Le
professeur d'histoire Edouard Driault (1864-1947), fondateur de
l’Institut d’études napoléoniennes, a consacré de nombreux
travaux à Napoléon Bonaparte.
La
conclusion de son ouvrage Napoléon en Italie
(collection Etudes Napoléoniennes, éditions Félix Alcan , 1906) a
pour titre « Le Rêve de l'Empereur ». Il
nous représente l'Empereur au Kremlin imaginant un avenir radieux.
Vainqueur
de toute l'Europe continentale, maître de Moscou, il voit enfin avec
précision la réalisation toute proche de son rêve. La Russie sera
obligée bientôt de traiter et de renoncer à toute prétention sur
la péninsule des Balkans; une barrière polonaise, turque et
suédoise l'enfermera, comme jadis au temps des rois, dans ses forêts
du Nord. Qui alors pourra empêcher Napoléon de décider du sort de
la Turquie? Les Turcs se rendent compte qu'après les Russes, ce sera
leur tour; ils s'y résignent déjà; il leur faudra au moins
admettre avec le Grand Empire une alliance étroite qui cachera mal
leur vassalité. Dès 1797, Bonaparte disait à Talleyrand : « C'est
en vain que nous voudrions soutenir l'Empire de Turquie; il tombera
de nos jours ». Il n'a pas changé d'avis depuis; au contraire, les
révolutions qui ont récemment bouleversé la Turquie l'inclinent
encore davantage à la ruine ; et il se rappelle sans doute ce
rapport de Sébastiani, revenant de l'ambassade de Constantinople, en
1808 : « Sultan Mustapha régnant n'a point la lumière de
son prédécesseur et en a toute la faiblesse. Son règne me paraît
devoir amener la fin de cette dynastie; car, si un mouvement
populaire le renversait lui-même et plaçait sur le trône Sultan
Mahmoud son frère, — c'est justement ce qui est arrivé quelques
semaines après, — la Turquie serait gouvernée par un prince
faible, doux et valétudinaire, atteint d'une épilepsie incurable.
La famille des Ottomans est menacée de s'éteindre tout
naturellement. »
Il
sera plus facile encore d'en finir avec l'insurrection d'Espagne,
lorsque toute la Grande Armée, revenue de Moscou, se retournera sur
elle. Dès lors, de Gibraltar au Bosphore, Napoléon disposera de
toutes les côtes de la Méditerranée ; elle sera une mer
française, comme elle était autrefois une mer romaine.
De
l'Italie au centre de cette mer, de Rome au centre de l'Italie,
l'Empereur enfin pourra « fixer les destinées de l'Empire ». Il a
l'intention de laisser à Eugène le gouvernement de l'Italie pendant
une vingtaine d'années, c'est-à-dire jusqu'à ce que le roi de Rome
soit arrivé à l'âge d'homme ; alors sans doute le jeune prince y
fera l'apprentissage du gouvernement de l'Empire. En attendant, il
vivra à Paris, près de son père, qui lui construira au bas de
l'Arc de Triomphe, sur les coteaux qui descendent à la Seine, au
bout de la Voie Glorieuse que Ton tracera de l'est à l'ouest de la
capitale, un palais digne de sa grandeur future. Mais il faudra
marquer, par une cérémonie capable de retenir l'admiration des
hommes et de la postérité, cette organisation suprême du Grand
Empire. Cela est prévu. Regnaud de Saint-Jean-d'Angély disait au
Sénat, en lui présentant le sénatus-consulte du 17 février 1810 :
« Rome remontera plus haut qu'elle n'a jamais été depuis le
dernier des Césars. Elle sera la sœur de la ville chérie de
Napoléon. Il s'abstint, aux premiers jours de sa gloire, d'y
paraître en vainqueur. Il se réserve d'y paraître en père! »
En père du roi de Rome!
Mais
ce sénatus-consulte lui-même est plus précis. Il déclare en son
titre premier qu'après avoir été couronnés dans l'église
Notre-Dame de Paris, les Empereurs seront couronnés dans l'église
Saint-Pierre de Rome, « avant la dixième année de leur
règne » : cela correspond pour Napoléon à Tannée 1812 au
plus
tard. Dès le retour de Russie, il faudra s'en occuper.
L'Empereur
et le roi de Rome au Capitole! Quel spectacle! Ils y annonceront au
monde la grande paix française, féconde en prospérités
séculaires, comme la pax romana des empereurs d'autrefois....
Du
fond du Kremlin, au palais de Catherine II, l'Empereur poursuit son
rêve. Même ce n'est pas un rêve, c'est la réalité de demain; il
la touche; il voit son fils; il le voit à Rome : il y satisfait ses
ambitions et ses affections les plus chères, les seules vraies
passions qu'il ait eues. La conquête est finie. Quel glorieux repos
!
De
hautes flammes le r éveillent en sursaut. Ce sont peut-être
les feux de joie de la Grande Armée, comme à la veille
d'Austerlitz. On accourt, on rappelle; on veut l'emmener, il
résiste ; on l'entralne par force, dans la nuit, parmi les murs
qui croulent. C'est Moscou qui brûle. Le rêve de l'Empereur
s'évanouit dans la fumée.
Edouard Driault, Napoléon en Italie
(collection Etudes Napoléoniennes,
éditions Félix Alcan, 1906)
Image: V , Moscou en feu.
A lire:
Les Autres vies de Napoléon Bonaparte. Uchronies et histoires secrètes, collection ArchéoSF, éditions publie.net, parution le 29 juin 2016. Vous pouvez commander cet ouvrage en cliquant ICI.
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