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ISSN 2496-9346

samedi 16 mai 2020

Henri Malin, Dans trois mille ans (1873)

Dans son poème "Dans trois mille", Henri Malin imagine un Paris de l'avenir dans le sillage hugolien et illustre le thème des ruines de Paris :



DANS TROIS MILLE ANS


Personne, le néant, froid, muet, étonné.
(V. HUGO, Légende des siècles)


La solitude morne, incroyable, effrayante,
Le silence profond qui tient de l'épouvante,
Les joncs dressant leur tige au milieu des marais,
Les coteaux, les ravins, les fossés, les forêts,
Les excavations, les souterrains énormes,
Les ronces s'attachant aux branchages des ormes,
Des champs pleins de chardons et de mousse couvrant
On ne sait quoi de noir, et d'informe et de grand
Comme des pans de murs ou des monceaux de pierres,
Qui doivent rappeler bien des choses allières,
Et qui prennent la nuit la forme des tombeaux ;
Des temples en ruine où nichent les corbeaux,
Un édifice encor rayonnant et superbe
Dont le dôme orgueilleux démantelé clans l'herbe
A cette heure fait place au divin firmament
Et plus loin, une tour penchant horriblement,
Aux murs tout dégradés, et là-bas, sur la côte,
Parmi les longs sapins, une porte si haute,
Que son arc affaissé par les ans apparaît
Comme un pont au-dessus de l'obscure forêt,
Tel est l'aspect, telle est la vision étrange
De ces lieux où la gloire est mêlée à la fange.

Chaos, immensité, solitude, néant,
Qu'avez-vous fait, hélas ! de ce peuple géant.
Et parmi ces vieux murs, ces pierres, ces ruines
Couronnés par le temps comme Jésus d'épines,
Où l'on retrouverait de l'or et de l'airain,
Qu'aujourd'hui le lion habite en souverain,
Un fleuve est là caché sous les roseaux dans l'ombre
Qui, fier de son passé, coule sinistre et sombre.

Du plus brillant des jours voilà le lendemain.

Et jamais en ces lieux on ne voit rien d'humain,
Pas même un pâtre errant qui cherche une prairie,
Ni l'abeille qui cherche une rose fleurie.

Quelquefois cependant, le poète égaré,
Rêveur, silencieux, par le calme attiré,
Entre en ces bois profonds, descend vers cette rive,
Où l'eau calme et sans bruit comme lui-même arrive,
Où son pied foule encor par endroits du granit,
S'approche de ces tours que le soleil brunit,
Soulève un coin tremblant de leur manteau de lierre,
Lit les noms oubliés par le temps sur la pierre,
Pleure et s'écrie enfin, parlant à ces débris,
– Dire, hélas ! que c'est là ton squelette, ô Paris –



Henri Malin, « Dans trois mille ans », Revue des jeunes poètes, 1er août 1873


A lire dans la collection ArchéoSF:

Les Ruines de Paris et autres textes, anthologie disponible dans la collection ArchéoSF (120 pages, 5 nouvelles, 3,99 euros pour le format numérique et 12,50 euros pour le format papier)
Charles-Nicolas Cochin, Archéologie du futur. Mémoires d'une société de Gens de Lettres publiés en l'année 2355 (1755-1756) (6 textes réunis pour la première fois en un seul volume, 104 pages, 4,99 euros pour le format numérique et 12 euros pour le format papier)

A lire sur les sites ArchéoSF:

Charles-Olivier Penne, Dans Deux mille ans (1855) 
Emile Deschanel, [Les ruines de Paris] (1859)
Baronne Jenny d'Erdeck, Voyage aux ruines de Paris en l'an 3870 (1870)
Camille Flammarion, Dans les ruines de Paris (1912)

jeudi 14 mai 2020

Michel Robida, 1936 prévu de 1869 à 1883 par ROBIDA (1936)

Le 9 février 1936 le journal Excelsior accueille dans ses colonnes un article sur les "prophéties" d'Albert Robida signé par son petit-fils Michel Robida. Michel Robida y décrit les anticipations de son grand-père devenues réalités. Le texte est accompagné de reproductions de plusieurs dessins d'Albert Robida légendés avec les dates et époques de réalisation des inventions "fantaisistes" du génial caricaturiste.



