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mardi 5 septembre 2017

Léon Bailby, Ce qu'on en dira (1907)

En 1907, le Languedoc viticole, victime d'une grave crise, se révolte. Le 19 juin, la troupe intervient et il y a des morts. Le site Hérodote décrit ces événements (voir ICI).
Le 22 juin 1907, dans L'Intransigeant, Léon Bailby se projette dans le futur, condamne l'attitude du gouvernement et de l'Assemblée et imagine ce que l'histoire retiendra de ce tragique épisode.




Ce qu'on en dira

Notes pour les manuels d'histoire de l’an 1950.

En juin 1907, le .ministère Clemenceau laissa grandir l’agitation viticole qui soulevait quatre départements du Midi.
Le gouvernement, qui pensait à autre chose, ne comprit rien tout d’abord à ce mouvement. Il voulut le favoriser. Les compagnies de chemins de fer reçurent l’ordre de transporter gratis les manifestants aux meetings organisés dans les grandes villes. Préfets et sous-préfets assistaient, par ordre, à ces réunions et pavoisaient les bâtiments publics.
Tout à coup, on décida, au ministère, que cette agitation était illégale et qu’il fallait la faire cesser à tout prix. Il était déjà trop tard. Les chefs des gueux (1), Marcellin Albert (2) et Ferroul, avaient décrété la grève de l’impôt. Ils organisaient une révolte pacifique, la révolte des bras croisés. Grâce à l’ascendant qu’ils avaient sur leurs fidèles, ils faisaient respecter l’ordre, et jamais, tant qu’ils restèrent à la tête de leurs troupes, la moindre violence ne se produisit.
M. Clemenceau trouva logique de faire arrêter Ferroul et Albert. Il mobilisa, dans ce but, plusieurs corps d’armée. Il mit les préfectures du Midi en état de siège. Et lui, qui avait pendant les précédentes grèves du Nord, défendu au moindre pantalon rouge de se montrer chez les grévistes, il dressa contre les viticulteurs tant de cuirassiers, de dragons et de fantassins, que les fusils, enfin, partirent tout seuls. Il y eut des morts et des blessés. Les chefs des gueux n’étant plus là pour prêcher le calme, l’agitation dégénéra en guerre civile…


Il reste un post-scriptum à ajouter à ces notes. On dira si la Chambre, révoltée par tant d’imprévoyance, a eu enfin le courage de jeter par terre ce gouvernement d’inconscients, ou bien si, égarée une fois de plus par de belles phrases, elle a osé maintenir au pouvoir l’incohérence d’un Clemenceau. C’est le secret de demain. Quoi qu’il arrive, la Chambre, qui a laissé faire, sera reconnue comme aussi coupable que le ministre qui a fait.

Léon Bailby, « Ce qu'on en dira », in L'Intransigeant, n° 9838, 22 juin 1907.

(1) La révolte des vignerons est appelée la « Révolte des gueux »

(2) sic : Marcelin Albert

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