Dans "Les bibliothèques de l'avenir", Octave Uzanne imagine la fin de la bibliophilie et l'avènement de l'ère de la documentation ( à l'instar des réflexions de Paul Otlet) avec des possibilités de consultation de catalogue de bibliothèques à distance et d'abonnement à une forme de mise en commun d'une bibliothèque collective:
" Mais, comme la curiosité, la science, l'amour de l'étude, la passion des écritures d'art ne perdront pas leurs droits, le lettré du XXe ou XXIe siècle sera abonné à quelque cercle considérable, sorte de Polybilion club, où il aura, a sa convenance, pour lire sur place en de merveilleux salons silencieux – sinon pour emporter domicile –tous les ouvrages dont ces index auront bien pu lui révéler l'existence. Ces polybiblion clubs seront constitués aisément au capital de deux ou trois mille sociétaires, lesquels, par esprit de tranquillité et aussi d'économie, ne trouveront pas excessif de verser, comme cotisation annuelle à ces bibliophilic clubs un millier de francs, afin de constituer à cette maison de science une rente générale de 2 à 3 millions nécessaires à l'achat et à l'entretien des livres et au train des conservateurs. On peut concevoir aisément quel allégement ce sera pour les bibliophiles que d'être relevés du souci d'entretenir une grande bibliothèque. Ils obtiendront téléphoniquement de leur club des renseignements et des assurances d'envois de livres, et ils ne conserveront à leur disposition, en une seule armoire, que le matériel nécessaire a. l'aiguillage de leur intelligence sur toutes les voies possibles de la littérature, de l'histoire, de la science, de la théologie et des voyage."
Couverture de la Revue franco-allemande de février 1901 (source Gallica).
Ce texte, s'il est sans doute resté confidentiel à l'époque, marque une étape importante dans la prémonition du monde à venir et est contemporain des réflexions de Paul Otlet sur l'avenir du livre. Il fit tout de même l'objet d'une recension dans La Revue universelle en 1901 (à lire sur ArchéoSF).
Si la date de 1901 est sans cesse répétée, elle n'en est pas moins erronée. En fait, le texte a d'abord été publié sous le titre "Nos livres devant la postérité" avec le sous-titre "Les bibliothèques de l'avenir" (qui devient ensuite le titre de l'article pour l'édition de 1901 et toutes les reprises que l'on peut trouver ensuite, y compris lorsque ce texte est cité notamment par les amateurs de science fiction et d'anticipation anciennes et les chercheurs en sciences de l'information et de la communication. La Revue biblio-iconographique accueille ce texte en deux livraisons (numéros de janvier et février 1897).
Couverture de la Revue biblio-iconographique,
n° 1, 4ème année, 3ème série, janvier 1897 (source Gallica).
Couverture de la Revue biblio-iconographique,
Début de la seconde livraison (suite et fin) (février 1897)
Le texte se situe donc chronologiquement bien plus près de la nouvelle "La fin des livres" (publiée en 1894 dans le Scribner's Magazine, sous le titre "The End of books" et recueillie dans le volume Contes pour les bibliophiles, éditions ancienne maison Quantin, May et Motteroz éditeurs, 1895, illustré par Albert Robida et réédité chez publie.net) et du dossier "La bibliophilie moderne, ses origines, ses étapes, ses formes actuelles" publié dans la Revue Encyclopédique n°133 en 1896 (que l'on peut lire sur le site de l'Amicale des Amateurs des Nids à Poussière).
Il n'y a donc pas de pause dans les réflexions sur l'avenir du livre et de la bibliophilie de la part d'Octave Uzanne et l'on peut lire, dans cette chronologie rétablie, les trois textes comme un ensemble. Il est intéressant qu'il se situe dans le même cadre que Paul Otlet et Henri La Fontaine (qui fondent en 1895 l'Office international de bibliographie), même si ces derniers n'usent guère de la fiction (encore que Paul Otlet ne dédaigne pas l'anticipation et la prospective). Le livre est encombrant, le nombre d'ouvrages au XIXe siècle est en augmentation constante (une forme d'inflation documentaire à laquelle les documentalistes de l'époque sont sensibles) et ce qui compte est moins de les posséder que de savoir où et comment les consulter. De plus le livre se retrouve concurrencé par d'autres médias (Uzanne et Robida évoquent par exemple le phonographe.
Ces questions sont toujours d'actualité à plus d'un siècle de distance...
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