Le texte qui suit a été recueilli dans Pour lire en traîneau, nouvelles entraînantes de Paul Vibert (1851-1918). L'auteur amuse son public avec des projets farfelus... quoique pas si fantaisistes que cela...
LA
MUSIQUE
A
DOMICILE
VASTE
PHONOGRAPHE
CENTRAL
A
PARIS.
- CHANTS, MONOLOGUES,
MUSIQUE
EN
TOUS
GENRES
A
DOMICILE.
- MOYEN
DE
CHARMER
LES
REPAS
ET
LES
SOIRÉES.
TARIF
RAISONNABLE.
- AUDITIONS
PUBLIQUES
ET
GRATUITES
SUR
LES
PLACES
PUBLIQUES
ET
LES
SQUARES.
- SUPPRESSION
DES
MUSIQUES
MILITAIRES.
Lettre
ouverte
à
M.
Simyan
Mon
cher
sous-secrétaire
d'Etat,
L'un
et
l'autre
nous
nous
sommes
souvent
occupés
de
ce
bon
Saint-Antoine
de
Padoue
pas
de
la même
manière
et
c'
est
ce
qui
m'incite
aujourd'hui
à
m'adresser
directement
à
vous
pour
vous exposer
un
projet
dont
je
me
crois
l'inventeur
et
qui
aurait
du
moins
pour
mérite
d'équilibrer
en
partie
le
budget
de
l'Etat
en
créant
de
nouvelles et
importantes
ressources.
Rien,
en
effet,
dans
l'état
actuel
de
la
science,.
ne
serait
plus
facile
que
de
créer
à
l'administration
centrale
des
Postes
ou
dans
un
palais
neuf
spécial
ad
hoc
qui
serait
le
palais
de
la
Musique,
comme
l'administration
centrale
des
téléphones,
- Gutenberg
est
le
palais
de
la
Pensée,
comme
je
l'ai
écrit
dans
mon
Berceau,-
un
vaste
et
puissant
phonographe
central,
capable
de
desservir
tout
à
la
fois,
tous
les
particuliers
et
tous
les
établissements
publics
et
squares
de
Paris
où
l'on
jugerait
à
propos
de
faire
l'éducation
artistique
du
peuple
en
lui
donnant
de
la
musique,
du
chant
et
des
monologues
aux
oreilles
bien
entendu
- et
à
l'œil
par-dessus
le
marché
- oh
beauté
de
notre
langue
imaginée
et
argotique
!
Comme
pour
le
téléphone,
vous
pourriez
faire
payer
un
abonnement
avec
des
prix
gradués
et
relativement
bon
marché
et
de
la
sorte
votre
administration
des
Postes
et
Télégraphes,
des
Téléphones,
des
Phonographes,
etc.,
aurait
immédiatement
la
moitié
au
moins
des
citoyens
parisiens
comme
abonnés.
Pour
avoir
les
auditions
pendant
les
repas,
par
exemple,
ce
serait
100
francs
par
an.
Quand
on
y
joindrait
les
soirées,
ce
serait
200
francs
et
enfin
ceux
qui
ne
pourraient
pas
dormir
sans
cela
et
en
voudraient
nuit
et
jour,
devraient
payer
400
francs
par
an.
Je
ne
sais
si
je
m'abuse,
mais
il
me
semble
qu'au
bout
d'un
an
à
peu
près
tout
Paris
et
toute
la
banlieue
seraient
abonnés,
ce
qui
ferait
rentrer
un
nombre
respectable
de
millions
dans
les
caisses
de
l'Etat.
Naturellement,
tout
comme
pour
les
téléphones,
vous
étendriez
les
installations
d'
abord
à
toutes
les
grandes
villes
de
France,
ensuite
à
tous
les
réseaux.
Il
ne
vous
serait
pas
difficile,
avec
un
budget
relativement
restreint,
modeste
et
raisonnable,
d'assurer
le
service
par
une
double
équipe,
pour
les
repos
nécessaires,
de
chanteurs,
de
diseurs,
d'artistes
des
deux
sexes,
fonctionnaires
à
demeure
de
votre
administration
et
fonctionnaires
de
grand
talent.
Enfin
vous
pourriez
facilement
par
l'entremise
de
votre
collègue
de
l'
Instruction
publique
qui
est
en
même
temps
le
ministre
des
Beaux-Arts,
obtenir
des
théâtres
subventionnés,
Opéra,
Opéra-Comique,
théâtre
Français
et
Odéon,
qu'ils
fassent
entendre
leurs
grands
artistes,
leurs
étoiles
tous
les
vendredis,
par
exemple,
à
seule
fin
de
flatter
un
peu
les
gens,
chics
et
les
snobs
et
tous
les
dimanches
pour
le
vrai
peuple,
pour
tous
les
amateurs
sincères
de
musique.
