Détail de la couverture de Challenge du 06/01/2022 |
En 1923, dans Le Figaro, Maurice Bourgeois reprend plusieurs réponses à une enquête, dessinant le monde cent ans plus tard, publiée dans la presse américaine.
Ces prédictions se révèlent en 2022 pour le moins hasardeuses... Ainsi le producteur DW Griffith voit le livre remplacé par les films, reprenant un trope que l'on retrouve dans les textes de l'anthologie La Fin du livre. Il n'en finit pas de mourir (1841-1930) du remplacement de l'imprimé, le journaliste, critique et satiriste HL Mencken affirme que les Etats-Unis seront redevenus une colonie britannique et s'avance sur la postérité de deux auteurs (l'avenir lui a entièrement donné tort). Finalement c'est John S. Summer, secrétaire de la très puritaine "société pour la suppression du vice" qui est le plus clairvoyant en affirmant que la nature humaine n'aura guère changé d'ici un siècle...
Le monde en l'an 2022
« Anticipations » américaines
Plusieurs Américains notoires, en réponse à une enquête, viennent de faire connaître comment ils conçoivent, l'état de la civilisation dans cent ans d'ici. David Wart [sic pour « Wark »] Griffith, le célèbre producer de cinéma, considère qu'en 2022 la grande industrie de l'édition publiera des films au lieu de livres. Les bibliothèques de films seront aussi répandues que le sont aujourd'hui les bibliothèques particulières — peut-être encore plus. Le théâtre sera à ces bibliothèques ce que la représentation d'une pièce est aujourd'hui à son texte imprimé. Mais le cinéma dépassera de beaucoup le théâtre en importance et en variété ; il atteindra un public beaucoup plus vaste, surtout -s'il soigne la présentation artistique. Le phonographe aura reçu des perfectionnements importants ; mais, dans l'ensemble, le monde s'intéressera, moins aux mots qu'aux images. Celles-ci seront en couleurs naturelles. Quant aux théàtres, ils seront spécialisés ; chacun d'eux aura un public particulier.
M. John S. Sumner, le secrétaire de la Société new-yorkaise « pour la suppression du vice » — organisation de puritanisme moralisateur et antipornographique — déclare que la nécessité d'un contrôle des mœurs, est reconnue « depuis Louis XIV ». M. Summer ne croit pas que la nature humaine puisse tellement changer en cent ans qu'il n'y ait plus, en 2022, de gens dont le méfier consiste à tirer un profit commercial des faiblesses de leur prochain. La société « pour la suppression du vice » — ou une autre du même genre — continuera donc à fonctionner. Mais M. Sumner ne pense pas qu'il existera en 2022, aux Etats-Unis, une censure des livres, ni même une censure officielle du théâtre.
Le spirituel critique Henry Louis Mencken n'est pas moins net dans ses pronostics : « Dans cent ans, annonce-t-il, les Etats-Unis seront une colonie britannique. Ils serviront principalement, à fournir des imbéciles pour lire les romans anglais en vogue, et une docile chair à canon pour l'armée britannique.
Je crois que la prohibition sera abolie et rétablie plusieurs fois d'ici à 2022. Il y aura des périodes de prohibition et de soulographie en grand — comme maintenant — et des périodes de liberté accompagnée de tempérance. A quoi en sera ce flux et ce reflux en 2022, j'hésite à le prédire.
La personnalité américaine, que les historiens anglo-américains se plairont le plus à discuter en 2022 sera Woodrow Wilson, le premier président du Conseil des Colonies Unies d'Amérique.
Le plus grand auteur américain vivant est le Dr Frank Crane. On se souviendra de lui bien longtemps après que Walt Whitman aura été oublié. »
Mais ce que M Mencken omet de dire, c'est qu'on oubliera encore moins… M. Mencken lui-même : un tel homme ne saurait mourir, et l’on peut être sûr qu'en 2022, « l'enfant terrible de la littérature américaine » continuera ses prophéties mémorables...
Maurice
Bourgeois, « Le monde en l’an 2022 ‘Anticipations’ américaines »,
in Le Figaro, 22 mars 1923.
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