G. Labadie-Lagrave dans l'article « Voyage en
l'an 2003 » traduit des extraits du texte Un viaje a la República Argentina en el año 2003 signé par M. Nilo Maria Fabra et paru dans Ilustracion espanola y americana n° 21 (1889). Il est frappant de constater l'extrême cohérence de l'imaginaire européen concernant le futur prévu. Les lecteurs français d'anticipation ancienne ne seront nullement dépaysagés tant le texte semble inspiré par Albert Robida.
VOYAGE EN L'AN 2003
La plupart des prévisions que Mercier
a exposées dans sa description de Paris, en 2440, sont déjà
démenties par les événements, en sera-t-il de même du Voyage
en 2003 que vient de publier la Ilustracion espanola y
americana ?
Nous éviterons de nous prononcer sur
ce point de peur de nous exposer aux railleries des curieux qui
pendant les premières années du vingt et unième siècle
feuilletteront la collection du Figaro. D'ailleurs, il nous importe
peu que les fantaisies de M. Nilo Maria Fabra se vérifient plus ou
moins dans un délai de cent quatorze années, l'essentiel est
qu'elles ne ressemblent pas à tant d'autres prophéties dont
l'unique raison d'être est d'annoncer des calamités sans nombre
dans un style obscur, déclamatoire et larmoyant. Nous pouvons suivre
l'écrivain espagnol dans ses excursions à travers l'ancien et le
nouveau monde sans avoir cet écueil à redouter.
- Allô !- Que voulez-vous, répond par le téléphone l'employé de l'Express hispano-argentin.- Un billet d'aller et retour de Madrid à Buenos-Ayres. Combien ?- Quinze cents francs.- Il me faudrait aussi, une lettre de crédit de vingt mille francs.- C'est entendu.- Je vous envoie par le tube pneumatique un chèque sur la Banque et mes bagages.En moins d'un quart d'heure, le tube pneumatique, qui met les maisons des abonnés en communication avec la gare, m'envoie une médaille de nickel portant la lettre M, avec le numéro 5. Cette médaille représente le prix de la place que j'ai demandée et me donne droit à un crédit de vingt mille francs sur toutes les gares du réseau. L'ascenseur me transporte sur la terrasse qui est au-dessus de ma maison. Je prends le tramway électro-aérien et j'arrive à la station centrale de Madrid, d'où part la ligne hispano-argentine.
Il est à remarquer que dans ces
préparatifs de voyage il n'est pas question de fiacre. Les progrès
de la mécanique et de l'électricité ont supprimé ce moyen barbare
de locomotion. En 2003, les cochers ne sont plus qu'un souvenir
historique ; les vieillards racontent que depuis une
cinquantaine d'années le dernier représentant de cette corporation
est mort d'une grève rentrée.
***
Plus de fumée, plus de trépidations ;
un moteur électrique a remplacé la chaudière à vapeur de la
locomotive, et le train roule sans secousse sur les rails
d'aluminium, qui depuis longtemps ont été préférés aux rails de
fer. Les wagons sont en communication permanente avec le réseau
universel téléphonique qui sillonne le globe.
Désirez-vous entendre l'opéra qui se
joue en ce moment sur le théâtre d'Apollo de Rome ?... Il vous
suffit de pousser ce bouton. Aimez-vous mieux vous tenir au courant
des dépêches politiques ?
- Un appareil où le phonographe et le
téléphone se combinent de la façon la plus ingénieuse emmagasine
les nouvelles à mesure qu'elles arrivent. Vous avez sous la main une
rangée de touches d'ivoire sur lesquelles sont écrits les noms de
toutes les grandes villes de l'univers.
Voulez-vous savoir ce qui se passe à
Madrid ? aussitôt une voix légèrement métallique, mais forte
et claire, vous répond :
Madrid, 8 heures du soir. - L'Académie espagnole vient d'ouvrir un concours pour récompenser le meilleur discours parlementaire. Le style le plus laconique sera préféré. Les solécismes ne sont pas admis.
Touchez maintenant le bouton voisin qui
est en communication avec Paris :
Paris, 8 heures 35 du soir. - La Chambre vient de voter un projet de loi qui dispense les députés d'assister aux séances. Les orateurs pourront rester chez eux et prononcer leurs discours en se servant du phonographe parlementaire.
Un appareil spécial sera mis à la disposition des interrupteurs.Vous êtes prié de ne pas mettre le doigt sur la sonnerie qui donne des nouvelles de l'Angleterre. C'est aux voyageurs atteints d'insomnie que sont réservés les comptes-rendus de la Chambre des lords.Mais voilà que, par mégarde, vous avez fait jouer le telépho-phonographe d'Autriche. Immédiatement il vous répond :Vienne, 9 heures 30 du soir. - La question des Balkans... Assez... Assez... Assez...
***
Cependant, la locomotive électrique,
roulant à toute électricité, passe sous un tunnel, le détroit de
Gibraltar, et traverse le Maroc dont le patriotisme de M. Fabra a
fait une province espagnole. Les hommes d'équipe crient :
« Dakar, cinq minutes d'arrêt. »
Un coup de sifflet retentit et le train
s'engouffre tout entier dans un immense navire sous-marin de soixante
mille tonneaux, qui met la tête de ligne du Sénégal en
communication avec la station du cap Saint-Roch, sur la côte du
Brésil. Cette traversée qui dure deux jours est l'épisode le moins
agréable du voyage, car les progrès de la science n'ont pas
supprimé le mal de mer.
Une fois sur le continent de l'Amérique
du sud, ce n'est plus qu'un jeu de parcourir quelques milliers de
kilomètres entre le cap Saint-Roch et Buenos-Ayres, la métropole
hispano-américaine qui, d'après le recensement du mois d'avril
2003, compte un peu plus de quatre millions d'habitants.
De toutes les prophéties de la
Ilustracion espanola y americana, ce sera peut-être la seule
qui se réalisera.
G. Labadie -Lagrave, « Voyage en
l'an 2003 »,
in Le Supplément littéraire du Figaro n°
27 daté du 6 juillet 1889
A lire:
Nilo Maria Fabra Un viaje a la República Argentina en el año 2003 (en espagnol)
Visionnaire, notre auteur!!! Un seul détail qui ne s'est pas réalisé (et qui ne pourra pas le faire).
RépondreSupprimerTout le reste, on y est en plein.