Clément Vautel a écrit de nombreuses nouvelles, souvent humoristiques, relevant de la conjecture rationnelle.
Quand Jacques Cervière lui demande en 1929 « Comment voyez-vous Paris dans 50 ans?» , voici ce qu'imagine Clément Vautel:
Notre confrère
Jacques Cervière du Petit Journal, me pose cette question :
« Comment
voyez-vous Paris dans 50 ans ? »
- Belle occasion de
nous livrer au jeu des anticipations à la Robida et à la Wells.
Imaginons un Paris hérissé de gratte-ciel qu'unissent des
passerelles vertigineuses et que survolent des nuées d'aérocars. Il
y a aussi un Paris souterrain où les besognes utilitaires
s'accomplissent dans de vastes usines : c'est là, par exemple, que
se prépare, selon la loi du communisme scientifique, la nourriture —
tant de calories par tête du troupeau des administrés.
Quelques monuments
du passé ont été conservés au milieu de squares, immenses où la
mort du dernier moineau a suivi de près la disparition, du dernier
cheval.
Mais, en un
demi-siècle, Paris ne peut se transformer aussi radicalement, même
si notre progrès met les bouchées doubles ou triples.
En 1979, la
Ville-Lumière aura sans doute, dans l'ensemble, un aspect extérieur
assez peu différent de celui qu'elle offre aujourd'hui.
Elle se sera étendue
vers l'ouest, et le rond-point, des Bergères, à Courbevoie, sera ce
qu'est aujourd'hui la place de l'Etoile.. Celle-ci ressemblera à
l'actuelle place de l'Opéra. Le Soldat inconnu, ne pouvant reposer
au milieu d'un carrefour entouré de cafés, de théâtres, de grands
magasins, se sera réfugié aux Invalides : espérons qu'aucune «
dernière guerre » ne lui aura fourni l'occasion d'être moins seul.
Le centre de Paris
sera, comme la Cité de Londres, composé exclusivement d'immeubles
commerciaux. Partout des buildings, des banques ! Les bureaux
américains et les coffres-forts auront définitivement remplacé les
lits où les Parisiens d'autrefois naissaient, aimaient et mouraient.
Paris comptera huit ou dix millions d'habitants, dont cinq cent mille
nègres.
On parlera encore
français sur les bords qu'arrose la Seine, mais, dans certains
quartiers — les plus beaux — tout le monde parlera anglais avec
l'accent américain.
Comment subsistera
cette cité monstrueuse dans un pays où les meilleures terres
resteront en friche ? Je l'ignore.
Paris, avec tout son
luxe, tout son confort raffiné, ne sera même pas assuré de son
pain quotidien, et ce sera la revanche de la nature sur une
civilisation exagérément orgueilleuse et artificielle.
Cçpendant Paris
gardera ses caractéristiques traditionnelles, car les villes ne
changent pas d'âme à travers les révolutions scientifiques ou
politiques : nos petits-neveux seront comme nous capricieux,
fantaisistes, un tantinet frivoles, et la Parisienne n'aura rien
perdu de ce je ne sais quoi qui la rend inimitable.
Tels sont mes
pronostics pour l'an 1979, — mais je répète qu'il faudra,
heureusement, plus d'un demi-siècle pour les réaliser tous.
Qui sait d'ailleurs,
si, d'ici là, nous ne nous dégoûterons pas d'un progrès tout
matériel qui n'ajoute rien à notre bonheur et multiplie les
problèmes sans leur donner jamais des solutions satisfaisantes ? Il
y aura peut-être un revenez-y à la bonne loi naturelle, un dégoût
de la vie trépidante, une résurrection de la vraie sagesse. Même
si c'est peu probable, espérons ce miracle, ne serait-ce que pour,
n'avoir pas trop à plaindre les Parisiens de 1979.
Chronique « Mon
film » du 14 juillet 1929, Le Journal n° 13419
A lire:
Les Nouvelles conjecturales de Clément Vautel dans Galaxies Science Fiction n° 15
La Grève des bourgeois par Clément Vautel
Le Féminisme en 1958 par Clément Vautel
Paris Futurs anthologie de textes consacrée aux Paris du futur imaginés entre 1851 et 1906 version numérique et version papier.
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