En 1860, une adaptation du Napoléon apocryphe de Léon Geoffroy défraya non pas la chronique théâtrale mais la chronique judiciaire. Le pouvoir impérial, celui du Second Empire, censura en effet Le Rêve de l'Empereur de M. Moras qui se retourna contre le directeur du théâtre ayant accepté l'oeuvre quelques années auparavant.
La non-représentation de la pièce, adaptée du Napoléon apocryphe donna lieu à une décision de justice rapportée dans plusieurs journaux.
L'affaire remonte au 15 octobre 1853 comme le rapporte l'Annuaire de la Société des auteurs et compositeurs en 1866 :
M. Moras avait présenté à M. Billion [directeur du théâtre du Cirque [1] ], le 15 octobre 1853, une pièce fantastique en cinq actes et dix-huit tableaux, tirée d'un roman : Napoléon apocryphe, et intitulée : Le Rêve de l'Empereur ; M. Billion l'accepta sous toute réserve. Cette pièce, n'ayant pas été représentée, M. Moras réclamait au directeur 2,500 francs de dommages-intérêts.
Le Tribunal, avant faire droit, renvoya cette affaire devant un arbitre-rapporteur, M. Contat-Desfontaines, ancien directeur du théâtre du Palais-Royal, qui, après avoir donné l'analyse de la pièce, constatait en note que, malgré les nombreuses démarches de M. Moras, la censure avait refusé d'autoriser la représentation du Rêve de l'Empereur.
La presse rapporta l'affaire et le jugement rendu le 15 février 1860 par le Tribunal de commerce de la Seine. On trouve ce jugement dans La Gazette des tribunaux du 20-21 février 1860 ou dans le journal La Presse dont nous reproduisons l'article ci-dessous qui n'hésite pas à convoquer les plus illustres pièces de théâtre:
THEATRE, CENSURE, le Rêve de l'Empereur. - Le Cid a triomphé malgré les persécutions de Richelieu tout-puissant; le Tartufe, malgré la .cabale des dévots de cour; Mahomet (questa bellissima tragedia, comme disait le pape Benoît XIV) malgré Crébillon; le Figaro, malgré Marin et les défenses de Louis XVI; la pièce fantastique intitulée : le Rêve de l'Empereur, en cinq actes et dix-huit tableaux, n'a pas triomphé de la résistance de M. Billion, ancien directeur du Cirque, et du refus de la censure. Avant de se prononcer sur la question, le tribunal de commerce avait renvoyé l'affaire devant M. Contat-Desfontaines, ancien directeur du théâtre du Palais-Royal, bien compétent en pareille; matière, lequel donne, dans son rapport, l'analyse de la pièce en ces termes :
« L'auteur suppose que le Rêve de l'empereur Napoléon Ier a été de fonder une monarchie universelle. Il supprime la retraite de Russie, l'occupation étrangère ; il ajoute de nouvelles victoires imaginaires à celles précédemment remportées par l'empereur, jusqu'au moment où, dans une immense, réunion qu'il suppose avoir lieu au Champ-de-Mars, tous les peuples et les souverains de l'Europe, soumis l'un après l'autre et ralliés à son système, viennent porter à ses pieds un cri de reconnaissance et d'amour. »
L'arbitre constate ensuite que, malgré les nombreuses démarches de M. Moras, la censure a refusé d'autoriser la représentation du Rêve de l'empereur. Elle n'a pas admis sur la scène cette contrefaçon outrée d'un personnage-historique.
Me Maignen,
avocat de M. Moras, a soutenu d'abord que la pièce de son client n'était pas aussi ridicule que M. Billion voulait bien le dire ; que le sujet en avait été tiré d'un roman : Napoléon apocryphe, qui a eu un certain succès et qui a été commenté par un honorable magistrat du tribunal civil de la Seine dont on déplore la perte récente; que M. Billion avait accepté la pièce avec enthousiasme, qu'il fondait sur elle de grandes espérances mais que la pièce n'avait pu être autorisée parce que la commission d'examen ne peut donner son approbation que lorsqu'une pièce est mise à l'étude, et que M. Billion a toujours refusé de mettre à l'étude le Rêve de l'Empereur ; qu'ainsi c'était par le fait de M. Billion que l'autorisation n'avait pas été donnée; et que, par suite, la pièce n'avait pas été jouée.
Me PRUNIER-QUATREMERE, agréé de Billion, répondait que, loin d'avoir reçu la pièce avec enthousiasme, il ne l'avait acceptée que sous réserves parce qu'il jugeait lui-même la pièce impossible et prévoyait le refus de la censure, et pour donner une idée de la pièce, il en fait à son tour une analyse.
«Napoléon Ier s'endort, et, dans son rêve, qui se traduit; par une série de tableaux successifs, il se rend d'abord à Moscou, que les Russes n'incendient pas le moins du monde, s'empare de la ville, et, toujours triomphant, marche sur Saint-Pétersbourg, dont, il s'empare aussi. C'en est fait de la Russie! Ensuite, il fait une descente en Angleterre, bat Wellington à plate couture, détruit Londres et fait disparaître la Grande-Bretagne de la carte du monde. »
Cela suffit, je pense, continue M° Prunier-Quatramère, pour expliquer le refus de la censure d'autoriser la pièce, et par suite sa non-représentation sur le théâtre du Cirque.
Le tribunal a prononcé comme il suit :
« Attendu que la pièce dont Moras est l'auteur n'a été acceptée que sous toute réserve ;
Que cette réserve se référait évidemment à l'autorisation ministérielle qu'il appert des renseignements fournis par l'instruction ordonnée par le tribunal, que la censure était décidée à la refuser ;
Qu'en fait, elle n'a jamais été obtenue;
Que dans cette circonstance l'acceptation sous réserves de Billion n'a pu former, un contrat en présence du refus de l'autorité compétente ;
Par ces motifs, Déclare Moras mal fondé dans sa demande, l'en déboute, et le condamne aux dépens »
Eugène Paignon, « Cours et Tribunaux » (chronique judiciaire) in La Presse, dimanche 26 février 1860.
[1] Le Théâtre Impérial du Cirque a une histoire mouvementée expliquée sur Wikipedia. En 1848 il portait le nom de Théâtre National. "Constant Billon, directeur-propriétaire du théâtre des Funambules l'achète en 1851, rebaptisant la salle « Théâtre impérial du Cirque » le 4 juillet 1853". Le théâtre est détruit en 1862 pour permettre le percement de la Place de la République lors des travaux hausmanniens.Ce théâtre est l'ancêtre du théâtre impérial du Châtelet.
Sources des textes et de l'image: Gallica
Sources des textes et de l'image: Gallica
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