Ce qu'on traitait hier de chimère et d'audace / Sera réalité demain.
LA
PIOCHEUSE
A
VAPEUR.
Le
laboureur,
un
jour,
brisé
dans
son
courage,
Étancha
la
sueur
qui
baignait
son
visage;
Et,
jetant
l'aiguillon
lassé,
Il
mesura
de
l'œil
l'horizon
sans
limite,
Et
s'assit
tristement
sur
l'herbe
parasite,
Au
bord
du
sillon
délaissé.
«
Seigneur!
mon
bras
est
faible
et
la
tâche
est
immense, »
Dit-il.
«
A
chaque
pas
le
sillon
recommence!
«
A
chaque
jour
nouveau
labeur!
«
Le
soc
heurté
se
brise
aux
roches
de
la
plaine;
«
Sous
leur
joug
ruisselant
mes
chevaux
hors
d'haleine
«
Se
penchent,
mornes,
sans
vigueur.
«
Bien
rude
est
le
métier
auquel
on
nous
condamne!
«
Ce
pain
que,
par
nos
bras,
tu
fais
tomber
en
manne,
«
Pour
nous,
Seigneur,
est
incertain.
« Sur
nous
seuls
des
travaux
le
poids
toujours
retombe.
«
Nous
passons
notre
vie
à
creuser
une
tombe
« Devant
la
porte
du
festin
!
»
Il
disait;
et,
vers
lui
poussant
sa
marche
ardente,
Léviathan
de
l'art,
un
monstre
à
voix
stridente
Vient
poser
sa
masse
de
fer.
D'une
quadruple
roue
il
écrasait
la
terre;
Et
ses
naseaux
fumants,
comme
un
rouge
cratère,
Lançaient
la
vapeur
et
l'éclair.
Cyclope
infatigable
en
ses
forces
accrues,
Du
sol
le
plus
rebelle
au
tranchant
des
charrues
Il
s'emparait
en
souverain.
Les
tronçons
enfouis
des
forêts
défrichées,
Les
roches,
de
leur
lit
à
regret
arrachées,
Cédaient
à
sa
griffe
d'airain.
De
cent
hommes
ensemble
il
achevait
la
tâche.
Il
cardait
le
sillon
qu'il
fouillait
sans
relâche,
Mordant
la
terre
à
pleine
dent,
Stigmatisant
au
sein
cette
ingrate
nourrice,
Comme
s'il
eût
voulu,
dans
son
puissant
caprice,
S'en
venger
en
la
fécondant.
—
Jeunes
encor,
pourtant
d'apparence
débiles,
Pâlis
par
l'air
malsain
que
respirent
les
villes,
Par
les
soucis,
par
le
travail,
Deux
hommes,
les
bras
nus,
les
mains
noires
de
poudre,
Comme
pour
enseigner
son
chemin
à
la
foudre,
Veillaient
debout
au
gouvernail.
Et,
comme
l'éléphant
courbé
devant
son
maître,
Jalouse
de
leur
plaire
et
prompte
à
se
soumettre
Au
doigt
invisible
et
fatal,
Gonflant
et
dégonflant
sa
puissante
narine,
Tour
à
tour
bélier,
flèche,
ou
serpent,
la
machine
Obéissait
à
leur
signal.
Voyant
l'homme
muet,
de
son
regard
austère
Sonder
les
profondeurs
d'un
terrible
mystère
Dans
le
sombre
avenir
caché:
«
— Frère
lui
dirent-ils,
ta
misère
s'achève!
«
Sous
des
dieux
inconnus
un
autre
jour
se
lève
«
Pour
l'homme
à
la
glèbe
arraché.
«
Accepte
les
effets
sans
connaître
les
causes.
«
Nous
avons
travaillé
pour
que
tu
te
reposes
;
«
Au
joug
nous
venons
te
ravir.
«
La
Science
affranchit
l'homme
de
la
matière.
«
Et
la
matière,
bois,
métal,
vapeur
ou
pierre,
«
Est
l'esclave
qui
doit
servir!
«
Les
éléments,
pliés
aux
lois
de
la
Science,
«
Ne
sauraient
déranger
la
magique
alliance
«
Qu'elle
les
force
à
contracter
:
«
Le
foyer
donne
à
l'air
ses
gerbes
d'étincelles;
«
L'onde
sa
liberté;
l'éclair
donne
ses
ailes
;
«
Le
fer,
un
frein
pour
les
dompter.
«
Point
de
rébellion
dans
l'ignorante
plèbe!
«
L'activité
de
l'homme
enlevée
à
la
glèbe
«
Vers
d'autres
buts
va
prendre
essor.
«
Le
bien-être
de
tous
est
au
fond
du
problème.
«
Pour
qui
doit
travailler
et
vivre
de
soi-même
«
Assez
de
maux
restent
encor.
«
Le
jour
vient,
il
est
proche!
où
l'antique
routine
«
Doit
céder
en
tous
lieux
la
place
à
la
Machine,
«
Servante
de
l'humanité;
«
Où
la
Machine,
aux
champs
par
elle
mis
en
friche,
«
Sèmera;
de
surcroît,
en
le
faisant
plus
riche,
«
Le
grain
qu'elle
aura
récolté.
«
La
Science
résout
tout
problème
en
sa
route.
«
Qu'importe
qu'elle
trouve
et
l'injure
et
le
doute,
«
Et
le
mépris
sur
son
chemin
!
«
A
toute
vérité
le
temps
garde
sa
place.
«
Ce
qu'on
traitait
hier
de
chimère
et
d'audace
«
Sera
réalité
demain.
«
Marchez,
savants,
marchez!
à
vous
enfin
le
monde!
«
La
distance
vaincue,
il
faut
qu'on
la
féconde!
«
Donnons
aux
Landes
des
fermiers
!
«
Il
est,
au
mont
Atlas,
une
terre
française
«
Où
le
vent
du
désert
souffle
encor
trop
à
l'aise.
«
Qu'on
y
bâtisse
des
greniers!
«
Des
wagons,
par
milliers,
sur
nos
routes
nouvelles,
«
Se
croisent
en
réseaux
;
-
qu'ils
portent
des
javelles
«
Au
lieu
de
porter
des
soldats!
«
Taillons
dans
l'horizon
nos
champs
après
nos
rues!
«
A
tes
Cincinnatus,
France,
il
faut
des
charrues
«
A
la
mesure
de
leurs
bras!
«
Il faut à nos enfants des gerbes plus nombreuses
«
Pour vaincre le fléau des misères haineuses;
«
Car la faim a son aiguillon.
«
Il faut que l'avenir, issu de nos prodiges,
«
Sous la poudre des temps retrouvant nos vestiges,
«
Connaisse le peuple au sillon! »
Le
vieillard écoutait; mais son âme incertaine
Devait
longtemps encor traîner la lourde chaîne
D'un
passé fécond en douleurs.
Il
s'éloigna, semblable à l'homme qui s'éveille,
Et
croyant, entendre à son oreille
L'Evangile
des jours meilleurs
Ferme
de L'Epine 1856.
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