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ISSN 2496-9346

mardi 14 mai 2019

Raoul Ponchon, Un Aérolithe (1897)

De Raoul Ponchon, dans le domaine de la conjecture rationnelle, on connaît le poème "Animaux antédiluviens" révélé par Fabrice Mundzik dans Fouilles archéobibliographiques (Fragments) (éditions Bibliogs, 2015).

Il convient d'ajouter à ce texte, le poème "Un aérolithe" publié dans Le Journal en 1897. Il est cette fois sujet de communication interplanétaire de Mars vers la Terre (et ce n'est pas très élogieux pour les Terriens!)






GAZETTE RIMEE

UN AÉROLITHE 

A Odon G. de M...


J'allais me promenant au sein de la campagne
     Avecque la compagne
Qui règne sur mes jours. C'était au mois dernier,
     Par un temps printanier,

Quand, sans s'être annoncé, dans un fracas de foudre
      Et qui faillit me moudre,
Un dur objet tomba sur le sol, près de moi.
     Jugez de mon émoi !

Je me remis pourtant et dis à la petite :
     « Ah ! mince de pépite ! » .,
Et tandis que la chère appelait sa maman,
     Je vis, sur le moment,

Que cet objet était un simple aérolithe.
     Mais, voilà l'insolite :
Il me sembla strié de signes biscornus,
     Tels que jamais je n'eus

L'occasion d'en voir, et, tracés, voulus, comma
     Par la dextre d'un homme.
Non, ça ne pouvait être un effet du hasard,
     Il s'y trouvait trop d'art :

« Par le diable cornu ! cela tient du prodige,
     — A ma mignonne, dis-je —
C'est là, n'en doute pas, un rare document
     Tombé du firmament.

Je n'ai pas la prétention de m'y connaître,
     Elle est encore à naître.
Certes, je ne saurais quoi veut dire ceci,
     Mais je sais, près d'ici,

Un être chez lequel toute science habite,
     Un pieux cénobite
Qui sur d'obscurs papiers travaille jour et nuit,
     Il me le dira, lui.

Il déchiffrera ça beaucoup mieux que personne.
     Et, comme qui... badine.
Qui sait si je n'ai pas une fortune en main ?
     Tu le sauras demain. »

Je pris donc à mon cou mes jambes, ma pyrite,
     Et m'en fus au plus vite
Chez ce savant Odon, c'est-à-dire au café,
     Où je l'apostrophai :

« Ô toi, dont le gosier parle toutes les langues
     Même les plus exsangues,
Et de qui le cerveau reverdit chaque mois,
     Qu'est-ce que ce chinois ? »

Il prit l'aérolithe en ses mains exercées
     Mais comme désossées,
Sortit sa forte loupe et s'exclama d'abord :
     « — Ah ! par Dieu ! c'est trop fort ;

Sais-tu bien ce que c'est que cette langue absconse t
     — Eh non ! fut ma réponse;
Puisque aussi bien, mon cher, je suis venu te voir
     Afin de le savoir.

Eh bien, c'est une langue entre le concombrique
     Et le cornichonnique ;
C'est du cucurbitain : on décide ce jars
     Dans la planète Mars.

« Par conséquent ceci nous vient, la chose est nette,
     De ladite planète.
Et voici ce que ça veut dire, mot pour mot...
     Ah ! quel est le chameau ?... »

Et le voilà parti d'un grand éclat de rire.
     « — Ce Marsien veut dire :
Hommes, il ne faut pas que vous vous y trompiez
     Vous êtes tous des pieds.

Nous nous voyons depuis des milliers d'années,
     Pauvres âmes damnées !
Et pour nous dont le rire est un peu fatigué
     Votre monde est fort gai. »


Raoul Ponchon, « Un Aérolithe », Le Journal, n° 1903, 13 décembre 1897.


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