Le site ArchéoSF a déjà proposé plusieurs nouvelles préhistoriques de Léon Lambry. La victoire d'Ori se conclue par une morale tout à fait dans le ton de l'époque de publication (1927).
Ceci se passait il y a bien longtemps !
Les enfants, de la tribu des « Elaphes » jouaient devant les tentes. Les petites filles cousaient avec une aiguille d’os des peaux minuscules destinées à vêtir d’informes poupées de bois, tandis que les garçons faisaient la guerre.
Soudain, l’aîné, qui pouvait avoir treize ans, s’étant un peu écarté du camp, se trouva saisi par deux bras nerveux. En un clin d’œil, il fut enlevé de terre tandis qu’une main velue, s’appuyant sur sa bouche, l’empêchait, de crier.
Le jeune garçon, appelé Ori, était brave, mais cette attaque imprévue l’avait bouleversé. Il savait bien qu’aucun de ses camarades n’avait une force suffisante pour l’enlever ainsi.
Il regarda à la dérobée celui qui l’emportait et connut le « Nuage », chef des « Bisons », qui en voulait à sa tribu. Que faire ? Ori essaya de se débattre, mais le colosse n’y prit aucune garde ; il franchit à gué une rivière qui séparait le terrain de chasse des Elaphes de celui de leurs voisins.
Encore un instant et le jeune garçon se trouverait au milieu du camp ennemi. La pensée des humiliations qu’on lui ferait subir lui inspira un parti héroïque. Sans réfléchir au danger de sa tentative, il saisit le poignard de silex que son ravisseur portait à la ceinture et le lui enfonça dans le cœur.
L’homme s’écroula et Ori, se dégageant rapidement, se rapprocha de la rivière. Il allait l’atteindre lorsqu’un javelot siffla à ses oreilles.
— A moi ! Elaphes, cria-t-il, et il entra dans l’eau.
Furieux, les Bisons s’élancèrent sur ses traces. Ils ne pouvaient admettre que leur chef fût tombé sous les coups d’un enfant. Cela demandait une vengeance immédiate, mais cette vengeance ne devait pas leur être accordée.
A l’appel d’Ori, les Elaphes, armés, accouraient à son secours.
— J’ai tué le Nuage ! cria l’enfant, il m’avait pris par surprise !
Une clameur vengeresse lui répondit, et les deux tribus se précipitèrent l’une contre l’autre.
Ce fut un combat sans merci ! Les Bisons avaient une mort à venger, mais, privés de leur chef, ils perdaient de leur entrain. D’autre part, les Elaphes, grisés par le succès d’Ori, résolus à châtier l’insolence des Bisons, se montraient sans pitié. Les propulseurs lançaient les flèches en grand nombre ; les pierres, échappées des frondes, ronflaient.
Longtemps, le sort des armes demeura indécis, puis, chez les Bisons, un fléchissement se produisit. Plusieurs blessés se traînaient sur les genoux ; leurs amis les entrainèrent, et le terrain resta aux Elaphes.
Ils ne poursuivirent pas l'ennemi. Ils se contentèrent d’enlever les armes et les parures des morts, dont les cadavres furent jetés dans la rivière.
Jaguar, chef des Elaphes et père du jeune Ori, serra l’enfant sur sa poitrine en disant avec fierté :
— Tu seras grand !...
— Gloire à Ori ! fils du Jaguar ! crièrent les guerriers, et Ori sentit son cœur battre à coups précipités. L’orgueil de sa race et la joie du triomphe gonflaient sa poitrine.
Ses amis le regardaient avec admiration : il avait montré ce que peuvent le courage et le sang-froid au milieu du danger, il était sorti sans aide d’un réel péril, cela le mettait au-dessus de tous.
Ori avait cessé d’être un enfant.
Certes, le jeune garçon ne regrettait rien. Il n’avait fait que se défende contre un adversaire déloyal, peut-être avait-il sauvé sa tribu ? Mais voici qu’à sa joie se mêlait un peu de tristesse ; pourquoi ?
C’est qu'il sentait, le pauvre petit, que son fait héroïque l’avait désigné, aux yeux de tous, et que désormais il ne s’appartiendrait plus !...
La vie est ainsi faite qu’il faut monter sans cesse, et ne jamais descendre ! On ne doit pas donner prise ou blâme lorsque l’on a conquis l’admiration. Voilà pourquoi Ori devenait songeur ! Il ne jouerait plus comme jadis avec ses camarades, il était devenu un homme ! la vie sérieuse allait commencer !...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire