Je rattraperai votre commission dans le trimestre.
LE DIRECTEUR. — Alors,
je préviens notre homme et vous vous entendez avec lui.
(Il sonne et reconduit
Laquedem. Entre Paul Iglotte.)
LE DIRECTEUR. — Gens
de maison ? Ou employés de bureau ?
PAUL IGLOTTE. — C'est
un autre dessein qui m'amène. Je suis, Monsieur le Directeur, un séducteur
professionnel.
(Le Directeur
s'incline.)
Il y a dix ans, ce
métier était de tout repos. J'entends au point de vue de la quête pure. Je
levais dix femmes par jour sans avoir besoin de prendre le métro.
Puis je n 'en ai plus levé que cinq, puis une... puis deux par semaine.
Aujourd'hui, je suis bien aise quand j'en lève une tous les mois.
LE DIRECTEUR. — A moi,
cela me suffirait parfaitement.
PAUL IGLOTTE. — Parce
que vous songez à la bagatelle. Il en est autrement du fidèle que du
prêtre qui vit nécessairement de l'autel.
LE DIRECTEUR. — Vous
n'êtes pourtant pas déplumé !
PAUL IGLOTTE. — Pa s
assez. Du moins pour la jeune fille moderne. Celle-ci est aussi affamée
d'expériences que sa devancière, mais elle cherche la sécurité.
LE DIRECTEUR. — Dame !
Mettez-vous à sa place.
PAUL IGLOTTE. — C'est
ce que je fais. Je viens donc m'inscrire au Stéril' Office.
LE DIRECTEUR. —
Stérilisation temporaire ou à vie ?
PAUL IGLOTTE,
résolument. — Je veux être inoffensif à perpétuité.
LE DIRECTEUR,
écrivant. — Présentez-vous samedi au second étage de notre néo-clinique.
PAUL IGLOTTE. —
Entendu. Je vous laisse ma carte.
(Il sort durant qu'on
introduit Mme Alberta.)
LE DIRECTEUR, saluant.
— Je me doute que vous n’êtes pas encore satisfaite du dernier.
Mme ALBERTA. — Oh !
pas du tout !
LE DIRECTEUR. — Joli
garçon, cependant.
Mme ALBERTA. — Pour
moi, il était fait comme les autres. On a impression que vos stérilisés ne
sont plus des hommes.
LE DIRECTEUR. — Ce
n'est évidemment qu'une impression.
Mme ALBERTA. — Que
voulez-vous que je vous dise ? Au fond, la moitié du plaisir, c'est le risque.
Depuis que l'amour est devenu sans péril, il est aussi devenu sans péché.
LE DIRECTEUR. — En
somme, que demandez-vous ?
Mme ALBERTA. — Vous
allez dire que je suis bien contrariante. Je veux un amant véritable et
non un amant oblitéré... Seulement l'oiseau en liberté devient
rare depuis que vous les mettez tous en cage.
LE DIRECTEUR, faisant
pirouetter la carte de Paul Iglotte entre ses doigts. — Tenez ! voici un
séducteur intact...
Mme ALBERTA, prenant
la carte. — ... Avec danger garanti...
LE DIRECTEUR. — Je
vous jure que la voie est libre… Seulement… (Il la reconduit à la porte)…
si j’ai un conseil à vous donner, c’est d’y aller avant samedi.
Georges Barbarin, « Steril Office »,
in La Vie parisienne, n°11, 18 mars 1933.
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