ISSN

ISSN 2496-9346

jeudi 5 octobre 2017

Gabriel de Rarécourt de la Vallée marquis de Pimodan, Nihilisme (1898)

Pimodan a signé dans Les Sonnets de Pimodan (1898) quelques textes à tendance conjecturale. Nous avons déjà présenté Dernier Sélénite. Dans la partie "Nihilisme (songe en train rapide)" qui comprend sept sonnets nous revenons sur Terre avec le songe d'une révolution "rouge" qui n'est guère du goût du très catholique conservateur marquis de Pimodan. Nous livrons l'ensemble ci-dessous.






Nihilisme

I

L'AIGUILLEUR

Si rapide qu'il laisse aux rails une brûlure,
Si pesant qu'il étonne encore l'aiguilleur,
Comme un tonnerre humain, vers un climat meilleur,
Le train de luxe roule à sa plus grande allure.

De ces riches combien valent, en leur enflure
De basse vanité, le pauvre travailleur
Raidi sur le quai sombre, immobile veilleur,
Aux rafales de l'Est mêlant sa chevelure ?
C'est la nuit. L'homme est là docile mais rêvant,
Sous la blouse creusée aux morsures du vent,
Que « le grand soir » des revanches viendra peut-être,

Le soir rouge, le soir du dernier « ça ira »,
Où l'on ne pourra plus dire le nom d'un maître,
Où l'express monstrueux, culbuté, périra.

II

APRES « LE GRAND SOIR »

Quand rien ne sera plus des sociétés pourries
Où nous agonisons ; quand on aura brûlé,
Depuis les parlements jusqu'aux gendarmeries,
Tout l'édifice ancien chaque jour ébranlé ;

Quand des « Princes » iront parmi les railleries,
Tendant la main, couchant sous un pont écroulé ;
Quand on verra « Crésus », employé des voiries,
Parmi les balayeurs être immatriculé ;
Quand, du lointain Oural aux flots de l'Atlantique,
Il ne restera rien, rien de l'Europe antique,
Rien des trônes, et des pouvoirs, et des autels,

Les hommes n'auront pas rapproché de leurs lèvres
La coupe du bonheur, où se calment les fièvres,
Et souffriront toujours de leurs maux immortels.

III

LE BON CHIMISTE

La vieille humanité, lasse de l'échéant,
Alors, proclamera l'inanité de vivre,
Le recul éternel du bonheur à poursuivre ;
Et cette ultime foi sera sans mécréant.

Un chimiste, penché vers l'abîme béant,
Trouvera l'explosif devant fermer le livre
De nos destins vaincus par la Mort qui délivre,
Pour rouler notre race au Linceul du Néant.

Possédant le suprême et dernier magistère,
Un chimiste, pontife adoré de la Terre,
Presque dieu, sous un dôme immense en dur métal,

Un chimiste très doux, pitoyable et lyrique,
Pour briser la planète en terminant le mal,
Allumera du doigt l'étincelle électrique.

IV

LA DESTRUCTION DE LA TERRE

Oh ! la terre brisée ainsi qu'un projectile
Eclate ; le malheur fini, le vieux destin
Vaincu !,.. Plus un poisson nageant, plus un reptile
Rampant, plus un oiseau chantant au gai matin !

Plus rien qui souffre accablé par le sort hostile...
Mais le repos conquis, immuable, certain,
Sans possibilité de l'heure versatile,
Où reviendrait la vie en un éveil lointain.

Quel rêve!... le Bouddha futur devant renaître
Pour terminer son oeuvre enfin, sera peut-être
Le chimiste attendu, béni, sollicité,

Qui, dédaignant palais, villes ou capitales,
Livrera d'un seul coup le inonde aux morts brutales
Et si douces pourtant d'instantanéité.

V

LES AUTRES MONDES

Mais si là haut vraiment, sur les sphères lointaines
Qui vers notre soleil tournent leurs horizons,
Des êtres ont aussi dans leurs âmes hautaines
L'horreur de l'éternel vouloir des floraisons,

Des parfums emplissant les victoires certaines
De l'invincible avril, athlète des saisons,
De l'eau coulant toujours aux pierres des fontaines
Pour la coupe des maux qu'en vain nous épuisons;

Si là-haut, connue nous, d'autres sous leurs tortures
Succombent, trop martyrs, au fardeau de Natures
Différentes mais non moins cruelles... Alors...

Alors, de monde en monde effarant les espaces,
Qui saura, projetant la douceur de ses grâces,
Universaliser le saint repos des morts ?

VI

LA MORT UNIVERSELLE

La mort à notre globe, aux planètes solaires,
Aux univers connus, est-ce la fin des maux,
Si dans les vagues cieux, plus loin que les Polaires,
D'autres humanités ont d'éternels rameaux ?

Si des êtres pensants, aux affres similaires,
Par des villes, des bourgs, des cités, des hameaux,
Fixant l'autre côté de nos caniculaires
Tordent leurs bras plus loin que l'Ourse ou les Gémeaux ?

Plus loin, toujours plus loin... Il faut détruire encore,
Anéantir jusqu'au vagabond météore
Qui pourrait devenir un monde en cent mille ans...

Et cela fait... cela ne sera rien peut-être,
Si les décilions de siècles voient renaître,
Un jour maudit, le mal que nous portons aux flancs.

VII

INUTILITE

Ah! nul exacerbant les forces du génie
Dans la sainte pitié faisant craquer son front,
Nul ne saura finir l'éternelle agonie,
Où toujours et toujours des êtres souffriront...

Nul ne diminuera la misère infinie..,
Et, quand les poursuiveurs d'impossible croiront
Enlever un rameau de l'arbre tyrannie,
Ils n'en verront pas dix verdir sur le vieux tronc !...

Puis, songe plus affreux et futur plus horrible !
L'âme traverserait ces affres comme un crible,
Si l'on pouvait trouver le suprême explosif...

— Et voilà ce qu'au coin d'un wagon de première,
Ayant voilé le globe où vibrait la lumière,
O mon frère aiguilleur ! rêvait ton frère oisif !





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire