Poursuivons notre exploration de l'an 2000 imaginé jusqu'aux années 1960 avec ce texte paru dans Le Chasseur français en juin 1956. ArchéoSF a déjà publié un texte de Pierre Gauroy annonçant l'avenir dans... 500.000 ans ! En l'an 2000, on devait être sur Mars... M'est d'avis qu'il va falloir attendre encore un peu...
En cinquante années, tant de découvertes, toutes plus étonnantes les unes que les autres, ont bouleversé la planète que la curiosité des hommes trouve difficilement matière à motif d’étonnement. Tout ce qu’un Jules Verne avait pu rêver de plus fantastique est entré dans le domaine du quotidien. Qu’un long-courrier des airs déroule son orbe vertigineuse dans les champs de la stratosphère, qu’un sous-marin Nautilus effectue sans escale le tour de la planète, qu’un bathyscaphe aille se poser avec grâce dans les profondeurs inviolées ou qu’une fusée aille trouer la voûte du ciel à quelques centaines de kilomètres, il en faut plus pour nous étonner désormais.
Demain, d’autres générations manifesteront la même indifférence, jetteront le même regard désabusé sur ces aspects d’un nouvel âge auxquels il serait injuste cependant de refuser le qualificatif de stupéfiant. Encore quelques décades, et la grande aurore de l’an 2000 s’allumera sur le monde. Quel décor s’offrira alors aux yeux des Terriens, s'il en est encore sur notre turbulente planète ?
Le poids de 45 nouvelles années a blanchi nos tempes. Mais qu'est cela en regard du prodigieux spectacle qui nous est offert ?
Sur l’immense astroport interplanétaire édifié aux portes de Paris, vingt monstres d’acier sont là, hurlant de leurs cent réacteurs sur les pistes phosphorescentes. Sur l’écran gigantesque dressé sur l’aire d’envol, des noms s'allument, aussi familiers aux usagers de l’an 2000 que peuvent l’être aujourd’hui pour nous ceux de l’Australie ou de l’Amérique : « Mars », en soixante-douze heures ; « La Lune », en trois heures trente ; croisière autour de la Terre en une heure vingt.
L’attrait de la nouveauté valut à ces circuits en leurs débuts un succès sans précédent. Mais voici que les conditions de vie à la surface de la Terre étaient devenues si douces qu'il fallait quelque héroïsme pour la quitter. Car c'en était fini de ces alternances passées de clarté et de ténèbres. La nuit avait définitivement cédé le pas aux mille lumières que la science dispensait à bon marché grâce aux inépuisables ressources de l’énergie atomique. Qu'importait désormais la lumière solaire dont les plantes n’avaient plus que faire pour leur croissance et leurs synthèses depuis que les hommes leur distribuaient des flots de radiation jamais interrompus. Ces synthèses d’amidon, de graisses et de protides, bases de toute vie organique ici-bas et qui, jadis, s’élaboraient au sein des feuilles vertes sur le tapis des champs et des prés, s’opéraient aujourd'hui dans le silence d'usines-laboratoires, limitées dans leur production par la seule volonté des humains.
A son gré, l'homme de science faisait et défaisait le temps, dispensant au mieux pluie, neige ou printemps. Il façonnait la planète au gré de sa fantaisie. Qu’une terre fût malencontreusement léchée par un courant froid, il détournait ce dernier.
Bien d’autres projets, d’ailleurs, étaient en cours de réalisation. Sous l'action conjuguée de bombes atomiques bien placées, la mer Arctique, désormais libre de glaces, livrait passage à des navires ultra-rapides qui joignaient les continents en quelques heures. Sur le point mathématique du pôle, des croisières étaient organisées. La suppression de ces surfaces glacées avait entraîné un réchauffement appréciable de l’atmosphère, et l’inlandsis glaciaire du Groenland s’amenuisait de jour en jour. Dans un proche avenir, on comptait bien voir cette île, vaste comme un continent, redevenir la « terre verte », nom dont l’avaient baptisée ses découvreurs. Rompait-il ainsi le rythme de la nature, cet homme de science du deuxième millénaire ? Non pas, il l’accélérait seulement. Aurait-il oublié en effet l’alternance antérieure de glaciations et de réchauffements qui avaient marqué la vie du globe ? Ce retour d’un été perpétuel qui intéressait toute la planète n’était ici que la manifestation accélérée et voulue d’un phénomène naturel à marche lente.
Hélas ! pourquoi fallut-il que cette Terre qui pouvait devenir un éden connut encore des jours d’angoisse ? L’appétit des hommes n’avait pas désemparé. De ce que le Groenland et les vastes espaces du continent antarctique allaient livrer les secrets de leur sol dans un proche avenir avait suffi pour attiser les convoitises, car on savait trop les richesses qu’ils pouvaient recéler. Et la richesse des hommes et des nations n’était plus, à cette heure, faite d'or, de platine ou de diamants, objets vils, mais de ces minerais radio-actifs qui dormaient depuis des millions d'années sous la croûte planétaire. La prospection même de tels gisements se faisait à une échelle de titans. C’en était bien fini de ces techniques rustiques qui arrachaient au sol quelques parcelles de matière, de ces trépans qui rongeaient la roche à grand renfort de semaines. Une secousse monstrueuse ébranlait quelques kilomètres carrés de la planète et ramenait au jour les trésors sommeillants. On prenait commande de tremblements de terre comme on assure aujourd’hui un forage. Oh ! non pas que cela se soit fait sans opposition l II avait fallu vaincre d’abord les puissantes organisations qui vivaient jusque-là de l’extraction du pétrole, du charbon ou de la production d’électricité.
