Histoire des limites de Paris
[...] Où s'arrêtera le
développement accéléré de cette ville déjà énorme? Nous avons
vu ce qu'elle était il y a deux mille ans, une bourgade de bateliers
sur un îlot fangeux. Et maintenant demandons-nous : Que sera t-elle
dans deux mille ans encore? Aura-t-elle continué de croître
toujours ? Ou bien aura-t-elle décru dans deux mille ans, que
sera devenue la France elle-même?
Dieu nous garde de prononcer
des paroles de mauvais augure ! Dieu nous préserve aussi de
déclamer! mais enfin l'histoire nous montre quel a été le sort de
Carthage et d'Athènes, de Corinthe et de Tyr, de Thèbes et de
Babylone, et de tant d'autres villes autrefois florissantes et
relativement aussi puissantes que Paris. Nous voyons que la destinée
de tout ici-bas, celle des villes et des peuples, comme celle des
hommes et des arbres, est, après avoir crû, de dépérir. Un peuple
succède à un autre dans le rôle d'initiateur ; le flambeau passe
de main en main, la vie se déplace et change de zone; la
civilisation incessamment, aussi bien que la mer, abandonne ses
anciennes, plages... Sujet de méditations !
Un
temps viendra où les touristes de quelque autre ville lointaine,
devenue à son tour la métropole du.monde, et qui aujourd'hui est
encore à naître, visiteront « les champs où fut Paris. »
Reculé
tant que vous voudrez l'époque où Paris enfin sera mort et où la
France ne vivra plus que dans l'histoire : cette époque fatale
arrivera pourtant. Et songez alors avec le poëte :
Oh
! dans ces jours lointains où l'on n'ose descendre,
Quand
trois mille ans auront passé sur notre cendre.
A
nous qui maintenant vivons, pensons, allons,
Quand,
nos fosses auront fait place à des sillons.
Si,
vers le soir, un homme assis sur la colline.
S'oublie
à contempler cette Seine orpheline,
Ô
Dieu ! de quel aspect triste et silencieux
Les
champs où fut Paris étonneront ses yeux !... [Victor Hugo, "A l'Arc de Triomphe"]
Et
ce n'est pas tout. Après que de nouveaux peuples et des
civilisations nouvelles auront encore remplacé ceux et celles qui
avaient envoyé des commissions archéologiques pour aller étudier
les ruines de Paris et en enrichir leurs musées, fous périront
enfin. Et l'humanité elle-même tout entière, après avoir joué le
rôle qui lui est assigné dans l'ensemble universel, disparaîtra de
la sur face du globe terrestre comme elle y était apparue. Cette
apparition et cette disparition n'auront été dans l'histoire de la
géologie qu'un moment, qu'un détail. Après comme avant l'homme,
des créations sans nombre continueront de s'accomplir sur ce globe,
jusqu'à ce que, des époques incommensurables s'étant écoulées,
ce globe à son tour, de plus en plus refroidi au centre et à là
surface, se dissolve enfin dans l'espace, et rentre, par l'éternelle
circulation des choses, en des agrégations nouvelles...
Mais
nous n'en sommes pas encore là.
Emile
Deschanel, « Revue de la quinzaine, Histoire des limites de
Paris »,
Journal des débats politiques et littéraires,
8 décembre 1859
A lire dans la collection ArchéoSF:
Les Ruines de Paris et autres textes,
anthologie disponible dans la collection ArchéoSF (120 pages, 5
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Charles-Nicolas Cochin, Archéologie du futur. Mémoires d'une société de Gens de Lettres publiés en l'année 2355 (1755-1756) (6 textes réunis pour la première fois en un seul volume, 104 pages, 4,99 euros pour le format numérique et 12 euros pour le
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A lire sur les sites ArchéoSF:
Charles-Olivier Penne, Dans Deux mille ans (1855)
Baronne Jenny d'Erdeck, Voyage aux ruines de Paris en l'an 3870 (1870)
Camille Flammarion, Dans les ruines de Paris (1912)
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