C'est dans L'Avenir du bassin d'Arcachon (1934) que nous avons découvert cette petite anticipation signée Edmond Cassou présentant un Noël (tout à fait rêvé! ) de l'avenir
NOËL 2.034
M. et Mme Durand ayant dîné d'une pilule de produits chimiques, minutieusement dosés par l'Institut Municipal d'Hygiène (section alimentaire), tinrent conseil, en ce 24 Décembre 2.034 pour savoir en quel endroit ils iraient réveillonner.
M. Durand proposa d'aller applaudir les danseuses cambodgiennes au grand Opéra de Pnom-Penh, mais sa femme, qui faisait partie de la Commission des Affaires Etrangères, lui fit judicieusement remarquer que les relations entre les Etats Unis d'Europe et la Confédération Panasiatique étaient extrêmement tendues et qu'à la veille peut-être d'une guerre, il n'était pas prudent de se mêler à une foule particulièrement xénophobe. Elle ne manqua pas, à ce sujet, de citer ce mot d'une ambassadrice de France à Hué : «L'Indo-Chine est un baril de poudre qui mettra le feu au monde».
— Allons alors au Casino de Tombouctou qui donne un gala d'Art Nègre !
— Es-tu vieux jeu, mon pauvre Jules! Tu sais bien que l'art nègre, comme l'art russe, c'est maintenant du dernier pompier !
— Eh bien ! filons à New-York pour la Revue Super-Nue ?
— Ecoute, Jules : Toutes les semaines nous allons à New-York pour voir des revues de plus en plus nues, et cela depuis des années. Je commence à trouver que plus ça change, plus c'est la même chose.
— Tu parles d'or, Marguerite, acquiesça M. Durand.
Ils songèrent aux îles Tahiti, mais tous les snobs s'y rendaient pour y faire la fête et les Durand, gens paisibles, avaient horreur de la foule. D'ailleurs depuis que les Tahititiennes venaient se coiffer rue de la Paix, ces îles du Pacifique avaient beaucoup perdu de leur exotisme.
« Comme la terre est petite ! » dirent-ils mélancoliquement.
A ce moment par la baie vitrée ils aperçurent une avionette amarante qui niait vers le nord.
— Tiens! les Boismartin ! s'écria M. Durand.
— Aujourd'hui ils sont bien raisonnables, observa sèchement sa femme. Ils ne doivent pas dépasser le 500. On voit que les contraventions pour excès de vitesse ont du bon !
— Où vont-ils ?
— Mais naturellement à l'aérodrome du Bourget où ils prendront le service d'Aérobus-fusées à destination de la Lune. Grand bien leur fasse ! »
Il n'y avait encore que les jeunes gens et des écervelés comme les Boismartin pour se risquer en de telles équipées. Pourtant, d'après les statistiques, les voyages interplanétaires n'avaient qu'un pourcentage d'accidents à peine supérieur à la moyenne. Mais les Durand étaient impressionnés par l'histoire plutôt désagréable arrivée à une noce de trente personnes dont l'aérobus, dévié des zones attractives de la Lune, était allé se perdre - ô dérision ! dans la direction de la planète Vénus.
— Quelle idée ! reprit Mme Durand, aller manger des huîtres et boire du Champagne sur le cratère d'un ancien volcan lunaire, ! Quels fous ! ajouta-t-elle, mais elle pensait : «Quels veinards»
Ayant décidé de faire tout simplement une petite promenade aux environs, les Durand revêtirent leurs vêtements thermiques, à cause du froid très vif, et longèrent une partie du magnifique Boulevard-Jetée-Promenade Marcel Gounouilhou qui reliait le quartier de La Teste au quartier du Pyla, car Arcachon, en l'an de grâce 2.034 s'étendait sur toute la rive Sud du Bassin et comptait plus de 100.000 habitants.
Arrivés au garage, Ils montèrent dans un de leurs avions, lequel s'éleva verticalement à 2.000 mètres. Jugeant la hauteur suffisante, M. Durand débraya et l'avion s'immobilisa, soutenu par la seule rotation d'une hélice horizontale.
— Où veux-tu aller, Marguerite ?
— Tout droit, ordonna-t-elle.
Tout droit c'était l'Océan. M. Durand embraya et l'avion démarra doucement pour gagner progressivement une allure de 500 kilomètres à l'heure.
Le spectacle était magnifique. En dessous, la mer immense et ténébreuse; au-dessus, les constellations qui, à travers l'air sec, semblaient plus éblouissantes.
Tout à coup, M. Durand entendit le vombrissement énorme d'un avion qui fonçait sur lui. C'était un aérobus plein comme une rame de métro, qui passa à la vitesse d'un éclair. Cinq, dix, vingt aérobus suivaient et M. Durand comprit qu'il se trouvait dans le sillage d'une de ces colossales croisières aériennes organisées par l'Agence Cook.
Que faire ? Obliquer à droite, c'était se faire prendre en écharpe par un de ces mastodontes de l'air qui évoluaient sur un iront immense. Lutter de vitesse? Impossible. Le moteur du petit avion pouvait en donnant tous les gaz atteindre 600 à l'heure et les aérobus eux, roulaient à 1.200. n était inévitable qu'un des bolides bousculât, en passant, le frêle esquif aérien. Mme Durand, toute pâle, se serrait contre son mari. Lui, crispé au volant, tentait désespérément la manoeuvre salvatrice. Tout à coup, il perçut un choc à la nuque ...
C'était Mme Durand qui lui tapotait le cou en lui disant gentiment :
« Jules, réveille-toi, ! Voici les Boismartin. »
M. Durand écarquilla les yeux, reconnut le salon de sa villa arcachonnaise, les vieux meubles de famille, contempla la grosse bûche de chêne qui flambait dans la cheminée, entendit Julie s'affairant dans la cuisine, admira le bel arbre de Noël tout resplendissant de bibelots vernis et comprit enfin qu'il venait de faire un rêve.
Au même instant les Boismartin entrèrent. Durand se précipita vers eux. Les Boismartin ! de si bons amis, tenez et qui ne sont jamais allés dans la Lune!
Edmond Cassou, « Noël 2.034 », L'Avenir du bassin d'Arcachon, n° 4266, 21 décembre 1934.
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