On allait faire mieux encore, commander au rythme des saisons, s’assurer un éternel printemps en redressant l’axe de la Terre, qui s’en irait à la verticale de sa route, comme il en va de Jupiter, la planète géante de notre système.
L’intérêt de certaines mers intérieures n’étant pas évident, d’un coup de crayon on les raya des cartes. Ainsi en fut-il de la Méditerranée. Le moyen fut élégant et simple. On ferma Gibraltar. Lentement, mais inexorablement, l’eau salée s’évapora, les rivages se déplacèrent, les anciens ports vécurent du souvenir de leur splendeur passée. Marseille se trouva bientôt à cent kilomètres à l’intérieur des terres. L’assèchement total de la Méditerranée n’était d’ailleurs pas prévu dans l’immédiat, car subsisteraient longtemps encore deux fosses marines profondes de part et d’autre de la Sicile. De même furent verrouillées la mer Noire, la mer Rouge, la Baltique et la baie d’Hudson. Car, au point où en était arrivée la locomotion aérienne, il était puéril de vouloir emprunter la voie maritime, pour certains parcours tout au moins.
Quant au Sahara, il connaissait un triomphe végétal évocateur des magnifiques frondaisons qu’il avait portées en des temps révolus. A l’immense lac souterrain qui sommeillait à plusieurs centaines de mètres de sa surface, des issues avalent été données, d’où l’eau avait impétueusement jailli. De cette mer souterraine, jusque-là inexploitée, d'autres lacs étaient nés sur le sol désertique. Et dans ces lacs, là où jadis frissonnaient les nappes fantomatiques des mirages, au brûlant soleil des Tropiques, des tonnes d’algues croissaient, riches de substances de réserve, véritables super-aliments que l'humanité allait utiliser pour remplacer partiellement viandes, poissons, œufs et autres substances albuminoïdes fondamentales.
Puisque nous parlons alimentation, évoquons en quelques lignes les techniques alors offertes à la préparation des repas. Aux feux de bois, de charbon, aux réchauds électriques ou à gaz, on avait substitué des cuisinières électroniques pas plus larges qu’une assiette. Combien désuète apparaissait l’époque, pas si lointaine cependant, où il fallait des dizaines de minutes, sinon des heures pour accommoder un repas. Aujourd’hui, le temps, c'est de l’argent. Il faut trois secondes pour cuire une pâtisserie, cinquante secondes pour un beefsteak ou une friture de poissons, quatre minutes pour un poulet rôti. Quant aux pommes de terre, elles sont à point après une minute et demie de cuisson.
Le confort familial connaissait une perfection insoupçonnée. Dans les vastes buildings de trente-cinq étages régnait une chaleur uniforme de 20°, assurée par circulation, entre les murs et les planches, des calories reçues et conservées par l’accumulateur solaire installé sur le toit. Même constance dans la lumière intérieure grâce aux peintures lumineuses, à base de sulfure active de radium, qui tapissaient les parois. Tout danger de radio-activité était supprimé par l’interposition d’une lame transparente de plomb synthétique. Une telle peinture était capable de fournir la lumière pendant 250 ans. Le rendement en était considérable : 93 p. 100. Cependant les savants n’étaient pas encore satisfaits, dépassés qu’ils étaient par le rendement lumineux du plus humble des insectes, le ver luisant, qui atteignait 96 p. 100.
Monde étrange, monde de robots, monde géométrique où la science avait éteint la poésie, planète en voie d’éclatement... Car, sur les routes du ciel, les premiers satellites artificiels venaient d’être lancés... Mieux encore, l’homme, se faisant semeur de vie, s'apprêtait à fertiliser d'autres terres du ciel. Et déjà l'on élaborait dans le secret des laboratoires les tonnes de matières premières dont, demain, des fusées- cargos saupoudreraient le sol de la planète Mars pour lui rendre une atmosphère oxygénée et lui permettre un jour peut-être d’accueillir les humains.
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Alors oui, alors seulement, les Terriens pourront faire sauter leur vieille planète dans un embrasement monstrueux qui la refera étoile...
Plût au ciel qu’alors la rouge planète Mars fût accueillante au moment du feu d’artifice, et que les mystérieux Martiens, s’il en est, nous amènent à réapprendre le chant des sources, des fleurs et des bêtes et des mille étoiles que la nuit fait éclore...
Pierre Gauroy
Je remercie le "webmaster" du site proposant la reproduction de milliers d'articles du Chasseur français qui a bien voulu me fournir quelques scans de pages m'intéressant plus particulièrement. Je vous invite à y faire un petit tour pour découvrir les richesses de cette revue:
Sympa cette idée de voir l'an 2000 dans les romans SF :) Je donnerais le lien à mon homme!
RépondreSupprimerCe n'est pas à proprement parler un roman, c'est un article de prospective (mais il est vrai que ça ressemble fort à de la SF!)
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