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samedi 16 mai 2020

Henri Malin, Dans trois mille ans (1873)

Dans son poème "Dans trois mille", Henri Malin imagine un Paris de l'avenir dans le sillage hugolien et illustre le thème des ruines de Paris :



DANS TROIS MILLE ANS


Personne, le néant, froid, muet, étonné.
(V. HUGO, Légende des siècles)


La solitude morne, incroyable, effrayante,
Le silence profond qui tient de l'épouvante,
Les joncs dressant leur tige au milieu des marais,
Les coteaux, les ravins, les fossés, les forêts,
Les excavations, les souterrains énormes,
Les ronces s'attachant aux branchages des ormes,
Des champs pleins de chardons et de mousse couvrant
On ne sait quoi de noir, et d'informe et de grand
Comme des pans de murs ou des monceaux de pierres,
Qui doivent rappeler bien des choses allières,
Et qui prennent la nuit la forme des tombeaux ;
Des temples en ruine où nichent les corbeaux,
Un édifice encor rayonnant et superbe
Dont le dôme orgueilleux démantelé clans l'herbe
A cette heure fait place au divin firmament
Et plus loin, une tour penchant horriblement,
Aux murs tout dégradés, et là-bas, sur la côte,
Parmi les longs sapins, une porte si haute,
Que son arc affaissé par les ans apparaît
Comme un pont au-dessus de l'obscure forêt,
Tel est l'aspect, telle est la vision étrange
De ces lieux où la gloire est mêlée à la fange.

Chaos, immensité, solitude, néant,
Qu'avez-vous fait, hélas ! de ce peuple géant.
Et parmi ces vieux murs, ces pierres, ces ruines
Couronnés par le temps comme Jésus d'épines,
Où l'on retrouverait de l'or et de l'airain,
Qu'aujourd'hui le lion habite en souverain,
Un fleuve est là caché sous les roseaux dans l'ombre
Qui, fier de son passé, coule sinistre et sombre.

Du plus brillant des jours voilà le lendemain.

Et jamais en ces lieux on ne voit rien d'humain,
Pas même un pâtre errant qui cherche une prairie,
Ni l'abeille qui cherche une rose fleurie.

Quelquefois cependant, le poète égaré,
Rêveur, silencieux, par le calme attiré,
Entre en ces bois profonds, descend vers cette rive,
Où l'eau calme et sans bruit comme lui-même arrive,
Où son pied foule encor par endroits du granit,
S'approche de ces tours que le soleil brunit,
Soulève un coin tremblant de leur manteau de lierre,
Lit les noms oubliés par le temps sur la pierre,
Pleure et s'écrie enfin, parlant à ces débris,
– Dire, hélas ! que c'est là ton squelette, ô Paris –



Henri Malin, « Dans trois mille ans », Revue des jeunes poètes, 1er août 1873


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A lire sur les sites ArchéoSF:

Charles-Olivier Penne, Dans Deux mille ans (1855) 
Emile Deschanel, [Les ruines de Paris] (1859)
Baronne Jenny d'Erdeck, Voyage aux ruines de Paris en l'an 3870 (1870)
Camille Flammarion, Dans les ruines de Paris (1912)

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