Le 16 janvier 1963 mourait Jacques Spitz, auteur de plusieurs ouvrages de science-fiction.
En 1935, lors de la parution de son premier roman L'Agonie du globe, Abel Manouvriez publia cette critique:
M.
Jacques Spitz fait la supposition que voici : à la suite d'une
série de catastrophes, inondations, raz de marée, éruptions
volcaniques, secousses sismiques, le globe se dédouble, et chacun
des deux hémisphères s'en va de son côte : d'une part
l'Europe. l'Asie et l'Afrique, de l'autre le Nouveau-Monde. Au lieu
d'une seule planète, il y en a désormais deux, d'abord réunies par
la même atmosphère et entre lesquelles les communications sont
possibles par avion et par T. S. F.,ensuite complètement distinctes,
parce qu'à mesure que l'écart qui les sépare s'est accentué, tout
moyen d'entrer en relations est devenu illusoire.
Sur
cette donnée, M. Spitz construit un roman d'anticipation à la façon
de Jules Verne. On imagine sans peine, en effet, les troubles de tout
genre qu'un événement pareil a pu produire dans l'humanité. Le
pire est qu'on peut s'attendre aux plus graves éventualités :
les observations des astronomes établissent que la rotation commune
des deux masses terrestres, se produisait dans un plan incliné de 5°
8' 48" sur l'écliptique. Or, l'orbite lunaire est précisément
inclinée sur l'écliptique du même nombre de degrés. Par suite,
dans le même plan et autour du même point — l'ancien centre de la
terre — se trouvent graviter trois masses : la lune. l'Ancien Monde
et le Nouveau. L'écart entre ces derniers allant toujours en
augmentant, une collision de l'une d'elles ou de toutes les deux avec
la lune va devenir inévitable.
Les
calculs des savants déterminent que la rencontre de l'Ancien monde
avec la lune, se produira à une date qu'ils ont exactement fixée.
Dès lors, les hommes vivront dans l'attente de la fin du globe,
comme les contemporains de l'an mille. M. Jacques Spitz énumère
plaisamment les traits distinctifs des réactions de chacun. En
France, ce furent des demandes de mise à la retraite dans la classe
bourgeoise et semi-bourgeoise ; en Angleterre, ce fut une
recrudescence sans précédent de la consommation du whisky. Les
compagnies d'assurances sur la vie font faillite, l'administration
des pompes funèbres n'enregistre plus une seule demande de
concession à perpétuité ni l'Académie française une seule
candidature à ses sièges vacants. La veille de la date fatale, le
pape Léon XVI a donné son absolution à tous les peuples de la
terre. Quant au gouvernement français, il a constitué, conformément
à nos vieilles traditions démocratiques, un Comité de salut public
qui a publié, à l'usage des électeurs français, un superbe
message dans lequel l'humanité, à la veille de disparaître, est
félicitée d'avoir rempli dignement sa mission historique.
Ce
n'était, d'ailleurs, qu'une fausse alerte. Les savants s'étaient
trompés dans leurs calculs. Ce n'est pas l'ancien monde, c'est le
nouveau, qui rencontre la lune et est pulvérisé. Alors,
-l'affolement se calme, les fuyards regagnent les villes, chacun
reprend sa tâche interrompue au 'point où il l'avait laissée. Au
Parlement, l'opposition interpelle le chef du pouvoir dont la
légèreté a plongé la population dans une angoisse aussi inutile.
Le ministère est renversé. La vie ordinaire, en un mot, a repris...
Le roman
de M. Jacques Spitz est des plus amusants. Les jeunes gens y
trouveront des aventures extraordinaires qui leur rappelleront Jules
Verne ou Wells. Les autres goûteront plus particulièrement la
satire souvent imperceptible sous le ton légèrement ironique qui
fait le sel dé ce récit. L'Agonie du globe est écrit par un
pince-sans-rire, dans le style des journaux d'information ou des
proclamations gouvernementales. Il contient des pages impayables.
Abel Manouvriez, critique de L'Agonie du globe, Ric et Rac n° 347, 2 novembre 1935
Illustrations: couverture de l'édition de 1935 et de l'édition de 1977.
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