En 1932, Francisque Gay fonde L'Aube, journal défendant la démocratie chrétienne et le catholicisme social dans la mouvance de la CFTC.
Jean Morienval, journaliste, signe dans ce périodique des critiques dramatiques et littéraires. Dans le numéro du 4 juin 1932 la chronique "Le petit Jacques de l'an 2.000" dans la rubrique "Aubades". Il y imagine le destin d'un enfant né en 1931 et qui a donc toutes les chances de connaître l'an deux mille.
Aubades
Le
petit Jacques de l’an 2.000
Jacques est né l’année dernière, l’une de ses sœurs, beaucoup plus vieille de six ou sept ans, s’est avisée, car l'imagination des enfants galope, qu’il n'atteindrait point la vieillesse avant la fin de ce siècle.
— Jacques verra l’An Deux mille s’est-elle exclamée; et elle a porté à tous la bonne nouvelle.
Ainsi l'an 2000 reste en attribut au petit Jacques. C’est la première tentative des générations du siècle nouveau pour s'approcher de cette étape millénaire, lointaine encore que beaucoup parmi les plus jeunes vivants ne l’atteindront pas plus que nous-mêmes, d’ores et déjà désintéressés de la question.
L’An Deux mille ! Rien qu’à cette évocation, les imaginations travaillent. Jadis, on y plaçait l’impossible, ou ce que l'on croyait tel, et qui parfois s’est réalisé. Mais rapproché tout près, l’An Deux mille ne promettra plus que ce que l’on sera à deux doigts de réaliser. C’est d'autre chose qu’on l’enjolivera, et je prévois que les hommes d'alors désireront les fêtes d'une ampleur encore inconnue...
Certes, ce sera un haut plateau pour jeter un regard sur l’histoire du monde, que cet An Deux mille. Les philosophies s’affronteront, audacieuses et grandiloquentes. Les sciences établiront des bilans triomphants. Les hommes se féliciteront d'une étape de civilisation qui laissera loin derrière elle les arriérés du dix-neuvième siècle et des trois premiers quarts du vingtième. Au fond, prestige du millénaire à part, tout se passera à peu près comme en 1900.
Le 25 décembre 1999, la Noël sera émue et joyeuse pour tous les chrétiens de l’Univers. Combien y aura-t-il alors de chrétiens ? Nous ne savons pas. Peut-être beaucoup plus qu’aujourd’hui...
Au siècle dernier, c était assez la mode de prophétiser une rapide fin du monde. Assurément, nos pères imaginaient difficilement qu'il pût y avoir encore une Terre avec un an 2000.
Bien sûr, je n'ai pas la prétention d'affirmer le contraire. Nous n’en savons rien. Le petit Jacques, au lieu de l’An Deux mille, verra peut-être la fin du monde. Il serait téméraire, et niais, que l’homme prétendit décider, de sa propre autorité, la continuation des temps...
Tout porte à croire cependant que la mesure des siècles n’est pas si étroite qu’on a pensé le voir. Voyez avec quelle lenteur relative le christianisme, qui est une œuvre de profondeur, s'est développé à la surface de la Terre. Notre courte vie s’étonne de ces patientes étapes ; nous voudrions tout faire d’un coup. Une sagesse plus haute na point de ces impatiences. Ce n'est que quinze cents ans après le Christ qu’on a découvert l'Amérique. L’inventaire du globe est tout juste terminé. En sourira qui voudra ; pour nous, il y a là des indices que les desseins providentiels sont autrement larges qu’il a pu paraître...
Et c’est pourquoi, dans l’histoire du monde, l’An Deux mille ne semblera peut-être encore qu’un commencement, ou bien près...
Jean Morienval, "Le petit Jacques de l'an 2.000", in L'Aube, 4 juin 1932.
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