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ISSN 2496-9346

samedi 15 avril 2023

Henri Strentz, La machine suprême (1936) 3/3

 Henri Strentz (voir sa page Wikipedia) est un polygraphe qui a écrit une nouvelle relevant de la science-fiction. Dans La machine suprême il imagine un dispositif tout à fait merveilleux-scientifique! ArchéoSF la publie en trois épisodes. Lire le premier épisode , lire le second épisode.

 


A ce moment et à plusieurs reprises, on frappa à sa porte. Enfin, celle-ci s'ouvrit et livra passage à un jeune homme en habit de soirée.

— B'jour, mon oncle ! s'écria le nouveau venu en jetant un regard circulaire dans la chambre.

Pas de réponse.

— T'as tort de laisser ta clef sur la porte ; il t'arrivera quelque chose de désagréable.

Même silence.

— Mon oncle, s'étonna l'intrus en découvrant le physicien, tu t'es harnaché ! Tu as tout à fait l'air d'un scaphandrier !

Bien qu'habitué à ses fantaisies, jamais il n'avait surpris son parent dans un tel appareil et absorbé de la sorte. Dormait-il ? Etait-il tombé en catalepsie ?

— Une explosion ne le dérangerait pas... Ah ! ces savants !... Que vois-je ? Tu as mis ta redingote ! Ta cravate blanche ! Où donc vas-tu ? Te marier ?... Voyons, réponds-moi ? Es-tu dans la lune ?... Ah ! les palmes ! Mon oncle est palmé ! Elle est bien bonne !... Pas de blague : tu n'es pas mort, hein ?

Et il appliqua son oreille contre le dos du physicien.

— Non, le cœur bat... Sacré tonton !... Mon oncle, écoute-moi si tu ne veux pas me répondre. Peut-être te montreras-tu moins indifférent. Voilà : la nuit est en folie, la plus belle des maîtresses m'attend dans un taxi au bout de la rue et je n'ai plus un maravédis... Tu es mon seul espoir !

Il vit alors la main du savant tourner le commutateur sur lequel elle était arrêtée, puis disparaître, en même temps que la manche de sa redingote retombait vide de son bras et que tous ses vêtements se dégonflaient de leur contenu. Ça, c'est raide ! s'exclama le neveu au comble de la stupéfaction.

 

A peine dix secondes s'étaient écoulées depuis que le corps de Stanislas Bardanne avait rejoint ses sens au seuil de la clairière indoue, quand, après constaté, dans un éblouissement de légitime fierté, que sa substance véhiculée à travers l'espace, atome par atome, puis rassemblée, avait, suivant ses prévisions, rétabli ses formes humaines, le savant éprouva une grande angoisse.

— J'ai fait un quart de tour de trop, tout y a passé ; me voilà joli ! J'aurais dû, au moins, en laisser une, là-bas, pour assurer, mon retour, se murmura-t-il en regardant ses mains.

Stanislas Bardanne, nu comme un ver, ayant perdu contact avec sa machine, conjecturait, effaré, que les atomes qui le constituaient se trouvaient ainsi dans l'impossibilité de rejoindre leur point de départ. Il avait pensé à tout, sauf à cela.

Il ne bougeait pas, dans la crainte de sortir de la zone des courants peut-être encore capables d'assurer son retour. Involontairement, il se mit à sourire en imaginant la tête que feraient ses collègues lorsqu'ils apprendraient sa disparition et qu'on avait trouvé ses habits soutenus par une armature et enchaînés à une machine bizarre.

Soudain, il entendit, très proche, un rugissement qu'il reconnut pour être celui du tigre.

— Il ne manquait plus que cela ! soupira-t-il en songeant avec amertume que sa vie, son secret et sa gloire allaient probablement finir dans l'estomac d'une bête féroce.

 

— Mon oncle ! Mon oncle ! Où es-tu ? lamentait son neveu à l'autre bout du inonde. Je n'ai tout de même pas la berlue : il était là, il n'y est plus !

Il en demeurait tout anéanti, quand, sous ses mains, il sentit la redingote du savant se remplir subitement d'un corps.

— Oh ! Tu m'as fait peur ! s'écria-t-il avec un accent de surprise joyeuse.

—- Qu'est-ce qu'il y a ? fit tranquillement Stanislas Bardanne après avoir enlevé son casque et en tournant la tête vers lui.

— Il y a... il y a que tout cela c'est trop fort pour moi, répondit le neveu de plus en plus ébaubi.

— Ah ! c'est toi !

— Oui, et pardonne-moi d'être entré ici sans ta permission.

— Ta visite m'enchante, mon ami.

— C'est bien la première fois... Mais, dis-moi, il y a un instant… tu n'étais pas là ?... Tu faisais... sans doute... ton petit tour ?

— Oui, je faisais mon petit tour, acquiesça le savant avec un sourire bonhomme.

Cependant, si le neveu se contentait de savoir son oncle un peu sorcier pour ne pas chercher à comprendre ce qui s'était passé, ce dernier, habitué à remonter sans cesse de l'effet à la cause, se montrait plus curieux.

— Voyons : est-ce toi qui as touché à cela ? demanda-t-il au jeune homme en lui désignant une des manettes. Et surtout ne réponds pas uniquement pour dire quelque chose.

— C'est possible : en m'approchant de toi, tout à l'heure, j'ai peut-être bien heurté un de ces machins-là.

— Alors, sans le vouloir, tu m'as rendu un fier service ? Tiens, voilà cent francs pour faire la fête : car j'imagine que tu n'es pas plus riche qu'à ta dernière visite.

Comme l'intrus manifestait maintenant son désir d'en savoir davantage :

— Va retrouver ta belle, lui intima son oncle en le poussant vers la porte ; je t'expliquerai ça un jour que les minutes te seront moins précieuses.

Et le neveu s'en fut, laissant son oncle qui, après avoir béni le hasard providentiel de cette visite, se promit d'user désormais de sa machine avec plus de circonspection et de prendre soin de préparer, à l'endroit où il voudrait aller « faire un petit tour », des vêtements, ainsi que des provisions et des armes.

— Tout est utile dans la vie, même les neveux qui ne sont bons à rien, murmura Stanislas Bardanne.

Puis il bourra sa pipe de « caporal », l'alluma et se mit à la fumer lentement, afin d'envisager de sang-froid ce qu'il lui restait à accomplir.

FIN

Henri Strentz

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