Chaque
lundi de l'été (du 24 juin au 16 septembre 2019), ArchéoSF propose un
article sur l'uchronie comme en 2017. C'est un nouvel Été en uchronie ! Pour retrouver tous les épisodes de cette série cliquez ICI.
En 1913, après la publication le texte "Sur Mirabeau" (recueilli dans l'anthologie Une Autre histoire du monde. 2500 ans d'uchronie) dans lequel Emile Faguet s'interroge sur le destin de "L'orateur du peuple" s'il n'était pas mort en 1791, un auteur anonyme publie dans Les nouvelles un texte intitulé M. Emile Faguet et Mirabeau.
Nous avons à l’œuvre une circulation textuelle intéressante: Louis Barthou publie en 1913 à la Librairie Hachette son ouvrage biographique Mirabeau. Emile Faguet imagine d'autres destins possibles dans la Revue des Deux-Mondes puis ce rédacteur anonyme envisage d'autres destins antérieurs à la Révolution française.
Dans les revues
M.
Emile Faguet et Mirabeau
Dans
la Revue des Deux-Mondes, M.
Emile Faguet examine avec sa verve coutumière le Mirabeau de M.
Louis Barthou, ou plutôt il disserte sur Mirabeau à propos du livre
de M. Barthou.
Que
serait-il arrivé de Mirabeau s’il n’était pas mort le 2 avril
1791 à l’âge de quarante-deux ans ? se demande M. Faguet.
Ces questions sont trop oiseuses pour que je consacre à l’une
d’elle plus de vingt lignes mais encre elles contribuent à fixer
les idées sur un homme.
Il
aurait été assurément guillotiné en 1793 s’il fût resté en
France ; si, ce qu’il aurait sans doute compris qu’il
fallait faire après les découvertes de l’armoire de fer, il avait
fui à l’étranger, il n’aurait pas pu revenir avant le Consulat
et très probablement il n’aurait pas été employé par Napoléon
qui s’accommodait mal d’hommes de sa taille, et il n’aurait pu
devenir ministre qu’avec Louis XVIII vers 1818 ou 1820, et, à
cette époque, il aurait eu soixante-dix ans. C’était un peu tard.
On ne peut donc dire qu’à la date où Mirabeau mourut, sa carrière
était si près d’être finie qu’en vérité elle l’était.
Inversement,
s’il avait été prêt d’autre sorte qu’intellectuellement en
1788, s’il avait été moralement ministrable
en 1787 ou 1788, s’il avait, à la place de Necker ou de Montmorin,
présidé comme chef de gouvernement à la Révolution naissante,
s’il avait été appelé à la diriger, à la contenir, à la
guider, à l’éclairer avec la netteté de ses vues et la décision
de son geste, il est possible, il est presque probable que ce grand
mouvement, très nécessaire, eût pris un tout autre cours et
meilleur, et que son seul produit net, l’Empire (qu’il a prévu),
n’aurait jamais existé.
Quittons
l’uchronie. Que reste-t-il de Mirabeau ? Ses écrits, tout
pleins d’idées, presque toutes justes, toutes intéressantes et
curieuses, malheureusement d’un mauvais style ; ses discours,
d’un style meilleur quoique surchargé encore et trop feuillu, mais
presque toujours d’un mouvement magnifique, d’une largeur de
fleuve et d’une course de torrent ; ses vues sur le nouveau
régime, qui ne s’appliquent précisément qu’à la monarchie
constitutionnelle mais dont il y a à tirer indirectement pour tout
gouvernement représentatif : immense danger pour les libertés
individuelles et pour les droits du peuple d’une Assemblée qui
assume tous les pouvoirs, qui « envahit tout », qui se
fait législative et exécutive et qui forme, elle et sa clientela,
une aristocratie plus égoïste et plus oppressive, une aristocratie
de curée plus féroce que toutes les aristocraties et que toutes les
royautés ; nécessité, pour la contenir, d’une presse libre
qui surveille et qui la dénonce et d’un partage de sa souveraineté
même législative avec le chef de l’État, qu’il soit roi
constitutionnel ou président de la République, ce qui est
exactement la même chose ; nécessité de mœurs publiques qui
soient telles, s’il est possible, que jamais le peuple ne se croie
libre pour avoir délégué sa souveraineté à des délégués qui
l’oppriment.
Il
y a peut-être de bonnes choses dans ce que Mirabeau a laissé
derrière lui après son court et tumultueux passage à travers le
monde.
Anonyme,
« Dans les revues. M.
Emile Faguet et Mirabeau »,
in
Les Nouvelles, n°1532,
5 juin 1913
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