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ISSN 2496-9346

lundi 20 février 2012

Valangougeard, Le lorgnon au radium (1904)

Dès la découverte du radium, les romanciers, les chansonniers, les humoristes se sont emparés de l'élément chimique pour en faire souvent une substance quasiment magique.
Dans le texte qui suit, l'humoriste imagine l'insertion d'une fraction infime de radium dans un lorgnon qui devient un véritable appareil à rayons X portatif et que l'on peut utiliser dans des circonstances fort diverses!
Nous reprenons au bas du texte les dessins de Daner accompagnant le texte de Valangougeard paru dans Le Journal Amusant, n° 243, daté du 20 février 1904.



LE LORGNON AU RADIUM

Ne blaguons plus!
C'est la découverte de demain.
A l'aide d'un lorgnon en verre, dans lequel on aura ajouté par des procédés trop longs à vous expliquer un millionième de milligramme de radium, on pourra voir nettement et clairement, à travers les enveloppes, les habits, lés doublures et les portes. Il n'y aura plus de blindage possible, tout le monde aura ce lorgnon, tout le m onde" pourra se flatter d'en avoir, un oeil!
]e commence par trouver l'invention admirable au sujet de l'octroi et de là douane. Inutile d'insister, n'est-ce pas?
Vous arrivez après un long voyage. Un octroyen, en général grincheux, vous dit d'une voix traînante ;
— Qu'est-ce que vous avez à déclarer?
— Rien, absolument rien...
— C'est bien... dans ce cas ouvrez votre malle...
Il faut ouvrir, de gré ou de force... et montrer qu'on n'apporte pas de volailles truffées dans son carton à chapeau. Cela est intolérable.
L'octroyen muni du lorgnon au radium deviendra d une politesse exquise.
— Inutile d'ouvrir votre malle, monsieur, j'aperçois clairement deux boîtes de cigares dans votre gilet de flanelle...
Ou bien :
— Madame, pourquoi donc avez-vous enfoui un paquet de dentelles au fond des bottines de votre mari ?
On n'a pas idée de la prodigieuse quantité de services que peut rendre le radium.
Un actionnaire, jadis émerveillé par la vue d'un magnifique coffre-fort, verra qu'il n y a dans le meuble qu'un simple lapin empaillé.
Avec le radium, l'affaire Humbert n'eût jamais existé.
Gavroche à la foire aux pains d'épices fera remarquer au bonhomme qui exhibe une grosse femme moyennant dix centimes, qu'il n'a plus besoin de payer deux sous, puisqu'en se promenant devant la baraque il voit tout ce qu'il y a dedans !
Tout ce qu'il y a dedans, voilà bien ce qui m'inquiète! II y a une foule de gens qui ont, surtout à Paris, l'habitude de suivre les jolies femmes dans la rue.
Vous rencontrez une créature exquise de formes, place Clichy. Elle vous plaît. Elle descend par la rue Notre-Dame-de-Lorette, le carrefour Drouot : cela constitue une promenade délicieuse S'il pleut, vous la voyez relever élégamment sa robe, vous savez bien, avec ce geste dégagé et charmant que seules connaissent les Parisiennes... Sa robe fait froufrou, frou-frou... ses petits pieds font toctoc... comme on chantait jadis aux Variétés.
Et comme quand on voit le pied, le reste se devine, vous faites en marchant, une foule d'hypothèses charmantes. Que peut-n y avoir au-dessus de la cheville adorable: De quelle couleur sont les jarretelles?
Hypothèses douces pour un désoeuvré.
Mais voilà qu'avec le lorgnon au radium, plus d'illusions, plus de surprises, plus de rêves! Vous la voyez, crûment, et avec une réalité de rayons X, la jolie femme ; ou du moins celle que vous preniez pour une belle femme.
La jolie tournure? En coton! Les formes délicieuses? C'est un corset médical qui les dessine... Et vous voyez tout, avec les défauts, les vilaines lignés, les taches de rousseur.
Plusd'illusion ! c'est abominable.
Et voilà pourquoi il n'est pas si avantageux que ça, le lorgnon au radium !
Je sais, ! parbleu, qu'en revanche il peut rendre des services. Ainsi, l'autre jour, mon ami Dupolin rentre brusquement chez sa femme : l'amant de Mme Dupotin s'est jeté dans une armoire. Il y est resté trois heures, et Dupolin ne s'est douté de rien.
Tandis qu'avec le lorgnon il n'eût pas eu besoin de chercher longtemps. Il aurait vu tout de suite qu'il y avait un homme dans l'armoire, et sans doute il aurait exercé une vengeance terrible. Il se serait mis à crier, par exemple :
— Je vais mettre le feu à la maison! il y est, le feu... la maison brûle!
Et alors, on eût entendu une voix éplorée, criant de dedans l'armoire :
— Sauvez les meubles! Sauvez les meubles!

VALANGOUGEARD
Dessins de DRANER

Source: Gallica
A lire sur ArchéoSF: Linette, Un corps merveilleux (1904) disponible dans la section Téléchargement








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