 

1936 prévu de 1869 à 1883 par le visionnaire ROBIDA

UN MONDE ÉTONNANT, électrifié, mécanisé, un sol perforé de mille tubes et souterrains, une terre couverte d'un réseau métallique aux mailles enchevêtrées, un ciel encombré, sillonné d'appareils étranges, une crainte universelle, une bousculade intense, voilà le globe terrestre au XXI siècle, tel que l'avait imaginé, de 1869 à 1880, Albert Robida, mon grand-père.
C'est en effet, dès 1869, dans un numéro du Polichinelle, qu'il avait donné en quelques dessins la première vision de la guerre moderne.
En 1883, il reprend et développe cette idée dans son journal la Caricature, en publiant « Le conflit australomozambiquois, faits de guerre et opérations chimiques au XXe siècle », bientôt suivi de deux livres : le XXe siècle et la Vie électrique.
Dans ces ouvrages pleins de fantaisie, mais d'une fantaisie doublée d'une extraordinaire clairvoyance, était décrite toute notre vie actuelle.
A une époque où la Tour Eiffel n'était pas encore construite, où l'on édifiait à grands frais le Trocadéro, il annonce le métro, qu'il appelle un tube souterrain, les extincteurs d'incendie, la musique enregistrée distribuée par un organisme central, et jusqu'à la télévision, à laquelle il donne le nom de téléphonoscope.
Il comprend qu'un tel bouleversement des habitudes n'ira pas sans une révolution des mœurs et des coutumes, et bientôt il suppose que les femmes seront avocates, médecins, journalistes, ambassadrices ou préfètes, allant même jusqu'à prévoir l'écroulement de l'empire russe et l'émancipation des femmes turques.
Il imagine une guerre atroce: la nôtre.
Sur terre, il met aux prises des armées fantastiques, précédées de bombardes roulantes, «les tanks», formées de bataillons de chimistes coiffés du masque à gaz, et suivies d'un escadron de médecins chargés de propager artificiellement les maladies contagieuses.
A travers le ciel, il lâche une extraordinaire armée aérienne, tandis que sur mer les cuirassés menacés par la flotte sous-marine s'enveloppent de nuages de fumée artificielle.
En 1880, un cauchemar. Aujourd'hui, des faits, une réalisation.
Car, si mon grand-père avait eu, il y a cinquante-cinq ans, une vision aussi nette, aussi précise de notre existence actuelle, c'est beaucoup plus par crainte de ce que la vie moderne allait devenir détruisant le passé qu'il préférait à toute autre chose, que par amour du progrès et de la nouveauté.
Il n'aimait guère que les légendes, les vieilles maisons et les burgs fantastiques, et il était si peu épris de vitesse et de confort qu'il parcourut à pied la moitié de l'Europe, sous prétexte que c'est le seul moyen de voyager et de bien connaître les pays et les gens.
Pourtant, il devait voir le début du XXe siècle, et la Grande Guerre, dont il souffrit plus qu'un autre, car une à une se réalisaient — ce qu'il avait peut-être cru lui-même — des idées chimériques, et qui étaient beaucoup plus que cela : des prophéties.
Michel Robida



A lire dans la collection ArchéoSF:

Albert Robida, La fin des livres
Albert Robida, Jadis chez aujourd'hui


samedi 9 mai 2020

Emile Deschanel, "Les ruines de Paris" (1859)

Ecrivain et militant républicain opposant à Louis-Napoléon Bonaparte, proche de Charles Baudelaire et de Victor Hugo, Emile Deschanel, à la faveur d'une amnistie, revient d'exil en 1859. Il collabore au Journal des débats littéraires et politiques avec un feuilleton intitulé Causeries de la quinzaine (repris en volume en 1861). Dans son "Histoire des limites de Paris", il imagine un Paris de l'avenir dans le sillage hugolien et illustre le thème des ruines de Paris :


Histoire des limites de Paris



[...] Où s'arrêtera le développement accéléré de cette ville déjà énorme? Nous avons vu ce qu'elle était il y a deux mille ans, une bourgade de bateliers sur un îlot fangeux. Et maintenant demandons-nous : Que sera t-elle dans deux mille ans encore? Aura-t-elle continué de croître toujours ? Ou bien aura-t-elle décru dans deux mille ans, que sera devenue la France elle-même?

