L’Auto-hydro-aéroplane
Tarascon,
ce jour-là, présentait une animation extraordinaire !
Une
foule énorme se ruait vers la maison de Tartarin.
L'illustre
grand homme devait, dans quelques minutes, présenter à ses
compatriotes et essayer devant eux, une nouvelle machine de son
invention, pouvant faire sur terre 250 kilomètres à l'heure, sur
mer filer ses 40 nœuds, et dans les airs battre tous les records de
vitesse, de distance, de durée, de hauteur.
L'auto-hydro-aéroplane,
tel était l'appareil réalisé par Tartarin qui, depuis son retour
des Alpes et du désert, s'était adonné aux sciences mathématiques,
physiques, mécaniques (et autres en ique) avec plus de ferveur, plus
de passion qu'il ne l'avait fait pour l'alpinisme et la chasse aux
bêtes fauves.
Ses
progrès furent si rapides, la bosse des sciences était chez lui si
développée, qu'il ne trouva bientôt plus dans les
livres
les éléments suffisants à sa haute culture et dut leur ajouter des
chapitres.
Tartarin
devint savant, puis inventeur.
Et
bientôt de sa féconde cervelle, devait sortir une machine appelée
à révolutionner le monde entier. Avait-il donc atteint son
but ?
C'était, ce jour-là, Ier août 18.., la question que tout Tarascon se posait avec anxiété.
C'était, ce jour-là, Ier août 18.., la question que tout Tarascon se posait avec anxiété.
Encore
quelques minutes, quelques secondes à peine, et cette foule
impatiente, pour qui ces minutes, ces secondes paraissaient des
siècles, serait enfin renseignée.
Le grand homme venait de paraître.
Le grand homme venait de paraître.
Tout
à coup, un cri formidable : « Vive Tartarin ! » sortit de toutes
les poitrines.
Le
grand homme venait de paraître à son balcon. Avec une longue-vue,
il examinait le ciel qui, Dieu soit loué, était d'un bleu foncé
admirable, de ce bleu foncé qu'on ne rencontre qu'en Provence, aux
abords de la « grande bleue ».
Pas
un nuage, 32° à l'ombre, et Tartarin avait beau tendre son mouchoir
à bout de bras pour rechercher la direction du vent, pas un souffle
ne l'agitait.
Calme
plat, temps superbe pour le grand essai !
Tartarin
satisfait, quitta son balcon. Il se dirigea vers son hangar d'un pas
ferme et lent comme il convenait en la circonstance, suivi de tout
Tarascon enthousiasmé. Son accoutrement ne présentait rien de
particulier, il était vêtu en automobiliste, sobrement. (Voyez les
catalogues spéciaux des maisons spéciales.)
Aidé
par des amis, tous de bonne volonté, Tartarin sortit le monstre de
son énorme hangar.
Ce
fut à la fois un cri de stupeur et d'admiration.
C'était
un appareil bizarre, transformable à la volonté de l'inventeur.
Tantôt, en effet, c'était une auto de course de grandes dimensions
; ou bien, les quatre roues relevées à l'intérieur par un système
perfectionné, c'était un navire dont l'arrière en forme de queue
de requin, servait de gouvernail ; et enfin, lorsque Tartarin,
au moyen d'un autre déclic, avait déployé une double paire de
puissantes ailes, l'appareil prenait l'aspect d'un oiseau
monstrueux, sorte de tarasque volante.
A
l' avant, deux forts moteurs, de 500 HP chacun, étaient destinés à
actionner ce formidable engin.
L'intérieur,
composé d'une salle spéciale pour la machinerie, d'une chambre à
coucher, d'une salle à manger, d'un salon, était un modèle de ce
que l'art moderne peut offrir d'élégant confort.
A
9 h. 12' 15" exactement, Tartarin mit son engin en marche. A 9
h. 15', il monta dans sa voiture. A 9 h. 17', il prit possession de
sa direction. A 9 h. 20' juste, il s'élança en coup de vent sur la
route d'Arles.
Il
passa comme une trombe dans cette ville. Mais dangereux pour la
circulation, il ouvrit ses ailes et s'éleva rapidement dans les airs
tout en continuant sa route, à une vitesse vertigineuse, vers le
Grau de Pégoulier. Il reprit terre un moment avant d'atteindre ce
but ; puis se précipita dans la mer en refermant ses ailes pour, sa
machine devenue bateau, aborder le port de La Joliette et y
stopper quelques minutes après.