Naturellement
on
donnerait
à
ces
grands
artistes,
de
bons
cachets
et
les
palmes
académiques,
ce
qui
serait
bien
largement
couvert
ou
plutôt
ne
paraîtrait
qu'une
goutte
d'eau
comparée
aux
millions
nombreux
que
procureraient
les
abonnements
demain
à
Paris
et
après-demain
dans
toute
la
France,
ne
vous
y
trompez
pas.
Quand
au
fonctionnement
public
et
gratuit
du
grand
phonographe
central
dans
les
établissements
publics,
dans
les
jardins
et
les
squares,
dans
les
bois
de
Boulogne
et
de
Vincennes
à
des
endroits
déterminés
et
abrités
pour
les
nourrices,
les
bonnes
d'enfants
et
même
les
mères
de
famille
et
les
promeneurs,
il
n'est
pas
besoin
d'insister,
n'est-ce pas,
mon
cher
sous-secrétaire
d'Etat,
sur
les
conséquences
aussi
variées
qu'heureuses,
sur
les
résultats
aussi
féconds
que
moralisateurs
qui
en
découleraient
immédiatement.
Ce
serait
en
partie
la
disparition
de
l'alcoolisme,
car,
lorsque
l'on
est
.sous
le
charme
enchanteur
de
la
musique
on
ne
pense
pas
à
boire,
car
quand,
comme
aurait
dit
Victor
Hugo,
on
écoute
une
mélodie
enjôleuse,
on
oublie
l'heure
de
l'apéritif.
Et,
puis,
cela
déterminerait
des
vocations
nouvelles
chez
ce
peuple
si
artiste,
chez
ces
enfants
et
bientôt,
de
la
sorte,
nous
ne
tarderions
pas
à
être
le
premier
peuple
de
compositeurs
d'
Europe,
ce
qui,
j'en
suis
persuadé,
sur
un
homme
de
caractère
comme
vous,
est
certainement
destiné
à
faire
une
grande
impression!
Je
n'insiste
pas
sur
de
pareils
avantages
moraux,
car
je
sens
l'émotion
me
gagner
et
vous
ne
pourriez
pas
y
échapper
vous-même.
Mais
à
côté
de
ces
deux
énormes
avantages
équilibre,
en
partie
du
moins,
du
budget
et
régénération
morale
de
la
nation,
il
y
aurait
encore
une
foule
d'autres
conséquences
heureuses
que
je
ne
puis,
hélas,
qu'indiquer
ici
d'un
mot,
faute
de
place
C'est
ainsi
que
les
batailles,
les
bagarres
et
les
coups
deviendraient
à
peu
près
inconnus,
étant
donné
que
la
musique
adoucit
les
mœurs,
comme
chacun
sait et que les sergents de ville, n'ayant plus rien à faire, ne
tarderaient pas à engraisser scandaleusement.
Enfin,
vu que le rire est le propre de l'homme, en choisissant des
monologues tout à fait spirituels et amusants ce qui ne serait pas
facile à la vérité on pourrait voir dans l'installation du
Phonographe central un moyen puissant de thérapeutique, aussi
gratuit qu'agréable, contre toutes les neurasthénies
contemporaines.
Il
est vrai que les apothicaires ne seraient pas contents ; mais, que
voulez-vous, il y a un vieux proverbe qui dit que l'on ne peut pas
faire plaisir à tout le monde et à son père.
Mais
ce n'est pas : tout de la sorte et ipso
facto,
toutes les musiques militaires seraient supprimées et ce seraient
autant de jeunes gens rendus à la vie civile, dont la caserne ne
ferait pas d'avariés et qui n'auraient pas besoin d'y rester,
puisqu'ils ne sont soldats que de nom.
Voilà,
grosso modo, mon cher Monsieur Simyan, quels sont les nombreux et
immenses avantages que vous pourriez retirer de la création d' un
phonographe central dans toutes les grandes villes de France, pour
commencer.
Sur
ce, veuillez me croire toujours, mon cher sous-secrétaire d'Etat,
votre bien dévoué.
Paul
Vibert, « La musique à domicile »
in Pour
lire en traîneau, nouvelles entraînantes,
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