Le 22 août 1924, à la première page du quotidien Le Matin, Charles Nordmann s'interrogeait : "Et si les Martiens débarquaient demain sur la Terre ?" alors même qu'une question de la plus haute importance devait être débattue à l'Académie française : doit on dire Martien ou Marsien ?
Et
si
les
Martiens
débarquaient
demain
sur la
Terre ?
Tout
de
même,
lorsqu'on
y
réfléchit,
on
ne
peut
se
défendre
d'une petite
émotion
en
pensant
que
demain
la
planète
Mars
sera
à la
plus
petite
distance
de
la
Terre où
elle
se
sera
trouvée
depuis
plus
d'un
siècle.
Pourquoi
de
l'émotion
à
propos
d'un événement
qui
a
en
apparence
si
peu
de
rapports
avec
les
durs
problèmes
de
vie
chère
et de
politique
où
nous
sommes
embourbés ?
Je
vais
en
dire
les
raisons,
et
je
serais
bien
surpris
si, après.
les
avoir
lues,
beaucoup
de
lecteurs
n'éprouvaient,
eux
aussi,
un
petit
frisson.
Ce
sera un
frisson
rapide,
puisqu'il
ne durera
que
vingt-quatre
heures
et
que
demain
nous
serons
fixés
dans
un
sens
ou
qui
sait
?
dans
l'autre.
J'ai
expliqué
déjà,
ici
même,
que les
prétendus
«
canaux
»
de
Mars n'existent
pas
et
qu'il
n'y
a,
pour
nous,
ni
plus
ni
moins
de
preuves de
l'existence
des
Martiens
qu'il
n'y
en
aurait
de
l'existence
des
hommes
terrestres
pour
un astronome
martien
observant
la
Terre
avec
des
lunettes
pareilles
aux
nôtres. On
conviendra
que ce
n'est
pas
suffisant
pour
nier
l'existence
des
Martiens.
Mais
alors
?
Eh
bien
!
s'il
y
a
là-haut
des
êtres
vivants
c'est-à-dire
analogues
à
nous
et
très
intelligents
c'est-à-dire,-
par
ailleurs,
quelque
peu
différents
de
nous !–
il
y
a
quelque
chose
de
possible.
je
ne
dis
pas
de
probable.
C'est
que,
comme
l'a
supposé
Wells
dans
une
de
ses
plus
belles
anticipations,
ces
êtres,
de
plus
en
plus
mal
à
l'aise
sur
une
planète
refroidie,
ont
pu
songer
à
conquérir
une
colonie
par
delà
les gouffres
de
l'espace.
C'est
que
cette
colonie
est
la
Terre,
plus
chaude que
Mars
à
cause
de
son
voisinage du
Soleil,
et
moins
usée
par
les
glaces
de
l'âge.
Mais
alors,
les Martiens
auront
évidemment
(si ce
projet
a
germé
il
y
a
moins
d'un
siècle)
préparé
leur
offensive pour
le
jour
où
la
Terre la
Terre
promise
et
Mars
seront
plus
rapprochées
qu'on
ne
le
vit
depuis
cent
vingt
ans. Or,
ce
jour,
c'est
demain,
23
août
1924.
Vraiment,
si
demain
quelque
projectile habité,
quelque
cheval
de
Troie
interplanétaire,
déposait
dans
nos
murs
des
êtres
admirables et
redoutables
plus
ou
moins analogues
à
ceux
qu'a
révés
Wells,
ce
serait
drôle.
Ce
serait
drôle,
car
je
parie
que
du
coup la
solidarité
européenne
serait
comprise
et
pratiquée
par
tous. Ce
serait
drôle,
car
aussitôt
on verrait
l'argent,
tout
l'argent,
sortir des
coffres
pour
le
salut
général
des
hommes,
enfin
solidaires.
Ce
serait
drôle,
mais
c'est,
hélas !
peu
probable.
Je
dois
en
effet,
quoi
qu'il
m'en
puisse coûter,
refroidir
les
flammes
imaginatives
qu'une
telle
perspective
peut,
d'ici
demain,
faire jaillir,
dans
les
cerveaux
trop
facilement bouillonnants.
Car
il
a
été
démontré
depuis
peu,
par
les
recherches spectroscopiques
de
Campbell, que
la
densité
de
l'atmosphère,
à
la
surface
de
Mars,
est au
plus
la
moitié
de
ce
qu'elle
est
à
ce
sommet
de
l'Everest
que
les explorateurs
ont
dû
renoncer
atteindre jusqu'ici,
faute
d'air.
Si
donc
il
y
a
des
Martiens,
leur
organisme doit
être
totalement
différent de
celui
des
animaux
terrestres. Par
conséquent,
ils
ne
pourraient survivre
à
leur
débarquement
sur
la
Terre,
à
leur
atterrissage,
c'est
le
cas
de
le
dire.
Comme
nous
les
avons
supposés
très intelligents
et
très
savants,
ils auront
prévu
cela
et
ils
seront
restés
chez
eux.
Il
y
a
encore
quelques
autres
petites raisons
qui
font
que
je
doute fort
de
les
voir
ici-bas
demain
matin.
C'est
grand
dommage,
car
il
eût
été
beau
de
regarder
la
grimace
du
lion
britannique
si
la
cathédrale
de
Saint-Paul
avait
eu
demain,
comme
l'imaginait Wells,
sa
belle
coupole
perforée
par
les
Martiens.
Mais voici
que,
se
superposant
à nos
transes,
un
angoissant
problème
linguistique
se
dresse
devant
ma
plume.
Doit-on
écrire
Martien, comme
on
dit
martial,
par
dérivation
aussi
de
Mars,
ou
doit-on écrire
Marsien,
comme
fait Wells
?
Ces
messieurs
de
l'Académie
nous
le
diront
après-demain
si
ce
que
je
crois
plus
que je
ne
le
souhaite
le
front
de Terre
reste
demain
inviolé.
Mais quel
ennui
que
le
réel
diffère,
parfois
du
possible.
Charles
Nordmann.
Image: couverture de HG Wells, La Guerre des Mondes, Calmann Lévy, 1917
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