Tartarin
avait mis moins d'une demi-heure de sa ville natale à Marseille.
Quel résultat magnifique ! Ce succès le gonflait d'orgueil. Il
était le héros des temps modernes, la gloire du monde entier.
Tous
les braves Provençaux, massés
devant son appareil, se disputaient l'honneur de le porter en
triomphe. C'était à qui lui prendrait un bras ou une jambe et sans
le concours de la police, notre grand homme eût été certainement
écartelé.
Et
des cris : « Enfoncés les Farman, les Blériot, les Bréguet,
tous gens du Nord ! Enfoncée Amérique ! »
Marseille avait sa revanche et combien éclatante ! « Vive Tartarin ; vive Tarascon ; vive Marseille; vive la Provence ! »
Marseille avait sa revanche et combien éclatante ! « Vive Tartarin ; vive Tarascon ; vive Marseille; vive la Provence ! »
Le
soir, il y eut une grande réception à la préfecture en l'honneur
de l'inventeur de l'auto-vaisseau-aéroplane.
Tartarin,
grisé de louanges. et de champagne, ne rejoignit son appareil que
tard dans la nuit. Il devait pourtant repartir le lendemain, dès 8
heures du matin, pour effectuer un grand voyage circum-méditerranéen.
Mais
une désillusion attendait ses admirateurs ce lendemain matin, à
leur arrivée sur le port. Tartarin leur avait brûlé la politesse,
et, soit par modestie, comme il sied à tout vrai génie, soit par
impatience d'essayer à nouveau son invention à lui, réunion des
inventions des autres, Tartarin était parti.
Pour
où ? Mystère. Nul ne l'avait vu, nul ne le savait.
A
l'enthousiasme de la veille succéda l'angoisse. Les commentaires
allaient leur train (je ne les rapporte pas, ce serait trop long, on
est bavard dans le Midi) ; lorsqu'à 9 h. 30' Parvint à la
préfecture un télégramme signalant le passage de l'auto à Nice,
de bonne heure dans la matinée ; puis peu après, un second
indiquant la présence du vaisseau au large de Monaco et de Menton ;
puis, un troisième, de Gênes celui-là, apprenant que le grand
oiseau venait de survoler cette ville.
Ce
fut du délire à La Joliette.
Le
soir, on le vit (toujours d'après les télégrammes reçus à
la préfecture de Marseille) survoler Naples l'enchanteresse.
Tartarin
était décidément le plus grand homme des siècles passés,
présents et futurs... et il était de Tarascon !…
Hélas
! tard dans la soirée, parvint une bien triste nouvelle qui remplit
de deuil la Provence entière.
Voici
en substance ce qu'elle annonçait :
Tartarin, passant sur le Vésuve, planait juste au-dessus du grand cratère du volcan et l'examinait attentivement du haut du ciel avec sa longue-vue. (Saura-t-on jamais ce qui se passait dans la cervelle de ce grand homme !)
Tartarin, passant sur le Vésuve, planait juste au-dessus du grand cratère du volcan et l'examinait attentivement du haut du ciel avec sa longue-vue. (Saura-t-on jamais ce qui se passait dans la cervelle de ce grand homme !)
Soudain,
le Vésuve entra en éruption. (Ce fut, paraît-il, la plus forte
éruption du volcan depuis son origine.)
Et
le grand oiseau et son malheureux conducteur, pris par cette
avalanche de pierres et de feu, tombèrent comme une masse dans ce
gouffre bouillant qui les engloutit et ne les recrachera peut-être
jamais.
Ainsi
finit si tristement, si tragiquement, le grand génie de la Provence.
« Æquo pulsat
pede », a dit Horace.
Et
maintenant, chers lecteurs, si vous passez dans ce beau pays
méridional après que ses habitants auront lu par trois fois cet
article (ce qui me ferait honneur), vous serez, sans doute,
persuadés, comme eux, que cette histoire est aussi vraie que celle
de la fameuse sardine du port de Marseille, et que Tartarin est mort.
Mais
qui peut savoir ? Le génie de Tartarin ne nous réserverait-il
pas une nouvelle surprise ? A cette heure, l'illustre
Tarasconnais explore, peut-être, le centre de la terre.
Attendons-nous
à le voir, le premier, soulever le couvercle de la grande chaudière
et nous révéler les mystères du noyau central.
Ritelle,
« L’Auto-hydro-aéroplane », La Revue Limousine,
n°9, 1er octobre 1926.
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