Deuxième épisode de notre exploration du Quotidien de Montmartre publié en 1929-1930 qui est disponible sur Gallica (du n° 10 au n° 52). Pour lire la présentation du périodique, cliquez ICI. Pour retrouver tous les billets de cette série consacrée au Quotidien de Montmartre, cliquez ICI.
Le n° 22 daté du 2 février 1930 accueille une petite nouvelle ruritanienne signé le pseudonyme de Jean de Lozère (alias André Minot, 1888-1941) qui n'est pas un inconnu car il a aussi signé sous un autre pseudonyme André Romane un conte préhistorique : "La plus belle conquête". "En exil" conte les déboires du prince Christophore de Boskovie qui vit un exil parisien qui lui est somme toute fort agréable mais qu'une révolution monarchiste dans son pays oblige à reprendre le trône, abandonnant les petites femmes parisiennes. La nouvelle est accompagnée de deux dessins suggestifs bien dans le ton du Quotidien de Montmartre.
Nous le reproduisons ci-dessous avec les illustrations :
En exil
Le
prince Christophore de Boskovie est une victime de la guerre.
Après
quatre ans d'espérance,
Quand
les peuples alliés
Avec
les poilus de France
Ont
moissonné les lauriers,
il
a faussé compagnie à son peuple prêt à se révolter et est allé
grossir le bataillon grossir le bataillon des rois en exil.
Comme
il dispose d'une fortune assez rondelette, mise depuis longtemps à
l'abri de tous risques dans les coffres du Crédit Lyonnais, il mena,
dès son arrivée à Paris, une vie des plus agréables.
Depuis
son abdication les Boskovites font, non sans déception,
l'apprentissage de la République une et indivisible. Tandis que ses
ex-sujets sont en proie aux luttes fratricides des factions
politiques se disputant l'assiette au beurre gouvernementale.
Christophore savoure l'illusion de se croire citoyen libre d'un pays
libre.
Nul
protocole, nulle tradition ne viennent guinder ses gestes et
discipliner ses paroles ;
Il
peut sortir de chez lui à toute heure du jour ou de la nuit, aller
où et chez qui bon lui semble, sans qu'une escorte bruyante et
chamarrée ou une garde occulte mais vigilante ne l'accompagne.
Plus
d'audiences, de conseils de ministres, de réceptions d'ambassadeurs,
d'inaugurations, de harangues et de discours, Christophore de
Boskovie est libre et frétillant comme le poisson dans l'eau ou la
bactérie dans un bouillon de culture et, pour comble de bonheur, il
est l'amant, épris et chéri, de la petite Chouquette, des
Folies-Bergères.
Pourtant
l'habitude étant une seconde nature, il arrive encore à
Christophore de fureter sous le lit de sa maîtresse avant de s'y
aller coucher à ses côtés, comme si quelque espion, quelque
policier ou quelque régicide pouvait se trouver caché sous sa
couche, et, quand l'impatiente Chouquette lui demande d'une voix
suave :
-
Eh ! Bien, Cricri, viens-tu te plumer, qu'est-ce que tu fiches
donc ainsi en liquette à quatre pattes sur la descente de lit, il
revient à la douce réalité et, âme pure, coeur allègre, il se
livre, sans plus attendre, aux délices de l'amour.
Une
seule ombre ternit parfois l'éclat de sa félicité :
Ah !
n 'exilez personne, ah ! L'exil est impie.
V.
HUGO.
La
cause royale a gardé en Boskovie quelques partisans convaincus.
L'influence de ce petit groupe de monarchistes résolus grandit
chaque jour et Christophore ne peut se dispenser de remercier de
temps en temps ces fidèles de leur zèle intempestif qu'il maudit
en son for intérieur.
Car
le bonheur est bref et les Dieux sont jaloux. Ebranlé par les coups
de boutoirs de la réaction la république Boskovite tremble
aujourd'hui sur sa base. Les chefs du mouvement monarchiste pressent
de plus en plus Christophore de rentrer dans ses états où le peuple
l'accueillera en sauveur et père de la patrie.
Christophore
en perd le boire, le manger, le sommeil et le libre exercice de
l'amour.
Et
la catastrophe redoutée se produit ;
Un
matin, tandis qu'il contemple, étendue en travers de son lit, la
blonde Chouquette qui, telle la Tanit du poète, Rêve
languissante, voluptueuse et nue, son valet de chambre, après
avoir gratté discrètement à la porte, lui tend sur un plateau un
télégramme que Christophore ouvre d'une main tremblante.
Il
est ainsi rédigé :
« Victoire,
Sire, victoire ! Les usurpateurs sont chassés ; Un
gouvernement provisoire a pris le pouvoir au nom de votre majesté,
que son peuple appelle à grands cris.
Léonidas
Dodévich. »
-
Nom de D… ! s'écrie Christophore.
-
Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiète Chouquette
réveillée en sursaut.
Puis
après avoir pris connaissance de la dépêche :
-
En Bien ! Quoi, t'as qu'à les laisser tomber ces mufles-là.
Abdique mon vieux Cricri. T'as bien un frangin , un n'veu ou un bon
zigue quelconque qui acceptera de porter la couronne à ta place.
Mais
le Faible Christophore sent bien qu'il n'aura pas le courage de
rompre tous les liens qui le rattachent au trône.
Et,
tandis que Chouquette lui suggère des solutions plus saugrenues les
unes que les autres, il laisse, en bouillonnants sanglots d'enfant,
couler sa lourde peine sur son pyjama de soie rose.
Jean
de Lozère, « En exil », in Le Quotidien de
Montmartre, n° 22, 2 février 1930
Le n° 23 daté du 9 février 1930 comporte un dessin humoristique d'inspiration préhistorique signé par le célèbre Dubout (1905-1976) invitant à lire Le Petit Néolithique sous le patronage de "Rausny et Né":
Le dépouillement de ce périodique est à suivre dès la semaine prochaine
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