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mardi 24 juin 2014

L'école du futur selon HG Wells

VARIÉTÉS HISTORIQUES
En l'An 2000
L'ECOLE DE H.-G. WELLS
L'Angleterre vient d'entrer dans une voie éducative nouvelle ; alors que le précédent ministère conservateur avait fait voter l'acte qui donnait l'enseignement aux clergés, surtout anglican, sorte de loi Falloux anglaise qui, sous couleur de liberté, ne favorisait que l'instruction cléricale, le ministère libéral de sir H. Campbell Bannerman vient de déposer et de faire voter un Education Act, qui libère et laïcise l'enseignement d'Angleterre. Cette circonstance donne de l'actualité aux fantaisies de H.-G. Wells, un humoriste anglais qui soulève avez sérieux et méthode les plus délicates questions de l'éducation nationale.
Il y a peu de personnes en France qui connaissent H.-G. Wells. Un historien et un pédagogue,, qui délaisse parfois l'appareil de l'érudition pour nous conter d'aimables romans du treizième siècle ou nous initier à ses impressions de voyage dans les pays anglo-saxons, nous présente dans un récent livre le nouveau Jules Verne anglais. (1)
Le Jules Verne philosophe qu'est H.-G. Wells, à l'imitation fructueuse de son illustre compatriote Thomas Morus, rêve et vagabonde dans un pays idéal, une nouvelle république d'Utopie. Comment seront élevés les enfants de l'an 2000? Singulièrement bien, sans nul doute. Vérité au delà de l'an 2000, erreur en deçà.
Elle ne sera pas si ennuyeuse ni si monotone, l'école de la nouvelle république de 2000 ou. enseigneront les disciples de sir John Colet, H.-G, Wells et compagnie!
Car H.-G. Wells n'est pas le premier promoteur anglais de l'école rationnelle. Un contemporain de l'Utopie de Morus et de Henri VIII, le roi Barbe-Bleue, Colet, avait déjà tenté de vivifier l'éducation par une instruction moins littérale que spirituelle. Colet avait essayé d'affranchir les esprits de la. scolastique médiévale ; Wells, plus modeste, et qui ne dispose point de l'appui d'un roi, voudrait voir les générations nouvelles plus libres, hors du classicisme, du pseudo-classicisme contemporain. Aujourd'hui, l'école prétend former le goût, quand elle ne tente pas d'imposer un goût officiel : le professeur de littérature « admire » Corneille et Boileau, demande qu'on les admire ; le professeur de l'art parle et fait parler de la beauté des vierges de Vinci ou de Raphaël ; les examinateurs demandent que l'on disserte pendant quatre heures sur «le goût». Je me souviens de mon étonnement un peu ennuyé lorsque jadis, lors du bachot, je dus, écolier de seize ans, faire sur «le goût» une composition dite française ; mes professeurs ne m'avaient jamais parlé que du goût officiel qui était le leur, et ils avaient toujours dédaigné tenter de former le mien.
Les professeurs de l'an 2000, dans les écoles de H.-G. Wells, apprendront avant tout à voir, et cette chose qui paraît simple n'est pourtant point très aisée. L'école essaiera moins de former le goût que d'apprendre au goût à se former lui-même.
L'enfant, ne sait naturellement pas voir. Combien difficile est de le lui apprendre ! A force d'entendre dire que la Madone Sixtine est belle, l'enfant répétera qu'elle est belle, et peu à peu l'idée de beauté s'alliera dans son esprit avec celle de l'art classique. Ce sont des générations dont le goût n'a été fabriqué qu'avec des mots et des phrases qui ont laissé Millet mourir dans la misère, et, haussant les épaules devant le Balzac de Rodin, lui préfèrent la mièvrerie et l'insignifiance habiles d'un Falguière effondré. Wells demande non des clichés littéraires, mais des photographies, des moulages : l'école doit être un musée, et l'enfant doit apprendre à voir ; le maître n'est pas pour imposer une admiration béate maladroite et sotte, mais pour guider l'esprit vers l'observation personnelle, l'observation des yeux d'abord, condition première et indispensable de la réflexion, de la critique, de toutes les fonctions de l'entendement.
