En 1905, la mutinerie du cuirassé Potemkine, de son nom complet Kniaz Potiomkine Tavritcheski, fait la Une dans la presse mondiale. En France, Léon Bailby imagine même un destin tout à fait autre pour le célèbre cuirassé, nous livrant une véritable anticipation qui pourrait être l'intrigue d'une uchronie !
Celui
qu'on attend
Extrait
d'un manuel d'histoire publié en l'an 2500...
En
cette année 1905, déjà attristée par la guerre russo-japonaise,
un incident inattendu se produisit, qui marqua le début de la
Révolution en Russie.
Un
navire de la flotte russe, le Kniaz-Potemkin, se
mutina tout à coup, et vint faire cause commune avec les grévistes
de la ville; d'Odessa, lesquels, étant pour la plupart israélites
ou Arméniens, s'étaient concertés avec les agitateurs
révolutionnaires pour appuyer la sédition du bâtiment russe.
Après
que le cadavre d'un marin, tué dans la révolte, eut été exposé
en grande pompe à Odessa, des obsèques solennelles lui furent
faites. En même temps, un incendie était allumé par les grévistes,
sur les quais du port, cependant que le Potemkin bombardait la
ville.
L'amiral
Kriéger, commandant la flotte de la mer Noire, essaya, il est vrai,
de réprimer cette scandaleuse mutinerie. II se présenta dans le
port Odessa avec tous les vaisseaux de sa flotte. Mais, soit
défection des troupes régulières, soit manque de décision de
l'autorité, le Potemkin passa devant le front des navires ;
les canonnier s étaient aux pièces ; le chef civil qui
commandait les mutins, avait ordonné le branle-bas de combat. Et
devant l'allure résolue de l'équipage, aucun coup de feu ne fut
tiré par la flotte régulière.
Dès
lors, le Potemkin régna en maître sur la mer
Noire. Soit qu'il abordât dans des ports étrangers, soit qu'il fît
irruption dans les ports russes, il se faisait remettre des vivres,
des munitions, il rançonnait les navires rencontrés, les obligeant
à lui donner toutes leurs provisions de charbon. Il avait d'ailleurs
de larges ressources, deux millions de francs, don d'un gouvernement
étranger.
Le
navire était devenu la terreur de tous les riverains. La Roumanie,
la Bulgarie, et la Turquie avaient donné l'ordre à leurs
fonctionnaires d'obéir aveuglément aux ordres du Potemkin,
lequel, d'ailleurs, étant armé de pièces d'un fort calibre, aurait
pu, en un instant, réduire à la raison les citadelles les mieux
défendues. Les grandes puissances-européennes, terrorisées elles
aussi par l'audace de ces pirates, et craignant des complications,
n'osaient rien faire. La mutinerie durait depuis trois mois, et, en
Russie, la Révolution s'étendait, gagnant le fond des provinces.
Un
jour, les chefs du Potemkin ayant acquis dans leur aventure
plus d'audace et d'habileté, résolurent de sortir de la mer Noire
et d'aller porter ailleurs la dévastation. Le passage des
Dardanelles serait facile puisque la Turquie avait fait connaître
aux mutins que sa flotte n'était pas à craindre, tous ses vaisseaux
étant encloués.
Tout
à coup, dans la nuit du 25. septembre 1905, le matelot qui était de
quart à bord du Potemkin signala
un feu à bâbord qui semblait se déplacer d'une façon anormale.
Les chefs du navire en étaient à peine prévenus, qu'une violente
détonation retentit, que la coque du navire fut éventrée. Et, en
quelques instants, l'énorme bâtiment, qui venait d'être torpillé
s'abîma dans les flots.
Au
grand jour, on n'apercevait plus, à la surface de la mer, que des
épaves, au milieu desquelles naviguait un minuscule, torpilleur qui
portait le pavillon japonais !
On
sut depuis que ce petit bâtiment, déguisé en yacht de plaisance,
avait franchi le canal de Suez, la Méditerranée et les Dardanelles.
Il était envoyé par le mikado, qui, désireux de témoigner de ses
bons sentiments envers la Russie, au moment où la question de paix
était à l'étude, avait ordonné à un de ses navires de faire
cesser une révolte que ni la Russie ni l'Europe ne s'étaient
souciées de maîtriser.
Et,
délivrées ainsi du vaisseau-pirate, grâce aux soins du Japon
magnanime, les grandes puissances désormais commencèrent à
respirer.
Léon
Bailby, « Celui qu'on attend », in La Presse,
72ème année, Nouvelle série, n° 4788, 9 juillet 1905
72ème année, Nouvelle série, n° 4788, 9 juillet 1905
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