Dieu nous garde de prononcer des paroles de mauvais augure ! Dieu nous préserve aussi de déclamer! mais enfin l'histoire nous montre quel a été le sort de Carthage et d'Athènes, de Corinthe et de Tyr, de Thèbes et de Babylone, et de tant d'autres villes autrefois florissantes et relativement aussi puissantes que Paris. Nous voyons que la destinée de tout ici-bas, celle des villes et des peuples, comme celle des hommes et des arbres, est, après avoir crû, de dépérir. Un peuple succède à un autre dans le rôle d'initiateur ; le flambeau passe de main en main, la vie se déplace et change de zone; la civilisation incessamment, aussi bien que la mer, abandonne ses anciennes, plages... Sujet de méditations !

Un temps viendra où les touristes de quelque autre ville lointaine, devenue à son tour la métropole du.monde, et qui aujourd'hui est encore à naître, visiteront « les champs où fut Paris. »

Reculé tant que vous voudrez l'époque où Paris enfin sera mort et où la France ne vivra plus que dans l'histoire : cette époque fatale arrivera pourtant. Et songez alors avec le poëte :


Oh ! dans ces jours lointains où l'on n'ose descendre,

Quand trois mille ans auront passé sur notre cendre.

A nous qui maintenant vivons, pensons, allons,

Quand, nos fosses auront fait place à des sillons.

Si, vers le soir, un homme assis sur la colline.

S'oublie à contempler cette Seine orpheline,

Ô Dieu ! de quel aspect triste et silencieux

Les champs où fut Paris étonneront ses yeux !... [Victor Hugo, "A l'Arc de Triomphe"]

 

Et ce n'est pas tout. Après que de nouveaux peuples et des civilisations nouvelles auront encore remplacé ceux et celles qui avaient envoyé des commissions archéologiques pour aller étudier les ruines de Paris et en enrichir leurs musées, fous périront enfin. Et l'humanité elle-même tout entière, après avoir joué le rôle qui lui est assigné dans l'ensemble universel, disparaîtra de la sur face du globe terrestre comme elle y était apparue. Cette apparition et cette disparition n'auront été dans l'histoire de la géologie qu'un moment, qu'un détail. Après comme avant l'homme, des créations sans nombre continueront de s'accomplir sur ce globe, jusqu'à ce que, des époques incommensurables s'étant écoulées, ce globe à son tour, de plus en plus refroidi au centre et à là surface, se dissolve enfin dans l'espace, et rentre, par l'éternelle circulation des choses, en des agrégations nouvelles...

Mais nous n'en sommes pas encore là.





Emile Deschanel, « Revue de la quinzaine, Histoire des limites de Paris »,
 Journal des débats politiques et littéraires, 8 décembre 1859

A lire dans la collection ArchéoSF:

Les Ruines de Paris et autres textes, anthologie disponible dans la collection ArchéoSF (120 pages, 5 nouvelles, 3,99 euros pour le format numérique et 12,50 euros pour le format papier)
Charles-Nicolas Cochin, Archéologie du futur. Mémoires d'une société de Gens de Lettres publiés en l'année 2355 (1755-1756) (6 textes réunis pour la première fois en un seul volume, 104 pages, 4,99 euros pour le format numérique et 12 euros pour le format papier)

A lire sur les sites ArchéoSF:

Charles-Olivier Penne, Dans Deux mille ans (1855)
Baronne Jenny d'Erdeck, Voyage aux ruines de Paris en l'an 3870 (1870)
Camille Flammarion, Dans les ruines de Paris (1912)

samedi 2 mai 2020

[Dessins] Les îles artificielles d'escales pour l'aviation au long cours (1932)

L'idée de construire des lieux d'escale pour les vols transocéaniques a été développée dans les années 1930. Les avions n'avaient alors pas l'autonomie suffisante pour transporter des voyageurs à travers l'Atlantique (et moins encore le Pacifique).
La série 24 regards sur l'avenir proposait une sorte de plate-forme flottante pour servir de relais.


En 1932, une série d'article "Parlons d'aviation" est publiée dans le périodique pour la jeunesse Pierrot. Dans le numéro 5 du  31 janvier 1932, deux dessins illustrent non plus une plateforme flottante mais des îles artificielles, la première pour les avions, la seconde pour les hydravions.




Pierrot, n°5,  31 janvier 1932