Qu'apprend-on, aujourd'hui, dans l'école ? Des connaissances inutiles ou bien inutilisables. L'inutile ce sont ces langues mortes, grec, latin, dont les plus hardies réformes n'ont pas pu nous débarrasser encore ; les seuls éléments utiles, que l'on puise à l'école actuelle, l'enseignement scientifique, sont rendus inutilisables par la manière dont on en instruit ; les sciences ne sont plus que des faits bruts et des formules ; on en laisse de côté la philosophie, on oublie d'apprendre à quoi elles servent, quelle discipline elles imposent, en quoi elles sont profitables à tous les esprits.
Elaguer les branche» inutiles, rendre fructueuses et fécondes celles qui ne sont que stériles, encore bien qu'agréables : tel est le programme de H.-G. Wells : lire, écrire, connaître sa propre langue et bien savoir s'en servir, parler les langues étrangères, faire beaucoup de mathématiques, dessiner, peindre, jouer de la musique, telles sont, selon, lui, les disciplines auxquelles le futur « honnête homme » devra se soumettre, telles sont les matières de renseignement de l'école nouvelle. Le professeur ne sera pas, comme aujourd'hui, un récitateur de manuel; le professeur fait son cours; les élèves prennent des notes, n'écoutent pas, et tous sont satisfaits, le maître parce que les écoliers sont tranquilles, les élèves parce que, écrivant machinalement, ils peuvent sommeiller, dormir tout, en paraissant suivre la parole magistrale. Telles sont la plupart des classes actuelles, et en France peu nombreuses sont les exceptions à cette règle, au moins dans les collèges et lycées de province, les inspections sont rares ou conçues dans le vieil esprit. La classe nouvelle de la nouvelle république sera tout autre : ce ne sera qu'un « cabinet de consultation ». le professeur indiquera les livres à lire, lira les notes et compositions des élèves, expliquera les choses incomprises, éclaircira les doutes, répondra aux questions. La classe sera une conversation et non plus un monologue, le professeur ne dormira plus quand « réciteront » les élèves, est les écoliers ne sommeilleront plus quand le maître fera ex cathedra son sermon habituel.
Les programmes de l'enseignement secondaire ne seront pas aussi simples que ceux de l'enseignement primaire, qui ressuscitait presque l'école le jeune Grec antique apprenait à être beau dans son esprit et dans son corps. Dans l'école secondaire de Wells, l'écolier aura trois cours à choisir : la philosophie naturelle (sciences), la biologie et l'histoire, qui prépareront aux carrières soit industrielle et scientifique, soit médicale et professorale, soit littéraire et politique, toutes disciplines servant au reste à la culture générale et complétées par de bons livres.
Pour encourager la publication de bons livres, Wells rêve d'une organisation publique de la librairie, utopie moins intéressante parce que notre rêveur, trop imaginatif, est peu au courant des organismes bibliographiques actuels. Aujourd'hui le travail s organise et de bons manuels paraissent peu à peu.
Ainsi H.-G. Wells, nous communiquant ses idées et nous faisant entrevoir son éducatif idéal, nous fait parfois réfléchir sur les vices de notre enseignement actuel. Comme tout bon critique, un peu morose et un peu sévère, il dénigre son pays et prône le voisin : l'Anglais a beaucoup à apprendre en France ; le Français a beaucoup à apprendre en Angleterre si ailleurs, et c'est ainsi que M. Ch.-V. Langlois, nous initiant aux occupations de nos voisins d'Outre-Manche au sujet de l'éducation de la jeunesse actuelle, nous incite à tirer profit des rêveries d'un fantaisiste, dont les fantaisies peuvent parfois paraître fort logiques et fort heureuses.

JACQUES ANGEL.

L'Aurore, n° 3252, 14 septembre 1906



(1) CH. V. LANGLOIS : Questions d'histoire et d'enseignement, Nouvelle série P. Hachette 1908 in-16. II + 320 pp. : Les Idées de H.-G. Wells sur l'éducation.

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