Un petit texte évoquant Londres en l'an 2000 par Clément Vautel (1927)
MON FILM
Un visionnaire
américain — qui doit avoir beaucoup lu les romans de Wells —
vient de répondre à cette question, que personne ne lui avait
d'ailleurs posée : « Que sera Londres en l'an 2000 ? »
A l'en croire, la
métropole britannique comptera, à la fin de ce siècle, une
vingtaine de millions d'habitants. Et, cependant, on n'y verra plus
une seule maison : à part quelques édifices historiques conservés
à titre de souvenirs archéologiques, Londres sera devenu un immense
parc.
Où seront les
Londoniens ? Dans le sous-sol. Transformés en termites, ils vivront
dans une immense fourmilière, parfaitement aérée, éclairée a
giorno et pourvue d'un chauffage d'autant plus central qu'il sera
fourni par le centre de la terre. Grâce à des ascenseurs
probablement nombreux, les vingt millions de citadins pourront, leur
tâche quotidienne terminée, aller prendre le frais dans le square
d'en haut. Et rien ne sera pratique comme d'habiter au trente-sixième
au-dessous de l'entresol, quand les sirènes d'alarme annonceront la
prochaine arrivée des avions ennemis. Mais les offensives futures
seront, sans doute, souterraines aussi, et les combats de nègres
dans un tunnel passeront du
répertoire de Jules Moy au programme de l'Ecole supérieure de guerre.
répertoire de Jules Moy au programme de l'Ecole supérieure de guerre.
Ainsi, pour le
prophète transatlantique, l'avenir de notre civilisation n'est pas
sur l'eau ou en l'air, mais dans le royaume des taupes : les grandes
cités de l'an 2000 seront des manières de catacombes surencombrées.
Mais on peut tout
aussi bien prédire le contraire, et peut-être plus logiquement.
Bien que n'étant ni
Américain ni visionnaire, je vous annonce donc que le siècle
finissant assistera à la décadence de Londres, de Paris, de Berlin,
de New-York. Les tentacules de ces cités monstrueuses seront
atrophiés, il y aura partout d'innombrables logements à louer,
l'herbe croîtra entre les pavés des rues aujourd'hui les plus
embouteillées.
En effet, les
perfectionnements prodigieux des moyens de transport auront créé un
état d'esprit nouveau chez les civilisés, qui ne consentiront plus
à s'enfermer dans des villes-prisons.
Pouvant parcourir
les plus grandes distances en très peu de temps, ils auront de moins
en moins besoin, pour leurs affaires ou leurs plaisirs, de vivre en
tas : la T. S. F., la transmission instantanée des images, d'autres
inventions encore, leur permettront d'habiter la campagne sans s'y
sentir seuls. Au fait, ne voyons-nous pas déjà les banlieues se
peupler au détriment des centres des villes, où les
bureaux remplacent les foyers ? Dans cinquante ans, les « banlieusards » rentreront, le soir, en Bretagne, en Auvergne, en Savoie, peut-être même aux colonies, et leur avion arrivera plus vite à destination que le train de Bécon-les-Bruyères.
bureaux remplacent les foyers ? Dans cinquante ans, les « banlieusards » rentreront, le soir, en Bretagne, en Auvergne, en Savoie, peut-être même aux colonies, et leur avion arrivera plus vite à destination que le train de Bécon-les-Bruyères.
Bref, les grandes
villes, qui menaçaient de tout absorber, seront victimes de leur
propre fille, la civilisation : l'homme de l'avenir pensera avec
pitié à ces lugubres entassements de pierres où grouillaient ses
aïeux, et il bénira un progrès qui lui aura donné l'air, la
lumière et la liberté
Clément Vautel,
« Mon film » (Chronique), in Le Journal n° 12785
daté du 19 octobre 1927.
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