Dès
1917, André Michelin lance une collection de guides touristiques sur
les lieux de la Première Guerre Mondiale. Le premier guide a été
publié fin 1917 avec le volume Champs de bataille de la
Marne I. L'Ourcq, Meaux-Senlis-Chantilly aux
éditions Berger-Levrault. La collection éditée entre 1917 et 1921
compte 29 titres en français, 20 en anglais, 4 en italien et 1 en
allemand.
André
Charpentier, dans une chronique publiée dans Le Canard
Enchaîné, imagine, avec
humour, pour après la guerre une continuation du conflit par les
touristes eux-mêmes... Cette chronique est reprise dans Le Bochofage fin 1917.
Anticipation
« La
visite des champs de bataille est déjà organisée. En
France, Michelin commence la publication de guides spéciaux. De
l'autre côté du Rhin, Baedecker (1)
prépare, lui aussi, des guides tendancieux, sous le
patronage du grand état-major allemand... »
La
paix vient d'être signée.
Immédiatement,
de part et d'autre, cependant que les combattants réintègrent leurs
foyers, les agences organisent des excursions aux tranchées à
l'image des civils avides de respirer, sans danger, l'air glorieux
des champs de bataille.
Des
quatre points cardinaux, les touristes arrivent pleins breaks,
envahissent les secteurs, arpentent les boyaux, dégringolent au fond
des sapes, gesticulent sur les parapets. Pour faciliter leur visite,
ils se sont munis des guides édités dans leur pays.
Deux
groupes d'excursionnistes se rencontrent autour d'un petit poste. Les
uns tiennent à la main un guide Michelin, les autres un guide
Baeckeder. Cette particularité ne passe pas inaperçue… C'est ici
que les patriotes, qui n'ont pu verser leur sang durant la guerre,
s'attendent de peid ferme. On s'aperçoit que, la paix conclue, la
guerre ne fait que commencer.
Un
« Boedecker » après avoir compulsé son guide, explique
à ses compagnons :
-
C'est ce petit poste dont les Allemands s'emparèrent au début de
l'action du 4 novembre…
A
cette assertion, un « Michelin » sursaute :
-
Pardon, monsieur, interrompt-il, vous commettez une erreur
historique : les Français de ce petit poste ont repoussé
victorieusement toutes les tentatives boches…
-
Je…
Mais,
déjà, le Michelin plus nerveux a arraché une motte de terre du
parapet et l'a lancée dans la direction du Boedecker. Cette attaque
brusquée déclenche les hostilités. La bataille s'engage entre les
« Michelin » et les « Boedecker ».
Plus
nombreux les Boedecker cernent le petit poste, en chassent les
occupants à coups de cannes et de parapluie et gagnent la première
ligne. Un Michelin appelle du renfort à l'aide du klaxon d'un poste
aux gaz. L'appel est entendu ; les renforts montent. La lutte
devient égale, et davantage acharnée.
Les
coups de cinéma se succèdent. Un Boedecker reçoit un caillebotis
en plein crâne. Un Michelin s'empare d'un Vermorel et asperge ses
ennemis d'hypsulfite. Un groupe de belligérants empêtré dans des
rouleaux de barbelés et des chevaux de frise pousse d'ignobles
jurons. Armé d'un bouthéon (2), un Boedecker distribue plaies et
bosses. Quelques Michelin s'étaient réfugiés dans une cagna ;
un Boedecker avise une grosse femme, et d'un preste croc-en-jambe
l'envoie rouler au fond de la cagna où elle tombe avec la légèreté
d'un 420 qui n'éclaterait pas ; on entend les râles des
écrasés. Claies, rondins, sacs-à-terre, galions sont autant
d'armes et de projectiles entre les mains des combattants.
Quel
beau communiqué !
A
la nuit, la bataille prend fin. Les Boedecker sont repoussés avec
pertes. Les brancardiers ramassent les victimes et les transportent
au poste de secours (les agences ont tout prévu). Chaque blessé
reçoit une fiche – une fiche d'évacuation où sont marqués les
honoraires du médecin.
Contemplant
ce spectacle, un ancien poilu, qui a accompagné sa belle-mère dans
son expédition et l'a « oubliée » quelque part par là
là dans un trou de 380, profère, goguenard :
-
C'est bien son tour…
André
Charpentier, « Anticipation »,
publié
dans Le Canard Enchaîné,
repris
dans Le Bochofage (journal de
tranchées)
daté
du « 16 et 17
novembre et décembre 1917 ».
(1)
André Charpentier parle ici du guide Baedeker. L'orthographe varie
au cours de l'article. Nous avons conservé les différentes
graphies. Nous avons en revanche corrigé les coquilles.
(2)
Marmite plate en métal équipant l'armée
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire